L'Agonie des aigles

Comœdia rend compte avec entrain de la présentation des scènes-clés du film, devant un public choisi, en avril 1921. Le spectacle était alors autant dans la salle que sur l’écran : « L’Agonie des aigles (en sa partie historique) est une reconstitution des grandes campagnes de l’Empereur... S’attaquer à des sujets aussi vastes, retracer des scènes rendues populaires par la peinture, c’est toujours une tâche ingrate et un peu périlleuse, grouper à Fontainebleau et dans ses environs, toute la cour impériale avec ses maréchaux, ses dames d’honneur, ses grenadiers, ses hussards, c’est jouer la difficulté... L’intrigue qui doit constituer la partie anecdotique du film ne nous fut pas donnée et nous nous sommes contentés d’assister aux victoires d’Italie ou d’Autriche, puis à la retraite de Russie, aux adieux à la Garde et enfin à la mort de l’Empereur à Sainte-Hélène. C’est un excellent cours d’histoire animée qui peut constituer un premier pas vers [le] cinéma éducateur... Chacune des scènes du film est accompagnée d’une partition d’Alexandre George que l’orchestre de M. Victor Charpentier interprète avec maîtrise et autorité... Mais l’instant le plus solennel de la soirée, celui où l’enthousiasme fut à son comble, c’est lorsque le maréchal Foch fit son entrée dans la salle. Le film fut interrompu, la musique d’Alexandre George fut momentanément remplacée par La Marseillaise. Des applaudissements frénétiques éclatent de tous côtés de la salle. Les spectateurs, debout, devant la loge du maréchal, surexcités peut-être par la glorieuse épopée qui leur est présentée, acclament avec frénésie... »

À la sortie du film dans sa version complète, la critique est convenablement exaltée, ainsi d’Hebdo-Film : « C’était avec une impatience bien compréhensible que nous attendions cette présentation totale. Partiellement, au Trocadéro, le prologue, bien que projeté dans les conditions les plus défavorables, laissait bien augurer de l’œuvre. Aujourd’hui que nous la connaissons dans son intégralité, nous pouvons dire qu’elle est vivante, éloquente, émouvante et grandiose... M. Bernard-Deschamps a animé son œuvre avec toute l’envolée qu’elle réclamait. Il a su aussi s’entourer d’artistes qui ont donné à ses héros tout leur talent et toute la sincérité dont ils étaient capables ». Et de renchérir : « J’ai pris un immense plaisir à écouter conter cette admirable histoire aux pages héroïques qui n’est pas seulement la reconstitution d’une épopée, mais aussi un "scénario" complet, logiquement construit, avec une intrigue que nouent l’amour et la haine, la fidélité et la lâcheté, et dans laquelle les scènes gaies alternent avec le drame le plus poignant... »

Cinéa est plus convenu, mais malgré tout louangeur : « Cette succession de tableaux ne fera peut-être pas surgir le frisson des enthousiastes, elle n’en est pas moins bien ordonnée, et la projection s’y continue sans lasser (...). Les évocations guerrières sont réalisées fort intelligemment. On doit encore louer la mise en scène des coulisses de l’Opéra et d’une représentation au théâtre Italien... De l’allure, surtout dans le texte de M. Georges d’Esparbès étincelant de panache ».

Cinémagazine a des accents presque religieux pour sanctifier cette réussite : " Nous devons bénir Bernard-Deschamps qui a eu l’idée heureuse d’adapter à l’écran l’un des plus notoires romans de M. Georges d’Esparbès et le courage de mettre en scène une œuvre immense, un film considérable... Féerique évocation qui, cette fois, n’a rien de "théâtral" et vous stupéfie, et vous plonge dans un abîme de réflexions, et vous arrache des larmes... "J’ai vu l’Empereur !" disait quelqu’un près de moi, l’autre jour, à la sortie de L’Artistic. Et cela est vrai. Nous avons vu vivre la Grande figure, non plus un comédien habile, bien maquillé, arpentant les planches d’un théâtre, mais Napoléon lui-même... Que mes lecteurs n’aillent pas croire cependant que LAgonie des aigles n’est qu’une saisissante résurrection d’une époque grandiose. La seconde partie de ce film rare est toute consacrée au "roman", à une affabulation dramatique parmi laquelle évoluent demi-soldes et soldats de Louis XVIII et qu’éclaire de sa jeunesse et de sa grâce dangereuse, la danseuse Lise Charmoy, je veux dire Melle Gaby Morlay ".

La réputation du film s’étend même outre-atlantique, où le New York Herald se veut résolument statistique : " Toutes les scènes sont reconstituées avec une grande exactitude au point de vue historique, particulièrement celle de Fontainebleau. Dans cette scène il y a 2000 acteurs et à l’ensemble plus de 10 000 figurants prennent part au film. Les drapeaux réels Napoléoniens sont employés ainsi que le chapeau que Napoléon portait au moment des adieux devant le château. Ce film est un chef-d’œuvre qui a coûté excessivement cher et un des mieux qui aient été tournés en France ".

Lors de la reprise du film, fin 1928, Cinémagazine en revient à des proportions plus raisonnables et plus scrupuleuses, quoi que toujours favorablement : L’Agonie des aigles, c’est l’histoire vue à travers la légende, c’est un air de bravoure qui claque et sonne comme une charge de cavalerie. Et si certaines scènes sont assez invraisemblables, ne soyons pas sévères ; demande-t-on une exactitude absolue à une chanson de geste ? Quelques modifications ont été apportées à la version primitive, et si la mise en scène vous étonne parfois par sa simplicité, c’est que depuis 1921 la technique cinématographique a fait d’immenses progrès. Il y a pourtant de beaux tableaux : la présentation des drapeaux à l’Empereur, les adieux de Fontainebleau, la dernière parade... Il y a aussi il est vrai des erreurs dans les sous-titres : une cour prévôtale, car c’étaient des cours prévôtales et non les conseils de guerre qui jugeaient les complots, ne rendait pas un "verdict" mais un "arrêt".