Jean Epstein

Les Berceaux

Jean Epstein
France / 1932 / 6:29 / Sous-titres anglais (English subtitles in option)

Mise en images d'une mélodie de Gabriel Fauré sur des paroles du poète Sully Prudhomme.

Cinematic illustration of a song by Gabriel Fauré with words by poet Sully Prudhomme.

Ce film a été restauré en 2011 par la Cinémathèque française à partir d'une copie nitrate issue de ses collections. À l'occasion de l'édition DVD avec Potemkine, une numérisation HD a été menée en 2013.


Lorsque le cinéma se mit à parler, il se mit aussi à chanter : les premiers films parlants sont, pour la plupart, des films chantants. La société Synchro-ciné, qui avait été fondée en 1920 par l'inventeur Charles Delacommune, s'intéresse dès ses origines à la question du son au cinéma. Au début des années 1930, elle cherche à se spécialiser dans une forme nouvelle, appelée improprement « chanson filmée ». Termes impropres en effet, puisque ce n'est pas le chanteur en train de chanter que l'on voit dans les chansons filmées, mais des images inspirées par la chanson, qui sont ensuite synchronisées avec celle-ci, interprétée en voix off. Ces films, qui durent entre trois et six minutes, sont donc les ancêtres de nos clips.

En 1931, Jean Epstein fut engagé par la Synchro-ciné pour réaliser plusieurs films : un documentaire sur Notre-Dame de Paris (film perdu), un film de fiction réalisé en Bretagne, L'Or des mers, et une série de chansons filmées dont la réalisation s'étend sur les années 1931 et 1932 : La Chanson des peupliers, Le Cor, La Villanelle des rubans, Le Vieux chaland, Le Petit chemin de fer, Les Berceaux.

Ces petits films bénéficiaient d'une réalisation soignée. Pour Le Cor, par exemple, qui est un air lyrique de Flégier d'après le célèbre poème d'Alfred de Vigny, on fit appel à un chanteur de l'Opéra de Paris, la basse Jean Claverie, interprète renommé du rôle de Méphisto (dans Faust de Gounod) ou de Wotan (dans La Walkyrie de Wagner). Epstein et son opérateur Christian Matras tournèrent les images en forêt de Villers-Cotterêts en octobre 1931. Le film fut remarqué par plusieurs chroniqueurs lors de sa projection en février 1932 pour son raffinement et sa poésie.

Tourné en 1932, après L'Or des mers, Les Berceaux est une authentique perle epsteinienne, du fait de la symbiose parfaite entre les images et la musique. Le texte de la mélodie fut écrit par le poète parnassien Sully Prudhomme :

Le long du Quai, les grands vaisseaux,
Que la houle incline en silence,
Ne prennent pas garde aux berceaux,
Que la main des femmes balance.

Mais viendra le jour des adieux,
Car il faut que les femmes pleurent,
Et que les hommes curieux
Tentent les horizons qui leurrent !

Et ce jour-là les grands vaisseaux,
Fuyant le port qui diminue,
Sentent leur masse retenue
Par l'âme des lointains berceaux.

Ce poème fut mis en musique par Gabriel Fauré en 1879 et devint l'une de ses mélodies les plus célèbres. Écrite dans la tonalité « liquide » de si♭ mineur, elle s'écoule sur un rythme régulier de barcarolle, dans un ruissellement de croches à la partie de piano qui figure une douce houle. Dans le film, la mélodie est interprétée par André Gaudin, de l'Opéra-Comique.

Pour accompagner cette musique, Jean Epstein et son opérateur Joseph Barth ont filmé, au printemps 1932, dans la baie de Cancale et à Saint-Malo, un grand voilier sortant du port et gagnant la mer au soleil levant tandis qu'une femme de marin berce son bébé au logis. Images simples et belles, où la musique de la lumière et du vent semble faire écho à celle de la mélodie.

Joël Daire