Dessin de Robert Herlth pour Faust de Friedrich Wilhelm Murnau, 1926
(fusain sur papier, 31,5 x 44,5 cm)
Décorateur et créateur de costumes pour le théâtre et le cinéma.
(Wriezen-sur-l’Oder, 1893-Munich, 1962)
Après des études à l’Ecole supérieure des beaux-arts, à Berlin, Robert Herlth rencontre pendant la Grande Guerre l’architecte de film Hermann Warm. Grâce à celui-ci, il est envoyé en détachement au théâtre aux armées de Vilnius comme décorateur. En 1919, il entre à l’Ecole nationale des arts décoratifs, à Berlin, et collabore l’année suivante avec Warm, nommé chef architecte de la Decla-Bioscop, pour le film Masken, de William Wauer. Herlth signe ensuite avec Walter Röhrig les décors de Das lachende Grauen, de Rudolph Meinert (1920). Herlth, Warm et Röhrig sont réunis pour le film Toteninsel, réalisé par Carl Froelich, et surtout pour Der müde Tod (Les Trois Lumières) de Fritz Lang (1921).
La collaboration avec Murnau est pour Herlth le couronnement de sa carrière: Schloss Vogelöd (1921, décors avec Warm); Der letzte Mann (Le Dernier des hommes, 1924, avec Röhrig); Tartüff (Tartuffe, 1925, avec Röhrig); et Faust (1925-1926), pour lequel il signe les décors et les costumes avec Röhrig. Les dessins de Herlth pour ce dernier film, conservés à la Cinémathèque française, sont de purs chefs-d’œuvre. Après Faust, Murnau et Jannings sont appelés à Hollywood, de même que Herlth, mais celui-ci ne veut pas se séparer de son camarade de travail Röhrig.
Herlth travaille aussi avec Röhrig et Hans Poelzig pour le film Zur Chronik von Grieshuus (La Chronique de Grieshuus, 1924) d’Arthur von Gerlach. Pour Pabst, il signe avec Röhrig les décors de Der Schatz (Le Trésor, 1922), encore tout imprégné d’expressionnisme. Lotte Eisner décrit ainsi le style de Herlth: «Jamais il ne se serait engagé dans un expressionnisme purement extérieur. Il était trop plein de vie pour cela, il avait besoin des vagues d’une lumière impressionniste pour ses espaces intérieurs. Ainsi, les décors gonflés, fignolés, argileux de Der Schatz ou de Zur Chronik von Grieshuus ne sont jamais schématiquement abstraits, on y devine la structure naturelle. […] Pour Le Dernier des hommes de Murnau, Herlth construit dans un flot de lumière le vestibule et la porte-tambour de l’hôtel, et tout cela fusionne en rayonnant dans le rêve de l’ivresse. Dans Tartuffe, il invente une architecture entre le baroque et le rococo, qui avec ses courbes glissantes et la douceur de ses profils demeure sans rien de superflu, sans aucun ajout ornemental. Et dans sa noble sobriété, elle semble un doux écho, un reflet du style d’une époque. Et exactement comme pour les costumes qu’il a ici imaginés lui-même, rien dans cette architecture n’est simplement décoratif ou ne paraît “costumé”, mais tout devient le souffle même de la réalité. […] Des pignons pointus, dans lesquels survit un souvenir expressionniste, animent la ville crépusculaire et ses escaliers dans Faust. Là aussi, rien d’une exactitude pour décors de théâtre, aucune imitation de tableaux moyenâgeux, mais une discrète allusion à un siècle précis.»
D’autres insistent sur son talent de costumier: «Il avait le don de transposer chaque scénario en un matériau optique et filmique, et de créer pour les acteurs et actrices, chanteuses et chanteurs, danseuses et danseurs - et souvent aussi pour d’énormes masses de peuple - les conditions particulières demandées par chaque rôle. Il a réalisé un travail fantastique, presque cent films, pour lesquels il façonnait un univers jusque dans le plus petit détail. Outre le style des costumes et chaque accessoire, il choisissait aussi le tissu du mobilier jusqu’aux rideaux, dessinait coiffures, bijoux, faisait fabriquer des meubles…» (Rolf Badenhausen).
Après l’avènement du film sonore, Herlth travaille avec Gustav Ucicky, Robert Siodmak, Anatole Litvak, Erik Charell, Gerhard Lamprecht, Ludwig Berger, Veit Harlan, Leni Riefenstahl, et même Jean Grémillon (Valse royale, 1935, avec Röhrig)… En 1937, Herlth est engagé à la Tobis, puis à la Terra, et il cesse de travailler avec Röhrig, en raison, selon Lotte Eisner, de divergences politiques («Herlth était un homme droit et juste, à qui cette magie pourrie du nazisme répugnait»). Herlth vit la fin de la guerre à Berlin. Il fixe la situation en de saisissants dessins au fusain. Il travaille ensuite comme décorateur à l’Opéra de Berlin et au Schlossparktheater. A cette époque, Herlth doit souvent brader son art au profit de films médiocres. Mais dans le troisième Alraune (1952), il sait encore créer un mystérieux clair-obscur. Çà et là, en laissant tomber un rayon de lumière, par exemple, dans une sombre bibliothèque, il sauve un instant ce film d’Arthur Maria Rabenalt. Celui-ci témoignera: «Herlth ne construisait pas le décor d’une scène, il le composait comme un poème et le concentrait. Il construisait en même temps l’idée, le climat spirituel et physique, il introduisait dans ses décors de la critique et une distance ironique, de l’enthousiasme et de la retenue. Il faisait d’un milieu réel et profane une vision, une parabole. […] Il n’était pas un partenaire facile pour nombre de metteurs en scène et d’opérateurs. Car il tenait à “son” plan, et il a souvent, furieux, rectifié de ses mains la position de la caméra.»
En 1948, après un passage à la Neue deutsche Filmgesellschaft et à la Camera-Film (Munich et Hambourg), Herlth est engagé comme décorateur à la Columbia-Film de Rome. Il reçoit en 1960 le prix Fédéral du cinéma pour le film Buddenbrooks (Les Buddenbrook) d’Alfred Weidenmann (1959). Mort à Munich, le 6 janvier 1962, Herlth est enterré au cimetière de Grünwald, dans la forêt.
Laurent Mannoni
Source: (Collectif), Filmarchitektur Robert Herlth, München, Deutsches Institut für Film und Fernsehen, 1965.