Cinémathèque idéale des banlieues du monde

New-Rêve

Karim Dridi
France / 1989 / 29:17
Avec Jean-Hugues Laleu, Michel Smolianoff, Marie Borowski, Véra Briole.

Dans un futur post-apocalyptique, deux hommes ayant perdu la capacité de parler se battent pour préserver les derniers vestiges de leur humanité. Ils arpentent une France ravagée et, dans un geste de désespoir, s'introduisent par effraction dans Paris. La ville, transformée en une forteresse impénétrable, est le dernier bastion d'une élite riche et décadente.

In a post-apocalyptic future, two men who have lost the ability to speak fight to preserve the last remnants of their humanity. They travel across a ravaged France and, in a desperate act, break into Paris. The city, turned into an impenetrable fortress, is the last stronghold of a wealthy and decadent elite.

Film restauré en 2023 par la Cinémathèque française à partir de l'internégatif et du négatif son conservés dans ses collections, en collaboration avec le laboratoire du CNC. Karim Dridi a supervisé l'étalonnage au laboratoire Hiventy-Transperfect. Remerciements à Karim Dridi, Laurent Bouhnik, Emma Soisson, Pauline Bassenne et Hiventy-Transperfect, Gilles Langlais, Mehdi Taïbi, Hervé Pichard.


Loin de l'imaginaire collectif sur la banlieue, souvent représentée par la cité et son urbanisme de grands ensembles, Karim Dridi tourne ce « carnaval des ténèbres » sous influence Mad Max dans des lieux périphériques, terrains en friche de Mantes-la-Jolie, abattoirs de Rungis, tunnels ferroviaires de Bercy, dalle de la place Mabillon.

Ces espaces filmés dans les années 80, disparus depuis – car la banlieue est un territoire qui reflète dans son paysage la transformation parfois rapide de la société –, expriment de manière aiguë la mise au ban, la relégation du duo de marginaux mis en scène dans le film. Paradigme de l'exclusion, ces personnages sont opposés à la fin du film à une faune fantasmée, aristocratie décadente représentée dans un restaurant situé en bordure des berges de Seine. Là encore, on mesure à quel point le film, au-delà de la fable post-apocalyptique et de son propos politique sous-jacent, documente de manière singulière les transformations d'un paysage parisien représenté sous des abords plus cauchemardesques que familiers.

Élise Girard


Le mot du réalisateur

À 28 ans, je portais l'ambition de devenir un réalisateur de films, mais sans soutien ni contacts dans l'industrie, il me fallait prouver mon talent et mon savoir-faire. En tant qu'autodidacte passionné, j'ai commencé par produire des courts métrages, en fondant Climax, ma première société de production, avec Laurent Bouhnik. Lui aussi aspirait à percer dans ce milieu difficile d'accès. Mon troisième court métrage s'intitule New-Rêve.

À cette époque, je fréquentais assidûment la Cinémathèque d'Henri Langlois, ce qui a fortement influencé ma vision cinématographique, m'inspirant notamment des films muets et de l'école russe, avec une affection particulière pour Tarkovski. Laurent, venant de l'univers de la bande dessinée (comme en témoigne son dessin pour New-Rêve), m'a initié aux œuvres de grands auteurs de BD. En parallèle, je me suis autoformé aux techniques et à l'écriture cinématographiques, tout en m'intéressant à la musique électroacoustique, ou musique concrète, notamment l'œuvre de Pierre Henry et de Schaeffer, ainsi qu'aux expériences novatrices de l'IRCAM. C'est là que j'ai rencontré Jean-Christophe Camps, un compositeur fraîchement sorti de l'école de cinéma de Vaugirard, qui a rapidement choisi de se consacrer exclusivement à la musique, ne trouvant pas assez de liberté créative dans l'industrie cinématographique.

Trente-cinq ans plus tard, en repensant à cette période, je réalise que New-Rêve est le fruit de toutes ces influences et de l'état d'esprit que j'avais alors. Mon énergie et ma détermination étaient entièrement consacrées à un but : réaliser des films libres, exigeants, et parfois radicaux. Armés d'un vieux Caméflex (une caméra 35 mm), du soutien du CNC et de l'aide de techniciens dévoués, mes associés et moi avons plongé dans l'aventure de New-Rêve. Convaincu que rien ne pourrait m'arrêter, j'étais déterminé à réaliser mes films à tout prix, sans réaliser l'ampleur démesurée de mon projet. L'idée de départ était de créer un film sans dialogues, sans pour autant en faire un film muet. J'ai alors décidé que mes personnages, suite à une guerre atomique, retourneraient à un état quasi-animal, guidés par leurs instincts. Face à l'absence de dialogues, il était impératif que le langage corporel des acteurs soit suffisamment expressif et significatif pour faire avancer l'histoire. Dans ce contexte, les films muets, ceux de Chaplin, Stroheim, Abel Gance, et d'autres, m'ont été d'une grande inspiration. Jean-Hugues Laleu, qui incarnait Le Petit, était un acteur issu du monde du mime, du théâtre de rue et du cirque. Il possédait toutes les compétences nécessaires pour que ma mise en scène puisse transmettre efficacement le récit sans paroles.

J'ai imaginé qu'à la suite d'une catastrophe atomique, mes personnages perdaient leur capacité à parler, ne pouvant plus communiquer que par des sons primaires, un peu à la manière du borborygme. Cette idée s'inspirait de l'histoire de Victor de l'Aveyron, l'enfant sauvage qui avait grandi isolé dans la forêt. Cette figure historique avait également influencé François Truffaut, qui en 1970, a réalisé L'Enfant sauvage. Mes deux personnages principaux, La Masse et Le Petit, combinaient des traits de l'enfant sauvage avec ceux des personnages de Laurel et Hardy, évoluant dans un univers de film d'anticipation. Lors de l'écriture de New-Rêve, je ne mesurais pas encore pleinement l'importance des thèmes de la banlieue et de la marginalité pour moi. Ce n'est que des années plus tard que mes longs métrages m'ont reconduit vers cette prise de conscience. La question de l'injustice sociale et de son rapport au pouvoir était cependant déjà très présente dans ma réflexion. À cette époque, je commençais également à comprendre pourquoi le naturalisme de Maurice Pialat m'attirait moins que le réalisme poétique de Jean Vigo ou de Jean Renoir.

Pour composer la musique du film, Jean-Christophe Camps et moi avons adopté une approche entièrement empirique et instinctive. Jean-Christophe était quotidiennement présent dans la salle de montage, où il élaborait en temps réel une composition musicale en parfaite harmonie avec l'assemblage des images. Nathalie Goepfert, notre monteuse, Jean-Christophe et moi-même, nous nous sommes efforcés de créer une bande sonore globale, fusionnant des sons directs, de la musique concrète, de la musique instrumentale, des bruitages et des effets sonores. À l'opposé des méthodes traditionnelles en cinéma, où les différentes phases de création sonore sont généralement cloisonnées et ne se rejoignent qu'au stade final du mixage, Jean-Christophe, qui est aussi ingénieur du son, a pu intégrer toutes ces étapes. Nous avons exploré en profondeur les notions de synchronisation et de non-synchronisation entre le son et l'image. Parfois, le son est direct et synchronisé ; d'autres fois, il s'émancipe des images et se transforme en musique, l'idée étant que chaque son soit perçu comme un élément à part entière de la composition musicale.

Concernant les costumes, en collaboration avec la créatrice Mo Burck, nous souhaitions nous éloigner d'un style naturaliste. Nous visions à représenter un monde post-atomique où les gens confectionnent leurs vêtements à partir de matériaux de récupération. Le Petit et La Masse devaient également présenter une certaine unité, comme deux frères. Les personnages jouent avec un tuyau d'aspirateur, une sorte de cordon ombilical qui les relie en permanence.

Pour l'image, j'ai opté pour un tournage en 35 mm, conscient de la nécessité d'une haute définition pour les plans larges. Cette définition était tout aussi cruciale pour la mise en valeur des détails et des couleurs des costumes. Avec Jean Poisson, le directeur de la photographie, nous avons choisi de ne pas blanchir le négatif, une tendance en vogue à l'époque. Je trouvais qu'il était judicieux de conserver des couleurs moins vives pour accentuer une atmosphère froide et aride, essentielle à la création de l'univers de New-Rêve.

La première de New-Rêve s'est tenue au Festival du film fantastique d'Avoriaz, où le film a reçu un accueil désastreux. Il se démarquait radicalement des courts métrages français de l'époque, et notre travail approfondi sur le son et la musique n'a malheureusement pas été compris. Le film est rapidement tombé dans l'oubli, sans avoir eu l'opportunité de toucher son public. C'est donc avec une joie immense que j'ai accueilli la nouvelle de la Cinémathèque : New-Rêve allait être numérisé et étalonné pour une sortie en copie 4K. Ce film maudit occupe une place spéciale dans mon cœur, et je suis ravi qu'il ait enfin la chance de revivre à nouveau.

Karim Dridi


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