Histoire du Crédit National (1919-1996)Le « Crédit National pour faciliter la réparation des dommages causés par la guerre » est né d'une loi du 17 avril 1919 instituant le principe de la réparation des dommages de guerre. Il répond à une vieille préoccupation des parlementaires, depuis la fin du XIXe siècle, d'aménager l'intervention de l'Etat dans l'économie, en général, et dans le secteur du crédit aux petites et moyennes entreprises, en particulier - préoccupation qui devient nécessité en raison des circonstances historiques. A la fin de la Première Guerre mondiale, le Crédit National se substitue aux crédits de l'Etat érodés par quatre années de création de dettes. Cette société anonyme privée se voit ainsi tout d'abord confier des tâches d'intérêt général, de manière à éviter la concurrence directe avec les banques. Elle peut être ainsi rapprochée de la réorganisation des Banques populaires en 1917, du lancement des Chèques postaux en 1918, de la création de la Caisse nationale de Crédit agricole et de la Banque Nationale Française pour le Commerce extérieur (BNFCE) en 1920, soit d'un vaste mouvement de développement par l'Etat du secteur financier visant à répondre à de nouveaux besoins publics et privés. Etablissement intermédiaire entre marché et Etat - soumis à la fois aux incertitudes du premier et aux contraintes du second -, le Crédit National voit ses missions sensiblement modifiées au gré des événements historiques. Ainsi, le nouvel organisme commence à consentir des prêts sans rapport avec les dommages de guerre à partir de 1928, activité qui se développe de façon plus nette à partir de 1945, mais qui se trouve suspendue entre les années 1939 et 1944. Dans cette histoire au long cours, la Seconde Guerre mondiale a en effet pour conséquence immédiate de renforcer les missions de service public du Crédit National au détriment de celles, plus privées, de prêteur. Il peut utiliser les fonds du Trésor pour faire des avances aux entreprises intéressant la Défense nationale (décret-loi du 27 octobre 1939), aux entreprises concernées par la reprise de l'activité (loi du 3 novembre 1940) et, pour la première fois, à l'industrie cinématographique (19 mai 1941). Les opérations d'indemnisations des dommages de guerre ont donc repris dès le 6 mai 1941 et, au mois de juin, la banque est également dotée de la capacité à garantir les crédits à moyens termes accordés par d'autres établissements bancaires. Cette situation va instaurer une solidarité de fait entre les organismes de financement et placer le Crédit National au rang des rouages stratégiques pour le système bancaire. Après la Libération, le Crédit National est pris dans un mouvement global d'interventions dont dispose l'Etat pour orienter la politique publique du pays, et dont relève par exemple également la création du Centre national de la Cinématographie (CNC) en octobre 1946. Il se situe entre le Commissariat général au plan et le Trésor créé en 1940, travaille avec la Caisse des Dépôts et Consignation et la nouvelle Banque de France (1945), et reste au contact du secteur privé. Le Crédit National continue de combiner les caractères d'un établissement de place et les contraintes d'une société privée jusqu'au milieu des années soixante. Il est inséparable de la planification économique de l'après-guerre, des grands programmes d'investissements lancés sous l'égide du Fonds de modernisation et d'équipement (FME) puis du Fonds de développement économique et social (FDES), et place son expertise au service de diverses missions de l'Etat français. Le 27 avril 1960, une Assemblée générale extraordinaire modifie la raison sociale du « Crédit National pour faciliter la réparation des dommages causés par la guerre » en « Crédit National », effaçant ainsi la référence au contexte historique qui en avait déterminé la création. La privatisation du Crédit National intervient bien plus tard, en 1994, dans le cadre de vastes mesures de dénationalisation des entreprises du secteur public en France et dans les pays de l'OCDE. L'établissement est alors soumis aux « règles normales du marché et du fonctionnement des sociétés anonymes » et fusionne deux ans plus tard avec la BFCE (ex BNFCE) pour donner naissance à la Natexis Banque ( voir Chronologie ). La dénomination sociale « Crédit National » disparaît donc en 1996 ; et les archives du Service de prêt deviennent elles, à la Bibliothèque du film puis à la Cinémathèque française, une source privilégiée de l'histoire de l'aide aux « entreprises intéressant l'industrie cinématographique française ». Le service des prêts et le cinémaLa Seconde Guerre mondiale entraîne donc, au Crédit National, un nouveau renforcement des missions de service public, une reprise des opérations d'indemnisation des dommages de guerre, et, la création inédite d'avances dédiées aux producteurs de films français (alors synonyme de producteurs français de films). Loi du 19 mai 1941, ordonnance du 11 juillet 1945 et convention du 25 avril 1960 : les avances à la production La loi du 19 mai 1941 est à la croisée du projet politique du Crédit National (tel que défini ci-dessus entre 1919 et 1940) et du projet politique du nouveau Comité d'organisation de l'Industrie cinématographique (COIC). Créé par la loi réglementant le cinéma français (26 octobre 1940), le COIC prolonge en quelque sorte de manière radicale les enquêtes parlementaires des années trente (1935, 1936, 1937) et s'attache à combattre les pratiques frauduleuses de production, constatées pendant l'entre-deux-guerres. En pratique, la demande de prêt au Crédit National va être soumise à l'approbation d'un Comité d'attribution formé de représentants de la banque et du COIC, auxquels se joignent des membres du secrétariat d'Etat à l'Economie nationale et aux Finances ; la composition semblant indiquer une forme de prévalence des critères techniques et financiers sur les considérations de type esthétique, thématique ou professionnel - une prévalence parfois contredite par l'étude des dossiers d'archives (voir la partie Analyse de documents). Le principe de prêts avec intérêts remboursables en trois ans associe le principe des prêts à court terme en vigueur au Crédit National et l'analyse du temps requis pour la fabrication et l'amortissement des films de longs métrages sur le marché. La loi du 19 mai 1941 a prévu en effet des modalités d'intervention « appropriées aux conditions ordinaires » de production et d'exploitation des « grands films », lit-on dans les archives . Notamment, les délais de remboursement - qui ne peuvent excéder trois ans à date du versement des fonds - correspondent à une durée moyenne de production (tournage et montage) évaluée alors à 6 mois et à un délai de 2 ans et demi d'exploitation « presque toujours suffisant pour amortir l'avance ». A la Libération, la section « industrie cinématographique » du Crédit National se trouve maintenue (ordonnance n° 45-1524 du 11 juillet 1945). Cette entreprise de moralisation et de normalisation du financement de la production se prolonge alors en partenariat avec le CNC qui donne, à partir du 25 octobre 1946, une suite « dépolitisée » au COIC ; instauré sous Vichy dans le cadre d'un « plan de relance du cinéma français », l'établissement bancaire en respectait jusqu'alors, de fait, les lois - comme celle subordonnant l'autorisation d'activité des producteurs à l'obtention d'une carte d'identité professionnelle (CIP) délivrée aux personnes justifiant de « capacités professionnelles », de « non-appartenance à la race juive » et d'absence de « condamnation infâmante ». La modification statutaire la plus importante intervient avec le décret du 16 juin 1959, qui dote l'industrie cinématographique d'un « soutien financier de l'Etat » pérenne, après onze années d'aides dites « temporaires ». Dans ce texte, le Fonds de développement économique et social (FDES) est appelé à se substituer au Crédit National pour les prêts à la production. Institué par décret le 30 juin 1955, le FDES n'est pas doté, contrairement au Crédit National, de la personnalité morale. Il s'agit d'un compte spécial du Trésor géré par le ministère des Finances et assisté d'un conseil de direction auquel participe le Crédit National. Son organisation en comités spécialisés répond à celle du Crédit National, et ses secteurs d'intervention correspondent aux domaines dans lesquels l'institution de la rue Saint-Dominique a assuré jusqu'alors une mission particulière de financement. Cela se vérifie pour la production cinématographique dont la banque est un important financier depuis 1941. Dans ces conditions, on conçoit aisément que les dispositions du décret de 1959 relatif au soutien de l'Etat au cinéma aient été réorganisées entre le Crédit National, d'un côté, et le ministère des Finances et des Affaires économiques, de l'autre. La convention du 25 avril 1960 stipule en effet que le Crédit National assure toujours le traitement des demandes de prêt à la production, mais que ses décisions se conforment dorénavant à celles du Comité n° 12 du FDES (et non plus au Comité d'attribution des avances instauré pendant la guerre). Après 1966, le Crédit National cesse d'accorder directement des avances à la production de films français ; dans un contexte où les sources de financement accessibles aux producteurs s'étaient diversifiées, l'établissement n'allait plus désormais assurer que la gestion des échéances et des éventuels contentieux créés par les prêts non remboursés. Au total, 904 demandes individualisées autour d'un titre de film ont été présentées au service de prêt du Crédit National pendant sa mission d'aide aux « entreprises intéressant l'industrie cinématographiques françaises », de 1941 à 1966 - des demandes désormais consultables à la Cinémathèque Française. Ces dossiers forment une source indispensable pour les historiens de la période de Vichy et les familiers des archives des Comités d'attribution et de la série « F » des Archives nationales, pour les études sur les sources de financement de la production française et plus généralement sur les films et le cinéma de la période 1941-1966. Les archives permettent par exemple de mettre en vis-à-vis les intentions du législateur - consultables aux Archives Nationales - et leurs applications sur le terrain : une des idées forces de la loi du 19 mai 1941 d'inciter les banques à investir dans le cinéma en leur redonnant confiance, sera utilement confrontée avec les plans de financement des films des années 40-50 où le Crédit National paraît se substituer à tout autre financement bancaire. Loi du 13 août 1947 : une garantie pour l'exportation Le Comité d'attribution des avances du Crédit National est chargé d'apporter la « garantie de l'Etat aux capitaux avancés pour l'exportation de films français » (loi 47-1497 du 13 août 1947) par la Banque française pour le Commerce extérieur (BFCE). La Banque nationale française pour le commerce extérieur (BNFCE) enregistre, après sa création en 1920, une série de pertes importantes qui entraînent à leur tour, à la fin des années trente, des réformes à la faveur desquelles le Crédit National est amener à porter une souscription sur son capital et à déléguer un représentant à son Conseil d'administration. Lorsque ce courant de réformes s'achève, la collaboration entre les deux organismes bancaires se trouve renforcée, et la BNFCE est devenue la BFCE. La nouvelle implication du Crédit National dans la garantie à l'exportation cinématographique fait donc suite à ce mouvement de rapprochement des deux établissements ; historiquement, elle s'inscrit également dans un « courant d'internationalisation de l'économie française auquel le Crédit National est associé à partir de 1945 ». Lois du 23 septembre 1948 et du 6 août 1953 : acomptes sur l'aide automatique La loi du 23 septembre 1948 institue une Aide temporaire à l'industrie cinématographique (ATC), prorogée le 6 août 1953 par la création du Fonds de développement à l'Industrie cinématographique (FDIC). Les deux dispositifs législatifs reposent sur le principe fondamental et original du système français posé à l'issue de la Seconde Guerre mondiale : la répartition entre différents bénéficiaires français d'une fraction de la recette de tous les films (français ou non) exploités en France, cette fraction correspondant à la taxe additionnelle au prix des places versée par les spectateurs. Le Crédit National n'assume donc ici ni le risque ni la décision, comme il le fait au contraire lors de l'instruction des dossiers de prêts à la production. Il n'est pas non plus chargé de l'application des lois de référence de 1948 et 1953, ce qui lui revient dans la législation sur la garantie à l'exportation. Le rôle du Crédit National se résume ainsi, dans ces dossiers, à celui de rouage dans l'affectation du Compte de soutien à une aide à la production ; une aide allouée elle-même de manière automatique, sans critère de sélection. © Cinémathèque française, 2011 |