CinéMode

Le Paris des mannequins

François Reichenbach
France / 1962 / 10:55 / Sous-titres anglais (English subtitles in option)

Une séance photo sur les toits et dans les rues de Paris, sous le regard ébahi des habitants.

Le Paris des mannequins a été restauré en 2021 à l'occasion de l'exposition CinéMode. Le négatif image a été numérisé en 4K au laboratoire du CNC par la Cinémathèque française et les Films de La Pléiade, en collaboration avec les Films du Jeudi. Le négatif son a été restauré au studio L. E. Diapason. Le film est en distribution aux Films du Jeudi. Remerciements à Sarah Marty et Laurence Braunberger (Les Films de la Pléiade).


« Le regard, c'est la manière de s'émerveiller encore », dit François Reichenbach. Cinéaste du moment, cet intuitif, instinctif parfois, explique que lorsque l'on doit préparer une scène pour la filmer, c'est déjà trop tard. Ce qui passe ne repassera jamais plus, il faut saisir l'instant. C'est la spontanéité qui l'intéresse : « Je n'aime que les choses non préparées, qui se font, comme ça, dans l'élan ! », dit-il encore. Sa sensibilité et sa boulimie d'images le poussent vers des sujets variés. De Paris qui ne dort pas (1954), son premier court métrage sur une ville qu'il aime et vers laquelle il revient toujours, aux impressions d'un pays où il se rend régulièrement, les États-Unis, avec L'Amérique insolite (1960). Le regard qu'il pose sur les êtres et les choses est empreint de naïveté. Il aime faire le portrait d'hommes et de femmes célèbres ou inconnus : Brigitte Bardot en 1968, Le Roi Pelé en 1976, Maurice Béjart en 1980. De nombreux musiciens sont passés devant sa caméra tels Rostropovitch, Herbert von Karajan, Arthur Rubinstein, Maurice Ravel, car la musique est sa passion.

Il n'a pas l'âme d'un reporter ou d'un journaliste, cependant. Il filme selon sa propre vérité, transposant sa vision des choses grâce à sa caméra. Il se voit plutôt comme un peintre regardant avec son cœur et peignant le monde qui l'entoure. Cette liberté et cette vérité qu'il transpose avec légèreté, voire avec désinvolture, se retrouvent parfois dans les clichés de Jacques Henri Lartigue, avec lequel il a quelques points communs et qu'il a côtoyé dans son enfance. Il consacrera d'ailleurs à ce photographe un film en 1980.

Dans les années 1960, c'est une nouvelle manière de filmer qui s'est installée, grâce à du matériel nouveau, de la pellicule plus sensible qui permet de tourner en décor naturel sans beaucoup de lumière. Une nouvelle génération de cinéastes que l'on nomme la Nouvelle Vague propose un style de cinéma différent de ce qui se faisait jusque-là. Par le court métrage tout d'abord, Alain Resnais, Jean Rouch, Jean-Luc Godard, Jacques Doniol-Valcroze et François Reichenbach abordent de nouveaux codes esthétiques.

François Reichenbach aime à rappeler : « Je vais où l'intensité m'appelle. » Dans Le Paris des mannequins, il filme l'envers d'un décor qui se met en place devant l'œil de sa caméra. C'est la préparation d'un shooting photo dans le Paris du début des années 1960. Un texte est posé sur ses images et la musique de Jacques Loussier vient rythmer par des airs de jazz syncopés les plans de ces préparatifs. L'équipe de photographes et de mannequins s'installe tout d'abord à l'étage de la tour Eiffel, puis certains se placent sur le toit d'un immeuble de la capitale. Enfin, la troupe descend dans les rues d'un Paris aux murs décrépits et aux rues étroites, aux petites échoppes qui disparaîtront peu à peu du paysage d'une France en pleine mutation urbaine : c'est la laiterie où l'on vend de la limonade Pschitt et des petits beurres LU, c'est le café-bar téléphone où le vin est à emporter. Des passants observent cette troupe insolite qui vient planter le décor devant leur pas de porte. Deux hommes sortant sans doute du café et portant salopette de travail, casquette et cigarette se placent, curieux, devant l'objectif. L'un d'eux prend la pose et se plante à côté du mannequin habillé d'une robe longue de haute couture en voile rose et gants d'opéra blanc. Le photographe crée, par ce contraste, une opposition entre deux mondes : celui de la légèreté et du luxe contre celui de la réalité terne du quotidien des habitants du faubourg. Ce film évoque tour à tour Mon oncle (1958) de Jacques Tati, où le personnage principal maladroit tâtonne entre une ville moderne qui se transforme et ses faubourgs suspendus dans un passé bucolique. Puis Reichenbach nous transporte dans les beaux quartiers, la place de la Concorde et ses fontaines jaillissantes où le photographe a choisi un nouveau cadre pour ses clichés. Les robes et les tailleurs de Guy Laroche et du couturier américain Miguel Ferreras retrouvent ici un écrin plus congruent. Ne pense-t-on pas alors ici à quelques scènes de Funny Face (1957) de Stanley Donen avec Fred Astaire transformé en Richard Avedon et photographiant le mannequin Audrey Hepburn devant les lieux emblématiques du Paris romantique et glamour ?

Céline G. Arzatian

Céline G. Arzatian est doctorante à l'université Sorbonne-Nouvelle et mène une thèse consacrée aux liens entre le cinéma et la mode en France durant la période du cinéma muet : « Mode et cinéma en France de 1896 à 1930 : Comment habille-t-on les actrices et acteurs ? »