La Richesse du loup
Olaf a disparu. Il a seulement laissé à Marie, sa compagne, une boîte de K7 contenant une centaine d'heures de rushes (les sept dernières années de sa vie) ainsi qu'un carnet de notes.
Film inédit. Sélectionné au FIDMarseille (sélection officielle, 2012) et au Festival de Locarno (hors compétition, 2012).
c'est dans un passage du 11e arrondissement
que j'ai brisé l'œil électronique
le regard numérique de la fin des temps
depuis sept ans ça m'accompagnait
à chaque entracte d'une réalité fuyante
cet objet sourd qui ne m'était pas destiné au commencement
avait su me tenir en vie par un fil
poussière dans l'œil sans histoire
lorsque je scrutais le renard dans la neige
la brillance incertaine du tunnel
un pin aux cornes alambiquées
une belette ensanglantée sur le chemin
des chenilles processionnaires grouillantes
un vent steppique d'entre les pierres
archivage
dérushage
montage à venir
genèse du film
une écriture à la mémoire imagée
et prendre fait sans même connaître la voie
l'histoire des autres
leur élocution – la tienne ne sera jamais la leur
après sept années
j'ai décidé de donner au rituel un sens
dégagé de toute obligation
c'est ainsi que dans cette impasse du passage
j'ai fracassé la petite caméra à l'entrée d'un parking souterrain
senti la possibilité criante d'aller d'un côté l'autre
ce passage à la main moite
j'ai soufflé longuement sur la boule de feuDamien Odoul, novembre 2010
« Olaf a disparu. Il a seulement laissé à Marie, sa compagne, une boîte de cassettes contenant une centaine d'heures de rushes (les sept dernières années de sa vie), ainsi qu'un carnet de notes. Marie décide d'enquêter. Elle visionne jour après jour ces images, fragments de vie, et tente de reconstituer le parcours de l'homme qu'elle aime afin de mieux comprendre son départ. »
Tel nous est livré, par son auteur, le synopsis de son film. Sous couvert de fiction, il ne sera pas bien difficile à qui connaît un peu la filmographie et le parcours de Damien Odoul, l'une des écritures françaises les plus originales et les plus vigoureuses dès son second long en 2001, Le Souffle, de discerner dans cette Richesse... un autoportrait détourné.
Et si le portraituré a paradoxalement quasiment disparu à l'image (la voilà à l'œuvre, cette fugue effective, hormis ici et là quelques plans rapides, des reflets fragiles dans des lunettes, etc.), c'est pour mieux afficher qu'il refuse de se distinguer des images filmées. Images du monde, exemplairement, obsessionnellement, glanées en France et au Japon, à la ville et à la campagne, la nuit et le jour, parmi les handicapés et en plein milieu de l'enfance. Il s'agit de se raconter en collant ensemble tout ce que par quoi l'œil a été traversé et simultanément enregistré. Mémoire vive, à vif, déroulée comme le film d'une vie, loin du bilan, plus proche d'une confession qui ne lève le voile de l'énigme sur rien, pas même sur l'acte passionné du cinéma.
Jean-Pierre Rehm (FIDMarseille)