Boulevard

Les critiques sont mitigées ou franchement mauvaises : "Boulevard est une étude de mœurs bien mise en images par Monsieur Duvivier qui sait son métier", dit L’Aurore, tandis que Le Figaro, presqu’à l’unisson, concède que "ce n’est pas de la technique éblouissante. C’est un film de bon faiseur, parfois superficiel, mais bien observé". Libération note avec raison qu’ "on se demande vraiment pourquoi ce film est interdit aux moins de 18 ans. Ce Boulevard finalement est non seulement très morne mais sonne terriblement faux... Il [Léaud] se révèle dans Boulevard un très mauvais comédien, appuyant ses effets lorsque, par hasard, il en découvre un, allant et venant devant la caméra, l'œil terne, le visage mou, la bouche dégoûtée. L'expression même du spectateur sortant de voir Boulevard".

De fait, la présence (opportuniste ?) du héros des 400 coups n’échappe à personne : "Jojo de Montmartre, c’est le frère aîné du gosse mal-aimé de Truffaut... une tentative de conciliation entre les anciens et les modernes", écrit justement Jacqueline Michel dans Le Parisien libéré, et Michel Aubriant renchérit dans Paris-Presse : "Il serait amusant de comparer Boulevard, dernier film de Duvivier, aux 400 coups, premier film de François Truffaut. C’est, sauf votre respect, Corneille vieillissant s’attaquant au même thème que le jeune Racine", avant d’exécuter à son tour l’opus de "Corneille vieillissant" : "Une bluette populiste ajustée au quart de tour... un film garanti d’avant guerre... un film comme on n’en fait plus, rescapé d’un autre âge, et qui mérite d’être vu à titre de document sur une forme de cinéma qui se meurt ". Télérama, lui aussi, voit plus de roublardise que d’intérêt dans la tentative de Duvivier de profiter du succès de Jean-Pierre Léaud : "C'est moins à faire de Jean-Pierre Léaud un acteur à la mode qu'ont visé Julien Duvivier et son scénariste qu'à intégrer sournoisement dans l'univers du cinéma commercial l'Antoine des 400 coups... Jojo, c'est Antoine à 18 ans tel que pouvaient se l'imaginer des gens de cinéma décidés à exploiter une recette. Antoine, solitaire et révolté, mais pas blouson noir, la mèche sur l'œil et le regard sombre, ressemble encore plus à Truffaut" et conclut avec beaucoup de mépris : que le film fait montre de "naturalisme sordide, hypocrisie et roublardises... le Duvivier de Pot-Bouille se parodie lui-même... Un film d'une grande bassesse morale".

Quant au "naturalisme" supposé du propos, il est exécuté en quelques lignes par Paris-Presse : "Dans son Pigalle [à Duvivier] on ne rencontre ni Nord-Africains, ni vendeurs de cartes transparentes, ni musiciens en chômage, ni G.I.'s en goguette. C'est un Pigalle imaginaire. Je le sais. J'habite le quartier. C'est un film comme on en fait plus, rescapé d'un autre âge, et qui mérite d'être vu à titre de document sur une forme de cinéma qui meurt".

Mais, sans nul doute, c’est le critique des Lettres françaises qui se montre, en la matière, le plus définitif - et, d’une certaine manière, le plus détaillé : "Sans aucun doute possible : le plus méchant navet que l’on puisse voir en exclusivité actuellement... C’est véritablement ici le "cinéma de papa" dans toute sa bêtise émolliente, sa prétention béate et crasseuse, sa démagogie active comme un soporifique, et je défie l’honnête homme de trouver, dans cette mare aux canards, une seule minute de vérité ou le moindre élan, la plus fugitive étincelle de spontanéité, de tendresse qui ne fasse pas de l’œil avec roublardise. Voilà qui enfonce le père Ubu, si possible, et sa machine à décerveler !...La vétusté, l’indigence de ce cinéma, où la routine est la seule nature, paraissent si évidentes qu’on se demande par quel minable miracle il tient encore debout, alors que ce n’est même pas la mode : il suffirait d’un rire hénaurme, semble-t-il, pour réduire en poussière cette conjuration de toiles d’araignées et de moisissure. S’adressant aux plus bas instincts de l’individu, Boulevard montre un mépris du public, allié à une méconnaissance des exigences et des recherches du cinéma moderne, à peine concevable.... Il faut accuser Duvivier, avec son misérabilisme bien léché, ses faux problèmes, ses personnages de jeu de massacre, ses gros sabots, son paternalisme sentencieux et ses vieilles ficelles, d’avoir réalisé un film qui blesse ouvertement la pudeur ".