Entretiens à Chaillot, 1986

Bette Davis à la Cinémathèque française

Auteurs divers
France / 1986 / 42:44
Avec Bette Davis, Henri Béhar, Costa-Gavras.

Le 22 février 1986, Bette Davis reçoit un César d'honneur sur la scène du Palais des Congrès – et en remet un à la Cinémathèque française, qui fête alors son cinquantenaire. Deux jours plus tard, Costa-Gavras, le président de la Cinémathèque, accueille à son tour l'actrice pour une conférence de presse où elle ressuscite avec verve les grandes heures de l'ancien Hollywood.

On February 22, 1986, Bette Davis received an honorary César award – and presented one to the Cinémathèque française, which was then celebrating its 50th anniversary. Two days later, Costa-Gavras, president of the Cinémathèque, in turn welcomed the actress for a press conference at which she vividly recounted the heyday of old Hollywood.

Montage réalisé à partir de rushes sur cassette Betacam retrouvés en 2023 et numérisés par la Cinémathèque française. Remerciements à François Manceaux et Michel David.


En février 1986, l'Académie des arts et techniques du cinéma invite Bette Davis à présider la cérémonie des Césars, durant laquelle elle recevra un César d'honneur. À l'annonce de cette nouvelle, près de 350 demandes d'interviews affluent sur son bureau. Pour contenter tout le monde, une conférence de presse est organisée à la Cinémathèque française. Depuis le début des années 70, l'actrice vit en toute discrétion à Neuilly-sur-Seine, non loin de sa grande amie Olivia de Havilland. L'ancienne « ouvrière » de la Warner n'a jamais cessé de travailler : téléfilms, séries B, films Disney ou grands auteurs qui pensent encore à elle, elle ne décline rien – « il faut bien que quelqu'un paye les courses ». À bientôt 80 ans, elle vient de jouer dans Les Baleines du mois d'août du britannique Lindsay Anderson et s'apprête à tourner chez Larry Cohen et dans un dernier téléfilm – elle s'éteindra en octobre 1989, à 81 ans.

Ce jour-là à Paris, les journalistes présents à la conférence viennent pour entendre parler du vieil Hollywood classique qui, à la fin des années 80, n'est plus qu'un somptueux paquebot englouti par le temps. Un journaliste du Monde raconte : « 10 heures pile, la limousine s'arrête devant l'entrée de la Cinémathèque. Bette Davis en descend, accompagnée par son assistante. Elle est plus petite, plus menue que prévu, mais il y a son regard d'enfer. Elle marche lentement, résultat d'une mastectomie, d'une alerte cardiaque, d'une fracture de la hanche. » Elle regarde la salle. À l'un des opérateurs de télévision elle demande, avec un sourire, en articulant : « Vous cadrez comment ? » Formant un rectangle de ses deux mains, l'opérateur indique le cadre. « Non. Quel est votre plan le plus large ? Le plus rapproché ? Je peux voir ? Trop proche. Pas de gros plans des narines, c'est très laid. Vous êtes trop près. Vous devriez reculer la caméra de deux rangs. »

Cette conférence de presse qu'elle voulait d'une durée d'une heure (il manque 15 minutes à la captation retrouvée récemment) est, à sa façon, la poursuite par d'autres moyens du show avec lequel elle a parcouru les États-Unis à la fin de sa carrière : Davis répondait du tac au tac aux questions du public, débitait avec malice ses répliques les plus légendaires. À la fin de sa vie, les talk-shows étaient d'ailleurs ses plateaux de tournage, où elle donnait la réplique aux grands intervieweurs américains devant un public conquis. Ici, elle ne cesse de jouer avec son traducteur, l'historien de la littérature Henri Béhar, tandis que ses nombreuses cigarettes, qu'elle triture avec sa nervosité légendaire, enfument peu à peu la salle – Costa-Gavras, lui, reste étonnamment de marbre.

Celle qui fut en guerre contre la Warner pendant longtemps se souvient ici avec nostalgie de la qualité des scénarios qu'on lui proposait, des rôles splendides qu'on offrait aux actrices, de la chance d'avoir été filmée en noir et blanc – « la couleur rend tout trop joli ». Le temps de la guerre ouverte avec la Warner et suffisamment loin pour que la nostalgie imprègne tous ses souvenirs, que le passé se transforme en ce qu'il est, un âge d'or : « J'étais satisfaite du système des studios même si je me suis beaucoup bagarré avec la Warner, mais je suppose qu'un cadre supérieur de chez Ford en fait autant. »

Murielle Joudet


Pour aller plus loin, voir la vidéo de la remise du César d'honneur à Bette Davis : https://vimeo.com/78516571