La Chambre ardente
La première du film a lieu au musée Grévin, mais cette fantaisie ne contribue guère à améliorer l'accueil qui lui est réservé. La critique hésite entre les comparaisons (accablantes) avec d'autres œuvres relevant du courant fantastique français, ou une évocation du travail d'adaptation réalisé par Duvivier sur le roman de John Dickson Carr. Pierre Macabru, dans Combat, est plutôt modéré : "Julien Duvivier, qui est un malin, bâtit un film à la manière du cinéma impressionniste français, et avec des références un peu trop voyantes à La Maison Usher de Jean Epstein [en réalité La Chute de la maison Usher, film de Jean Epstein (1928) d’après une nouvelle d’Edgar Allan Poe, avec Madeleine Gance, Jean Debucourt, Charles Lamy]. On en reste à une sorte de parodie plus ou moins maquillée, et qui jamais n'impose d'autres émotions que celles du suspense à deux sous... Cette poésie-là n'est que de la quincaillerie". Arts, comme à son habitude, enfonce le clou : "La Chambre ardente est La Maison Usher du pauvre... L'épouvante à bon marché. La fausse audace. La fabrication attentive et prudente".
France-Observateur est encore plus lapidaire : "Dès le départ, impossible de croire aux lieux, aux personnages, ingrédients essentiels pour ce genre mineur [sic]. Comment, alors, s'intéresser, fût-ce par goût de la mécanique, à une intrigue aussi mal bâtie que celle-ci, aux dialogues incroyablement vulgaires de Spaak ?". Même caractère artificiel pour Carrefour : "Faux ce château baroque qui imite un peu trop celui de Marienbad [Allusion à L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais avec Delphine Seyrig et Sacha Pitoeff, sorti en 1961] ; faux les personnages ; faux le vague spiritualisme qui baigne l'action, ces histoires de fantômes et de réincarnation... Le château de Duvivier manque de vrais fantômes. Blasphématoire, le film de Buñuel [Viridiana de Luis Buñuel (1961) avec Silvia Pinal, Francisco Rabal, Fernando Rey, sorti peu de temps auparavant] où Dieu est mis en accusation, témoigne encore de l'existence d'un vrai surnaturel, à la mesure du délaissement de l'homme".
Cette même dimension "blasphématoire" est, comme de juste, mise en exergue par Télérama : "Lorsque ce mélange [entre film policier et film fantastique]... n'est que prétexte à étalage obscène, libidineux, sadique et j'en passe, on est en droit de protester... Chacun étale son abjection : Claude Rich se déguise en femme ; le vieillard vomit bruyamment devant la caméra ; Edith Scob raconte des histoires de messes noires ; le vieux Balpêtré se penche sur la blonde, la jeune, la pure Edith ; on danse autour du cercueil ouvert des valses viennoises et Edith Scob est seule vêtue de blanc au milieu de la foule en noir... Tout cela pue la fabrication au point d'en être presque comique. Curieux cette complaisance pour le sordide dans laquelle sombrent quelques-uns de nos réalisateurs vieillissants. S'agit-il d'obsessions séniles ?". Le Canard enchaîné n’écrit pas autre chose : "Du cinéma de grand papa. C'est étonnant comme ça paraît périmé, un film de Julien Duvivier, comme cette technique semble vieillotte... C'est un bon artisan, fabriquant de films en tous genres, mais, de même que la Citroën à moteur flottant, si elle fut une brillante réussite vers 1930, elle est tout de même d'une autre époque et a fait son temps. Que reprocher à Duvivier ? Rien. Il a fait ce qu'il a pu, avec une habileté démodée et un métier indiscutable".
D’autres, plus modérés, essaient de rendre justice - au moins - aux intentions du metteur en scène, tel Les Lettres françaises : "L'intrigue y est conduite comme une opération mathématique qui comporte deux postulats, l'un rationnel, l'autre surnaturel, et par conséquent deux solutions, l'une logique et l'autre fantastique... Cette histoire, il l'a transposée dans le décor de Marianne de ma jeunesse, cette Forêt noire romantique avec ses lacs et ses Burgs tels que Hugo les dessina et dont les paysages légendaires se prêtent aisément à l'irruption de l'insolite et du merveilleux", tandis que Le Figaro écrit joliment que "le film se présente comme une opulente forêt d'astuces autour d'un monument d'invraisemblances". Mais France-Observateur résume bien la déception générale, après une publicité savamment orchestrée :"Tout, dans le film, est à l'image de ces funérailles dansantes dont une publicité abusive nous rebat les oreilles depuis huit jours : la caméra valse à vide et ce n'est pas le cadavre qui est le plus mort".