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Kœnigsmark

Léonce Perret
France / 1923 / 2:57:00 / Intertitres français
D'après le roman Kœnigsmark de Pierre Benoit.
Avec Huguette Duflos, Jaque Catelain, Marcya Capri, Georges Vaultier.

Un jeune enseignant découvre l'existence d'un crime au cœur d'une petite cour d'Europe.

Film restauré en 2003 par la Cinémathèque française à partir de trois éléments : un élément négatif nitrate, version destinée à l'étranger, sans intertitres, une copie nitrate teintée, sans intertitres et incomplète, provenant de ses collections, et une copie nitrate teintée, avec des intertitres et incomplète, provenant des collections de la Cinémathèque de Toulouse. La restauration a consisté à combiner ces matériaux afin d'obtenir une copie complète et à rétablir le montage et l'intertitrage d'origine en se conformant au découpage technique conservé à la Bibliothèque nationale de France. Le film a fait l'objet d'une numérisation HD en 2018.


Sorti en France à la fin de l'année 1923, Kœnigsmark de Léonce Perret est la première version d'un film qui en comptera deux autres sur trois décennies. Lorsque le metteur en scène achète les droits d'adaptation cinématographique du premier roman de Pierre Benoit, qui paraît en 1918 et dont les ventes battent des records, il a la volonté et l'espoir de faire de son film une superproduction. Son succès est immédiat et redonne de l'optimisme à la production française en permettant une belle réussite d'exploitation tant sur le sol français qu'à l'étranger.

Si le film séduit, c'est en partie parce que Léonce Perret, rentré en France après cinq années passées aux États-Unis, revient avec des méthodes de travail américaines. Là-bas, le metteur en scène est un chef d'orchestre qui choisit et dirige de nombreux spécialistes, dont le concours lui est indispensable pour mener à bien son travail. En France, le réalisateur est un homme-orchestre qui doit jouer à lui seul tous les instruments. Préconisant les méthodes américaines pour le cinéma français, il les adopte pour son film Kœnigsmark.

Le film plaît au grand public parce qu'il associe des éléments qui font un succès : une intrigue criminelle, un grand-duc, Rodolphe, qui meurt mystérieusement au cours d'une chasse au Cameroun, de la romance avec une épouse devenue veuve, éprise du jeune précepteur français chargé de l'éducation de son neveu, un cadre ténébreux, celui d'un château prussien sur fond d'histoire, celle du déclenchement de la Grande Guerre. Les extérieurs sont tournés en partie en Bavière et les intérieurs sont réalisés dans le studio de Pathé-Consortium-Cinéma. La décoration luxueuse en est confiée à la maison André Groult. Léonce Perret s'associe aussi le nom de deux illustres maisons de couture pour ces deux personnages féminins : Huguette Duflos, qui incarne la grande duchesse Aurore de Lautenbourg est habillée par les sœurs Boué, et Marcya Capri, qui joue son intrigante dame de compagnie, Mélusine, est vêtue par la maison Nicole Groult (épouse d'André Groult et sœur de Paul Poiret). Le prestige de la mode parisienne est un point important que le metteur en scène, au fait des goûts américains, ne peut pas négliger dans l'optique d'exporter le film aux États-Unis. Les spectatrices portent une grande attention aux couturiers parisiens et les acheteurs rapportent régulièrement les derniers modèles à New York. D'ailleurs, pour appuyer cette volonté de mettre en valeur la deuxième industrie du pays, le metteur en scène ne manque pas d'insérer dans son film des scènes où ces robes, ces manteaux, seront portés et vus. Ainsi le public découvre un grand mariage, celui d'Aurore, princesse de Tumène, avec le grand-duc Rodolphe de Lautenbourg. Huguette Duflos porte dans cette scène une robe de mariée de Boué Sœurs en broché blanc et argent avec une longue traîne à trois pans brodés de guirlandes de roses, dont l'une est en dentelles. La robe est recouverte d'un voile de dentelle également. La cérémonie est suivie d'un bal permettant là aussi de contempler quelques robes de soirée. Un plan du film surplombe Paris et la rue de la Paix, puis le spectateur se retrouve dans les salons d'une maison de couture. Là, un défilé de mannequins est présenté aux deux personnages féminins. Sans doute s'agit-il de la collection Boué, dont la maison est installée justement rue de la Paix, au numéro 9.

Céline G. Arzatian

Céline G. Arzatian est doctorante à l'université Sorbonne-Nouvelle et mène une thèse consacrée aux liens entre le cinéma et la mode en France durant la période du cinéma muet : « Mode et cinéma en France de 1896 à 1930 : Comment habille-t-on les actrices et acteurs ? »