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HENRI, premier anniversaire

L'Aimée

Arnaud Desplechin
France / 2006 / 1:06:05 / Sous-titres anglais (English subtitles in option)
Avec Robert Desplechin, Arnaud Desplechin, Fabrice Desplechin.

À l'occasion de la vente de la maison familiale, Arnaud Desplechin revient, en compagnie de son père, de son frère et de ses neveux, sur l'histoire de sa grand-mère. Unique documentaire du cinéaste, tourné dans sa ville natale, Roubaix.

As the family home is about to be sold, Arnaud Desplechin, in the company of his father, his brother and his nephews, recalls the life of his grandmother. The filmmaker's only documentary, shot in his native town, Roubaix.

Remerciements particuliers à Caroline Champetier, Arnaud Desplechin, Pascal Caucheteux et Nadège Le Breton (Why Not Productions), Fumiko Takagi (Criterion).


Le narrateur a perdu une femme aimée.

Il n'a pas de photo de la disparue, pas une image sinon deux dessins maladroits. Et c'est un deuil sans fin...

Le narrateur se souvient d'une ressemblance ténue entre la disparue et sa grand-tante dont un portrait est accroché à Roubaix chez ses parents.

Le père est en train de vendre la maison familiale. Aussi, le narrateur décide de filmer l'endroit où il a grandi. À travers le récit de son père, il collecte ainsi les images de ces femmes aimées, tous les visages des mortes se répondant l'un l'autre...

Tandis que la maison s'évanouit, les souvenirs réparent.

A-t-on jamais connu celle que l'on croit avoir aimée ? Bien sûr, nous n'avons cessé de méconnaître, ignorants et maladroits. Mais l'aimée, elle, nous a connus. Et c'est là un secret de l'amour.

Arnaud Desplechin


Évidemment, dans cette fin d'été 2006 où Pascal Caucheteux m'appelle en me demandant mystérieusement si je suis libre pour une semaine ou deux, je ne sais rien de la mort de l'aimée, ni même qui est l'aimée.

Pascal me dit qu'Arnaud ne va pas fort, qu'il doit se remettre en selle pour son prochain film, je suis cette sœur de cinéma éloignée, sur qui on peut compter, comme sur la productrice Martine Cassinelli.

Nous rassemblons très vite de quoi faire un film, Arnaud quelques feuillets, nous quelques personnes et quelques outils, il ne reste qu'une énorme caméra Moviecam disponible, Arnaud a envie ou besoin de tourner en 35 mm, c'est un film de famille.

Donc une équipe, une maison, celle où Arnaud, son frère et ses sœurs ont été élevés, une de ces maisons du Nord, étages et briques, comme celle de La Vie des morts, le premier film d'Arnaud, film de famille déjà.

Devant la caméra, des hommes vivants pour évoquer des femmes mortes. Le père et ses deux fils, l'un solaire, l'autre lunaire, les fils du premier, toute la blondeur de l'enfance, magnifiques à regarder à travers la visée. Les femmes sont la mère du père, éloignée des siens par la maladie, à laquelle on a montré son petit garçon depuis un jardin ou depuis une fenêtre. Le père parle de tout cela avec une simplicité grave et des amusements soudains, il ressemble un peu à Bernard Pivot, portant ses lunettes tantôt sur le nez tantôt sur le front, il est follement sympathique. Arnaud l'interroge comme un enfant questionne son père : scène de famille, mais une caméra filme, d'une pièce à l'autre, toujours des amorces de porte en premier plan, des perspectives un peu compliquées comme dans ces situations où l'on perçoit ce que se disent les gens depuis une autre pièce, une indiscrétion attentionnée.

Il y a aussi les deux sœurs de la mère, Tanteu au visage singulier et Rose-Aimée, homosexuelle, s'habillant en costume d'homme, personnage de fiction qui me plaît beaucoup sur les photos d'époque que s'échangent Robert le père et Arnaud le fils. Et encore des suivis en voiture dont je suis fière quand je les revois, peut-être la musique de Vertigo les rehausse-t-elle à mes yeux.

Beaucoup plus tard, j'ai compris que « l'aimée » était peut-être une autre femme, l'analyste d'Arnaud, soudainement décédée, et que ces morceaux épars que nous avions ramassés ensemble étaient comme les cailloux qu'on dépose sur les tombes juives.

Plans souvenirs, souvenirs de plans, éparpillement, famille.

Caroline Champetier