Jean Epstein

L'Or des mers

Jean Epstein
France / 1932 / 1:14:22 / Sous-titres anglais (English subtitles in option)

Parce qu'il a trouvé une caisse rejetée par la mer, au contenu mystérieux, un pêcheur pauvre et méprisé est soudain courtisé par les habitants du village.

Because he found a box washed up by the sea holding mysterious contents, a poor and despised fisherman is suddenly courted by the villagers.

La Cinémathèque française possédait dans ses collections les éléments nitrates originaux (négatif 35 mm image et son). Malheureusement, ces éléments ont été détruits lors d'un incendie en 1980. Il subsistait néanmoins un contretype sonore tiré en 1976 par Marie Epstein à partir d'un interpositif (disparu lui aussi) issu des négatifs originaux. À partir de ce contretype, considéré comme le meilleur élément de tirage localisé à ce jour, la Cinémathèque française a procédé à une restauration numérique 2K, mais il existe également une copie et des éléments de conservation sur pellicule 35 mm. Cette restauration a été soutenue par l'aide sélective du CNC à la numérisation des œuvres cinématographiques du patrimoine, et les travaux ont été réalisés par le laboratoire Digimage.


« On m'a souvent demandé pourquoi je me suis adressé à une interprétation entièrement indigène. Me voici obligé de répondre. Parce qu'aucun professionnel n'aurait pu rendre ce type d'hommes et de femmes avec le même accent de vérité. Parce que dans ce cadre, et cette atmosphère authentique, tout "jeu" aurait détruit l'esprit même dans lequel le film est conçu. » (Jean Epstein, « Nos lions », L'Ami du peuple, 11 janvier 1929)

Le tournage de L'Or des mers commence durant l'hiver 1931. L'austérité des paysages peut sembler plus séduisante mais l'hiver correspond aussi à une nécessité économique : les pêcheurs, donc les îliens, sont plus disponibles. Aidé de l'abbé Jégo, recteur d'Hoëdic, qui jouera son propre rôle dans le film, Epstein part à la recherche de ses acteurs entre Houat et Hoëdic. Epstein raconte qu'il n'a pas de scénario écrit mais un film en tête depuis quatre ans. L'Or des mers est sa troisième expérience en Bretagne, et Epstein sait déjà répondre à l'une des grandes questions du cinéma ethnographique : il veut non pas faire un film sur les îliens, sur la vie à Hoëdic, mais raconter une histoire avec eux. À partir d'une trame scénaristique très simple et d'une grammaire maîtrisée des plans et des vitesses, Epstein réalise « la sublimation de la réalité la plus simple », pour citer Langlois. Les gros plans serrés de l'actrice principale, Adelina Le Gurun, qui interprète la douce Soizic, sont admirables et fascinants. Ses gestes ralentis lorsqu'elle se masque le visage, ses regards (parfois caméra) pleins de malice sont des moments de grâce cinématographique. Un cœur pur occupe l'écran. Et à ce moment même, la formule de Langlois prend sens : « L'Or des mers n'est pas un drame, c'est une tragédie de Murnau. » Epstein a su également tirer parti du caractère ludique du non-jeu des participants, comme dans la scène des sables mouvants ou des déplacements dans la lande. Epstein explique ainsi que le ralenti permet à tout acteur d'être merveilleux : « Un geste lent a toujours plus de portée, c'est plus réfléchi, on a le temps et on suppose que l'acteur lui-même a le temps aussi de modifier son geste et on se dit vraiment s'il met tant de temps pour regarder vers la porte, ou pour lire une lettre, c'est qu'il y a dedans quelque chose d'extraordinaire. Cette dramatisation du ralenti laisse donc au spectateur le temps de la réflexion et la possibilité de se substituer à la psychologie du personnage qui tourne. » Les paysages sont désertiques, le climat semble dur. Le tournage est effectivement chaotique et une catastrophe frappe plusieurs mètres de pellicule Super-Sensitive Kodak. Lors du développement, la pellicule apparaît comme « effluvée et abrasée ». Heureusement, un second lot Agfa est intact, mais le tournage prend du retard et Epstein et son équipe sont contraints à retourner les plans perdus.

L'Or des mers sera martyrisé également par les nécessités de son époque : la sonorisation. Le film est tourné en silencieux puis sonorisé par le procédé Synchro-Ciné, mais les dialogues sont affublés d'une partition imposée par la production qui ne plaira aucunement à Epstein. La proposition musicale signée Kross-Hartmann et Devaux reste en grande contradiction avec les images, les attitudes, l'atmosphère du film. On apprend même par Langlois qu'un projet de sonorisation nouvelle avait été envisagé au début des années 1950, afin de libérer le film de sa partition « wagnérienne ». Le film ne sort qu'en mai 1933, mais dans un cinéma du quartier Montparnasse, le Delambre, offrant ainsi une plus grande visibilité que les salles dites d'avant-garde comme le Vieux-Colombier ou le Studio 28. Malheureusement, c'est un échec commercial, le grand public dénigre le film et ne semble retenir que la mauvaise réputation de la bande son.

Émilie Cauquy


Pour aller plus loin, lire les Écrits complets de Jean Epstein, volume IV, Éditions de l'œil, 2022, consacré aux « écrits bretons » : https://www.editionsdeloeil.com/product-page/jean-epstein-écrits-complets-volume-iv