Femmes tunisiennes dévoilées

extrait de l'émission "Les femmes aussi", 1968, INA

Ce reportage est extrait de l'émission Les femmes aussi du 1er janvier 1968. Ce programme mensuel, diffusé par l'ORTF de 1964 à 1973, est né d'un constat : "aucune émission de télévision en 1964 ne s'adressait avec intérêt et respect aux femmes. Il fallait montrer des femmes différentes dans toutes les circonstances de leur vie et essayer de les faire prendre au sérieux par cette masse de téléspectateurs qui n'avait jusqu'alors dans ses programmes qu'une vision partielle des femmes à travers le stéréotype : couture, maquillage, cuisine". (1)

L'émancipation de la femme tunisienne est illustrée par ces images de la Journée de la femme du 13 août 1966. Habib Bourguiba (1903-2000), président de la Tunisie depuis 1957, s'avance vers la foule et ôte aux femmes leur sefsari (2). Artisan de l'indépendance tunisienne et instaurateur du Code du statut personnel (3), Bourguiba bénéficie d'une légitimité populaire suffisante pour s'autoriser ce geste transgressif. Ses réformes en faveur des femmes lui ont tout de même valu une condamnation à mort du grand mufti d'Arabie Saoudite.

Bourguiba n'a cessé de "se glorifier" de son action pour l'émancipation des femmes ; il se fit d'ailleurs édifier un mausolée où il s'octroyait le titre de "Libérateur de la femme". Par ce geste du dévoilement, médiatique et sans doute prémédité, Bourguiba se met en scène comme le seul artisan de l'émancipation féminine ; il "forge son propre mythe" (4). L'émancipation est contrôlée (présence de casques coloniaux, de militaires), presque forcée (certaines femmes gênées retiennent leur voile) et teintée d'un certain paternalisme (la petite tape sur la joue).

Depuis quelques années, la question de la recrudescence du voile ressurgit dans le débat public en Tunisie. En octobre 2006, le régime a même donné l'ordre à la police d'arracher quelques voiles dans la rue, au hasard. Malgré l'ambiguïté de son geste, Bourguiba a provoqué d'indéniables avancées. L'historienne Sophie Bessis se souvient encore d'avoir entendu, enfant, des femmes répliquer à un mari tyrannique: "Un mot de plus et je vais chez Bourguiba !" (5)

(1) Eliane Victor, Les femmes aussi (Paris, Mercure de France, 1973), p. 8.

(2) Voile traditionnel tunisien, également orthographié safsari ou sefseri, composé d'un drap blanc couvrant le corps et le visage. Il est porté par pudeur, afin d'éviter les regards masculins.

(3) Instauré par Bourguiba le 13 août 1956, quelques mois seulement après la proclamation de l'indépendance. Il abolit la polygamie et améliore la position de la femme au sein de la société et de son foyer. Le divorce judiciaire est mis en place et le mariage interdit aux jeunes filles de moins de 17 ans.

(4) Tahar Belkhodja, Les Trois décennies Bourguiba. Témoignage (Paris, Publisud, 1998), pp. 19 et 191.

(5) Sophie Bessis, Les Arabes, les femmes, la liberté (Paris, Albin Michel, 2007).

Bourguiba
Marc Riboud - Bourguiba - 1957
Bourguiba
Marc Riboud - Bourguiba - 1957
Un été à La Goulette (Férid Boughedir)
Marc Paufichet - Un été à La Goulette (Férid Boughedir) - 1994
Voilées, dévoilées
Femmes des années 1960