Avant-gardes et incunables

Films chrono­photographiques

Étienne-Jules Marey
France / 1889-1904 / 27:31 / Silencieux

Étienne-Jules Marey (1830-1904), physiologiste et médecin, a consacré sa vie à l'étude du mouvement humain et animal. En 1882, il inaugure en lisière du bois de Boulogne la « Station physiologique » pour y mener ses expériences. À l'aide d'une caméra à disque obturateur et plaque de verre, Marey réalise une très grande quantité de clichés chronophotographiques. La présente sélection – un florilège de 70 films couvrant ses principaux sujets d'étude (locomotion animale et humaine, gymnastique, chutes du chat et lapin, photographies de la parole) – a été réalisée par Laurent Mannoni.

Depuis 1995, la Cinémathèque française a numérisé, restauré et réanimé plus de 400 fragiles pellicules en nitrate de cellulose des œuvres d'Étienne-Jules Marey. Les premiers travaux ont été menés en coopération avec les laboratoires Cinarchives et Jean-Pierre Neyrac.


En 1888, après l'introduction sur le marché photographique des rouleaux de papiers négatifs Eastman Kodak, Étienne-Jules Marey annonce à l'Académie des sciences qu'il espère « obtenir une série d'images sur une longue bande de papier sensible, animée d'une translation rapide avec arrêts aux moments des poses ». Un pas décisif est franchi quelques mois plus tard. Durant l'été 1889, comme le prouve l'ouvrage du commandant Bonnal, Équitation, Marey réalise ses premiers films sur support celluloïd. Il a en effet adapté à sa caméra la pellicule négative en celluloïd de l'Eastman Photographic Materials Company. Le « cadre presseur », système d'entraînement conçu par Marey pour que la pellicule défile par intermittence dans la caméra, donne alors satisfaction. Le système de l'appareil est breveté le 3 octobre 1890.

Les premières pellicules utilisées par Marey en 1889 proviennent de la firme américaine de George Eastman. Mais peu après, d'autres fournisseurs, tels le Français Balagny et l'Anglais Blair, parviennent à satisfaire le physiologiste, toujours à la recherche de pellicules. Le format 90 mm demeurera le plus utilisé en raison de la grandeur et la qualité des images que Marey pouvait ensuite étudier, projeter, et même calquer. Des pellicules larges de 60 mm ont cependant aussi été employées. Quant à la longueur, elle varie entre 11 cm et 420 cm. En 1899, Marey a également utilisé du film 35 mm pour la nouvelle version de son fusil chronophotographique. Que ce soit du film 90 mm, 60 mm ou 35 mm, la pellicule n'est jamais perforée, ce qui engendre des problèmes d'équidistance des images, et empêche Marey de réussir pleinement dans la voie des projections chronophotographiques.

Les films du physiologiste ont été réalisés pour l'étude de phénomènes précis, dans le cadre d'études spécifiques : la marche du soldat, l'économie des forces musculaires, la locomotion du cheval, etc. Les images de ces films ont également servi à Marey pour étayer ses théories scientifiques, et sont donc publiées dans ses nombreux articles et ouvrages. Par exemple, les célèbres films sur la chute du chat ont paru dans la presse en 1894. Par ailleurs, l'apport du préparateur de Marey, Georges Demenÿ, est immense : il continuera d'ailleurs à réaliser des films après son renvoi de la Station physiologique en 1894. Il s'alliera avec Léon Gaumont en 1895.

La dualité des images mareysiennes a de quoi troubler. En raison de leur beauté, de leur mystère, elles captivent aujourd'hui le grand public qui est en général totalement ignorant des problèmes posés par la physiologie du mouvement. En raison de leur signification, de leur raison d'être, elles passionnent les physiologistes et les biomécaniciens actuels. Marey jouait déjà sur cette ambiguïté à son époque : il cherchait à réaliser des images de plus en plus étonnantes afin de surprendre le monde scientifique et le public. Son programme n'était-il pas de « voir l'invisible » ? Cette course en avant vers le spectaculaire allait engendrer, un peu plus tard, l'industrie du septième art.

La Cinémathèque française possède plus de 420 négatifs originaux de Marey ; les Archives françaises du film du CNC en conservent environ 160, ce qui donne une idée de la considérable filmographie du premier « réalisateur de film » du XIXe siècle. Ces films proviennent tous, ou presque, de la même source : l'Institut Marey. La Station physiologique, où il va réaliser la majorité de son œuvre filmique, est créée en 1882. En 1901 est édifié juste à côté un Institut Marey, notamment chargé de contrôler et d'uniformiser les appareils de la méthode graphique. Mais il servira aussi de laboratoire pour d'autres recherches. Surtout, il abritera le premier Musée Marey, qui sera malheureusement démantelé à sa mort. Les deux principaux disciples de Marey, Pierre Noguès et Lucien Bull, préserveront les archives, les appareils, les plaques de verre et les films, à une époque où plus personne ne s'y intéressait.

En 1963, Henri Langlois, secrétaire général de la Cinémathèque française, décide d'organiser au palais de Chaillot la première exposition consacrée à Marey. Lucien Bull lui offre à cette occasion des appareils, des archives, et les négatifs originaux. Pierre Noguès donnera également des appareils, et vendra à la Cinémathèque une grande partie de ses archives personnelles. C'est également durant les années 1960 que Jean Vivié, historien des techniques cinématographiques, rencontre Lucien Bull. Vivié fera beaucoup pour sortir de l'ombre Bull, pionnier du cinéma scientifique et auteur d'extraordinaires films à grande vitesse. En remerciements, Bull lui offrira des archives et le reste des films Marey en sa possession – ceux qui se trouvent désormais aux Archives françaises du film.

Laurent Mannoni


En 2006, la collection des films Marey de la Cinémathèque française a été éditée en DVD, joint à l'ouvrage E J Marey : Actes du colloque du centenaire (Arcadia Éditions), dirigé par Dominique de Font-Réaulx, Thierry Lefebvre et Laurent Mannoni : https://www.heeza.fr/fr/dvd-courts-metrages/991-dvd-etienne-jules-marey-films-chronophotographiques-1890-1904.html

Consulter les collections liées à Étienne-Jules Marey (dont le fameux fusil chronophotographique à bande pelliculaire) dans le Catalogue des appareils cinématographiques de la Cinémathèque française