La Cinémathèque française

Bergman
vu...

Ingmar Bergman vu par les cinéastes du monde entier qui ont trouvé dans les images de l'ermite de Fårö matière à étonnement, fascination, agacement... et inspiration.
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de France

Jean-Luc Godard

Il faut avoir vu Monika rien que pour ces extraordinaires minutes où Harriett Andersson, avant de recoucher avec un type qu'elle avait plaqué, regarde fixement la caméra, ses yeux rieurs embués de désarroi, prenant le spectateur à témoin du mépris qu'elle a d'elle-même d'opter involontairement pour l'enfer contre le ciel. C'est le plan le plus triste de l'histoire du cinéma. Un film d'Ingmar Bergman, c'est, si l'on veut, un vingt-quatrième de seconde qui se métamorphose et s'étire pendant une heure et demie. C'est le monde entre deux battements de paupières, la tristesse entre deux battements de cœur, la joie de vivre entre deux battements de mains.

François Truffaut

Jeux d'été de Bergman a été un événement pour moi : c'est le film qui m'a donné l'impression que tout le monde peut écrire des dialogues de films, du moins que moi, en tout cas, je pouvais en écrire. C'était l'idée du naturel : réécrire ce qu'on dit dans la vie, ce qu'on a entendu. Ce qui est curieux, c'est que ça se soit passé à travers un film suédois sous-titré français, parce que j'aurais pu avoir ce choc-là à travers les films de Renoir dont je connaissais aussi la musique des phrases par cœur. Mais enfin, c'est Sommarlek qui a vraiment déclenché chez moi cette envie. Je me suis dit : « Au fond, je peux écrire des scènes d'amour ! » De même que Monika a dû être important pour Les 400 coups, dont c'était un peu une version femme. Ça m'avait stimulé. Parce que je ne suis pas de ces gens qui inventent tout, qui partent de zéro.

Jacques Rivette

Je ne suis pas le moins du monde M. Je‑Regrette, mais je ne suis pas du tout M. Ingmar Bergman non plus. J'admire Bergman énormément, mais bon ! quelqu'un qui se sert de sa vie pour écrire de fabuleux scénarios, puis les filme tout aussi fabuleusement, ce côté Dr Jekyll et Mr Hyde, je ne comprends pas comment ça marche. C'est une autre façon d'être.

Éric Rohmer

Bergman se place en dehors de toute catégorie morale ou même pratique. Ce n'est pas le succès mais le bonheur, la permanence d'un état heureux, qui fait l'objet de son étude. S'attachant à trouver l'éternité dans l'instant, l'absolu dans la sensation, son propos est contradictoire : le prix de l'instant est illusoire, mais il n'y a de bonheur que dans l'instant. Et le prix en est gâté par le fait que nous le savons illusoire.

Françoise Fabian

Bergman occupe une place majeure dans mon panthéon personnel. Ce metteur en scène, l'un des plus grands au monde, a analysé l'esprit des femmes de façon extraordinaire. Lorsque j'ai vu Sonate d'automne au cinéma, j'ai pensé que le rôle joué par Ingrid Bergman était pour moi.

Jean-Pierre Marielle

Il est le cinéaste ultime, qui absorbe tout ce qui fait la beauté du cinéma. Il filmait la vie telle que je la ressens. Réflexion faite, j'aurais dû baptiser mon fils Ingmar, ou Bergman.

Jacques Doillon

J'admire Ingmar Bergman et, comme lui, je pense qu'il faut davantage fonctionner avec ses nerfs qu'avec sa tête.

Olivier Assayas

Dans les années 70, j'ai grandi en adorant ses films. J'avais une passion pour son travail, mais sans le dissocier de ma passion pour le cinéma moderne. Bergman a été décisif lorsque j'ai fait mon deuxième film, L'Enfant de l'hiver, quand j'ai réalisé que ce qui m'intéressait dans un film, c'était de filmer des acteurs. J'étais fasciné par le processus de ce qui se passe sur le visage. J'avais la vague idée que cela avait quelque chose à voir avec Bergman. Il y avait quelque chose dans son travail qui me parlait directement en termes d'intimité dans l'écriture et pour la façon dont il utilisait des éléments semi-autobiographiques. N'importe quel cinéaste qui essaie de pénétrer la structure des relations humaines arrive sur le territoire de Bergman. Ce que j'ai appris de lui, c'est qu'on peut explorer les relations humaines avec un haut niveau de brutalité et de crudité, tant qu'on aime ses personnages. C'est un terrain hasardeux, mais je pense que, quelque part, son cinéma est déterminé par une pulsion sexuelle. À un moment donné, la nature de son inspiration a changé. Il est devenu plus réfléchi, plus intéressé par le passé. Après Fanny et Alexandre, il devait penser que ses jours de tournage étaient terminés, qu'il allait juste s'asseoir et être spectateur de sa propre postérité. Il analysait son travail de cinéaste de l'extérieur. Il se sentait étranger à la façon dont le cinéma évoluait. Mais j'étais totalement convaincu que cela deviendrait insupportable et qu'il recommencerait à faire des films. Pour moi, Sarabande est un chef-d'œuvre qui appartient à un autre monde.

Arnaud Desplechin

La légende dit qu'il ne fait pas un cinéma de voix off. Très souvent, il y a des narrateurs. Ils ne commencent pas ses films, ils interviennent en cours de route pour accélérer le récit. Dans Persona, un narrateur intervient à la fin du premier tiers, quand elle quitte l'hôpital pour aller à la campagne. Tout d'un coup, tout est dit. Dans Une passion, il y a deux narrateurs, un au début et un autre, au milieu, qui dit : « Finalement il ne sort plus avec Bibi Andersson, le voilà marié avec Liv Ullman. Cela fait un an et demi qu'ils sont ensemble. » On se dit : « Oh, putain ! L'ellipse va super vite ! » La rapidité du récit chez Bergman est quelque chose qui m'a beaucoup influencé. Mon savoir populaire tenait en un seul nom : Bergman. Je connais Bergman, je le pratique tout le temps, je connais les scènes, les inflexions, la technique et les principes moraux qui génèrent les images, ainsi qu'un principe : ne pas être effrayé par l'affront ni par la violence. Il me semble qu'une mise en scène provenant des arts nobles donnerait un côté romantique à la chose, où on accuserait par exemple le personnage féminin, en en faisant une méchante. Mon point de vue était bergmanien dans le sens où j'admettais que ces choses puissent arriver ; il suffit que ça dérape.

Claire Denis

Je me souviens de ce que j'ai éprouvé lorsque j'ai vu Monika pour la première fois... J'ai ressenti physiquement ce que c'était d'être une jeune femme, ce sentiment de l'été, de jeunesse, et de vivre le présent. Il y a pour moi dans ce film, encore aujourd'hui, quelque chose d'unique. Combien de fois – peut-être trois –, j'ai écrit un scénario qui s'intitulait Monika. Parce que c'est pour moi un mot magique, qui signifie « une jeune femme avec un corps vivant »... Je l'ai reçu comme s'il avait été réalisé pour moi.

Albert Dupontel

Cela a été un choc quand j'ai vu Persona de Bergman. On en voit un, puis deux... Sonate d'automne a fini par m'achever. C'est une façon de faire que vous ne ne comprenez pas, que vous ne connaissez pas et c'est prodigieux d'efficacité.

d'Europe

Mike Hodges

Jeune homme, j'ai passé presque une nuit entière à discuter après avoir vu Le Septième sceau. C'était un film très énigmatique et il n'y avait pas beaucoup de films qui appréhendaient la mort et ce qui se passe après, toutes ces questions métaphysiques. Il n'y en a toujours pas. Fellini et Tarkovski disparus, il est le dernier de cette grande période du cinéma. J'ai laissé tomber Bergman au moment de L'Œuf du serpent. Ses films semblaient prendre une tournure profondément morbide, et je suppose que j'en avais assez. J'étais arrivé à un point où ses films ne me semblaient plus aussi intéressant, mais je suis revenu à lui lorsque j'ai vu Persona, qui était absolument extraordinaire.

John Boorman

Je pense qu'il a influencé tout le monde. Mieux que personne, il a montré à quel point on peut profondément pénétrer l'esprit humain dans un film. (...) Les gens disent qu'il n'a aucun sens de l'humour, mais regardez des films comme Sourires d'une nuit d'été, qui en sont plein. Il y a eu un moment où ses films sont devenus plus sombres et répétitifs. Mais ses derniers films parlent de la famille et des relations familiales, et ceux-là sont merveilleux.

Terence Davies

Il y a certaines histoires dans les classiques de Bergman auxquelles je ne crois pas. Je ne crois pas au Silence. Je ne crois pas au Septième sceau. Mais dès que je vois la scène d'ouverture de Cris et chuchotements, je suis absolument captivé. De même, le pasteur de Fanny et Alexandre est vraiment effrayant. Rien que d'y penser, j'en ai froid dans le dos, à cause de ma peur de l'emprise de la religion, surtout lorsqu'elle est entre les mains d'une personne malveillante. À son meilleur, Bergman atteint cette universalité de joie et de terreur.

Sally Potter

Le premier film de Bergman qui m'ait vraiment emportée, c'est Persona. C'était un mélange de matériau purement filmique combiné à une incroyable profondeur psychologique. Quelque chose de chaleureux et de passionné au milieu de la froide lumière du Nord. Il y a ce jeu d'échecs émotionnel auquel il se livre avec ses personnages. Il y a une fascination et une compassion pour les personnages féminins. Quand j'étais adolescente, je ne ressentais pas de proximité avec ces femmes, mais ça n'avait pas d'importance.

Andreï Tarkovski

Je ne suis intéressé que par l'opinion de deux personnes : l'une s'appelle Bresson et l'autre s'appelle Bergman.

Michael Apted

Bergman était l'incarnation même du réalisateur des réalisateurs : créant des films magnifiques, complexes et intelligents qui s'imprimaient en permanence dans la psyché.

Paul Verhoeven

Le Septième sceau m'a fait comprendre que les films peuvent être de l'art. Ce film m'a inspiré pour devenir réalisateur. C'est l'un des films les plus puissants et importants jamais réalisés.

Ken Russell

ll était probablement le plus grand des cinéastes, un Suédois pessimiste. Il pouvait difficilement regarder ses propres films, apparemment ils le rendaient malheureux. Avoir fait cinquante films avec autant de variations sur la souffrance est une performance.

Terry Gilliam

J'aime énormément les mondes créés par Bergman. Le premier qui m'a frappé est bien sûr Le Septième sceau. Ça commence par une histoire médiévale mais, tout à coup, ça prend un chemin très différent. On vous emmène à un endroit où il y a des chevaliers qui se battent à cheval, mais la bataille est très différente ; tout semble terriblement crédible et réel. Les personnages sont si fascinants que votre intérêt va de l'action au personnage. Visuellement, c'était incroyable. Les grands créateurs d'images m'ont toujours impressionné, et Bergman et son chef-opérateur, Sven Nykvist, étaient phénoménaux. Les images, les visages... J'avais l'impression d'être là, avec eux. Et son monde imaginaire... Je l'aime tout autant.

Michael Haneke

Quand j'avais quatorze ans, j'ai sérieusement envisagé de devenir prêtre. C'est la raison pour laquelle les films de Bergman ont si bien fonctionné avec moi et m'ont beaucoup influencé. Le climat cinématographique de l'époque était entièrement composé de comédies stupides. Et c'était l'âge où je lisais Dostoïevski et je me suis dit : « Enfin quelqu'un me comprend ! » C'était pareil avec les films de Bergman. Ils ont eu un grand impact sur nous tous et ont été très novateurs. Cette façon profonde de traiter les questions existentielles n'existait pas au cinéma.

Michael Winterbottom

Il y a de la simplicité dans ses films. Ils sont très beaux, très bien joués, mais en il y a en leur sein une approche très simple de la réalisation, l'idée que si on enregistre les choses avec suffisamment d'honnêteté et de détail, même dans des situations qui semblent dépourvues de tout aspect dramatique, il y aura la capacité à émouvoir les gens et à montrer ce qui se passe sous la surface. On parle de quelqu'un qui a fait de grands films dans les années 50, 60, 70 et 80. C'est un travail incroyable. Dans un sens, sa carrière et sa façon de filmer se sont de plus en plus simplifiées. Il a essayé de se débarrasser du superflu et de se concentrer sur l'essentiel. Il est plus facile d'emprunter à sa façon de travailler plutôt qu'à ses films même. On ne peut pas surpasser ses films ; personne ne peut les copier.

Thomas Vinterberg

À l'école de cinéma, nous avons fait un marathon Bergman, durant lequel nous avons vu ses douze premiers films. Puis, plus tard, j'ai vu Fanny et Alexandre et quelques autres, parmi ses plus célèbres. Je dirais que c'était un cinéaste avec une précision fantastique, d'une grande psychologie, et qu'il me donnait à voir des êtres humains comme personne ne l'avait fait avant lui. Certains des gros plans de ces magnifiques actrices suédoises m'ont poursuivi. Il créait des personnages féminins dont vous tombiez amoureux instantanément, il mettait à nu leur vie intérieure intense d'une manière que je n'ai jamais vue auparavant ni depuis. Après avoir fait Festen, je l'ai appelé. Il était très, très vif, parlant depuis son île. Je m'étais attendu à un homme moins en forme. Il disait qu'il ne travaillerait plus, et qu'il avait désormais le temps de s'asseoir dans un coin de sa maison et de lire certains de ces merveilleux livres qu'il n'avait jamais pu lire. Il m'a dit que Festen était un chef-d'œuvre, ce qui m'a réjoui, mais aussi à quel point le Dogme était ridicule et stupide. Nous l'avons invité une fois à faire un film du Dogme, mais il n'a pas voulu. J'ai essayé d'expliquer en quoi le Dogme n'était pas absurde, mais j'ai très rapidement capitulé. Il n'allait pas changer d'avis, quoi que je dise. Je lui ai seulement parlé une fois. Ça a été vraiment stimulant. Si je peux être comme lui au même âge, alors la vie n'est pas si mauvaise.

Tomas Alfredson

Bergman est connu pour être sombre, ou plutôt ses films sont assez sérieux et sombres. Mais ses comédies des années 1950 sont très amusantes. Surtout en termes de tempo, ils sont très intéressants à regarder. Le tempo est si rapide qu'on a du mal à suivre mais les images sont très tranquilles, et le langage est très calme. Il y a beaucoup de choses dans les films de Bergman qui sont drôles. Ils contiennent une sorte d'humour subtil, pas du tout le côté gifle. Il ne fait pas dans le slapstick façon « industrie du divertissement ».

des U.S.A.

Stanley Kubrick

9 février 1960
Cher monsieur Bergman,
Vous avez sûrement reçu tant d'éloges et connu tant de succès partout dans le monde, ce qui rend cette note complètement inutile.
Néanmoins, quoiqu'elles valent, j'aimerais y ajouter les louanges et la gratitude du camarade cinéaste que je suis pour la contribution brillante et extraordinaire qu'à travers vos réalisations vous avez offerte au monde (je ne suis jamais allé en Suède et n'ai donc jamais eu le plaisir d'assister à l'une de vos pièces de théâtres). Votre vision de la vie m'a profondément ému, bien plus qu'aucun autre film n'a pu le faire. Je pense que vous être le plus grand réalisateur vivant aujourd'hui.
Permettez-moi aussi de vous dire que vous n'avez pas d'égal quant à la création d'ambiances et d'atmosphères, la subtilité des performances, le déni des évidences, l'authenticité et la perfection des personnifications. Il faudrait également y inclure tous les éléments qui composent la réalisation d'un film. Je crois que vous avez la chance d'être entouré d'acteurs merveilleux. Max von Sydow et Ingrid Thulin vivent intensément dans ma mémoire, ainsi que de nombreux membres de votre troupe d'acteurs, dont le nom n'échappe.
Je vous souhaite à tous le meilleur que l'on puisse souhaiter, et j'attendrai avec impatience chacun de vos films.
Sincères salutations,
Stanley Kubrick

Woody Allen

Le style de Bergman a commencé à prendre tournure avec Monika. Avant cela, les films qu'il faisait ressemblaient à de très bons films américains. Mais il y a une sorte de rupture avec Monika, et ensuite cela a évolué vers l'émergence d'un grand style poétique. Lorsque les préoccupations du cinéma sont passées du monde extérieur au monde intérieur, Bergman a développé une grammaire, un vocabulaire pour exprimer ces conflits intérieurs avec brio. Notamment l'utilisation du gros plan d'une manière tout à fait nouvelle. De très proches et très longs, longs, gros plans statiques. L'effet est vraiment excitant parce qu'il est imprégné de son génie propre. Je ne veux pas me retrouver dans la même situation que beaucoup de mes contemporains, lorsqu'ils espacent leurs films de plusieurs années et que ça devient un « Grand Événement ». C'est pour ça que j'ai toujours admiré Bergman. Il travaillait tranquillement sur son île, faisait un tout petit film et le sortait, et ensuite il travaillait sur le suivant. Le travail était important. Pas le succès ou l'échec éventuel, l'argent ou la réception critique.

Martin Scorsese

L'un des aspects les plus frappants de l'œuvre de Bergman, c'est sa simplicité magistrale. Scènes de la vie conjugale, par exemple – il fait ce qu'on doit faire quand on réalise un film sur un couple, il se concentre sur les bases : le salon, la chambre à coucher, la cuisine, le bureau, le salon. On est confronté à leur vie commune, à leur rythme, à la manière dont ils se parlent, à la façon dont ils se tournent autour, à leur ennui, à leurs irritations, à leurs espoirs, aux émotions qu'ils mettent sous le tapis. Donc la simplicité de la concentration donne à tout ça une sorte de grandeur, c'est à la fois intime et épique. Les gens remarquent souvent qu'on se souvient des visages chez Bergman, et c'est totalement vrai. Mais on pense aussi aux espaces entre les personnes, à leurs interactions. C'est comme ça dans la vraie vie : l'espace peut-être réel, physique, mais il peut prendre une autre dimension : une arène, des rêves ou des cauchemars ou des fantasmes, ou un champ de bataille.

Enfin, il y a les dialogues. Parfois le volume même du dialogue est puissant et douloureux. Un peu comme des mouvements de musique, ou des vagues d'émotions qui vous submergent. Bergman a une compréhension si fine des films, et tant d'outils d'expression : le silence, une concentration intense sur la lumière, l'ombre, les différents moments de la journée, le mouvement dans l'espace et le mouvement de l'espace : je pense à ces grands moments où lui et Sven Nykvist restent fixés sur un visage pendant que les acteurs bougent, et l'espace derrière eux semble bouger. Encore une fois, c'est très réaliste, parce que c'est ainsi que la conscience fonctionne, quand vous êtes absorbé par quelque chose. Et c'est un dramaturge magistral, capable d'orchestrer des changements progressifs dans l'humeur et le ton.

David Mamet

Quand j'étais jeune, le World Theater, à Chicago, a organisé un festival Ingmar Bergman qui durait toute une journée. J'y suis allé à dix heures du matin et j'y suis resté toute la journée. Quand je suis sorti du cinéma, il faisait encore jour, mais mon âme était sombre et je n'ai plus dormi pendant des années après ça.

Paul Schrader

Ingmar Bergman, plus que tout autre réalisateur, a montré qu'il était possible pour un cinéaste de faire du cinéma commercial en restant un artiste introspectif et sérieux. Bergman a tracé la route. Le reste d'entre nous l'a juste suivie.

Alexander Payne
Je suis terriblement peu familier de Bergman. J'ai aimé Monika il y a des années et j'ai beaucoup d'affection pour Les Fraises sauvages, qui a influencé Monsieur Schmidt. Mais avez-vous vu Le Septième sceau récemment – le film que nous trouvions tous si cool à l'université ? C'est irregardable et ridicule aujourd'hui. C'est intéressant, comme ça évolue. L'année dernière, j'ai joué à « quels films êtes-vous le plus secrètement gêné de n'avoir jamais vus ? » Fanny et Alexandre fait toujours partie des miens. Donc vous voyez, je ne suis pas vraiment le gars à qui poser des questions sur Bergman.
John McTiernan

Si on prend l'exemple de La Flûte enchantée d'Ingmar Bergman, c'est presque un manuel sur la façon dont on doit raconter une histoire à travers des images : le film démarre de façon très simple, presque primitive avec des décors très épurés, et plus on rentre dans l'histoire plus les effets de mise en scène sont efficaces avec de longues focales, des panoramiques... Et le tout prend une dimension terrifiante. Et tout ceci sans jamais comprendre ce qui se dit, car ça n'a pas d'importance ! Ils chantent en suédois, mais vous comprenez toute l'histoire...

Francis Ford Coppola

J'ai vu mon premier Bergman vers 1956-1957... C'était au moment des débuts des cinémas d'art et essai aux États-Unis, et j'ai vu Le Septième sceau, puis Le Visage, et un peu plus tard Sourires d'une nuit d'été, qui était mon préféré, qui trouvait en moi, jeune homme, le plus d'écho. Juste pour la manière magistrale avec laquelle il orchestre l'ensemble, les performances de chacun des acteurs, la manière dont tout s'imbrique parfaitement, toutes ces scènes inoubliables vers lesquelles il vous amène, il met tout ça en musique de manière vraiment parfaite.

Wes Anderson

Comédie n'est pas le mot auquel on pense à propos de Bergman. Il est l'un de ces réalisateurs qui peuvent faire des films où il n'y a pas une seule blague dans tout le film, et le film n'en souffre pas. Et il n'y en a pas beaucoup. Il n'y a pas beaucoup de films où il n'y a rien de drôle. Il ne fait pas dans le dialogue totalement comique, dans le comique continuel, mais plutôt des sortes de petites blagues, qui ne sont probablement pas drôles à proprement parler, mais qui rendent l'ambiance légère.

John Landis

Bergman était très audacieux. Et à chaque fois qu'on fait quelque chose de différent pour la première fois, c'est très difficile à comprendre pour les spectateurs d'aujourd'hui. L'impact de tout ça à l'époque. Aujourd'hui, Le Septième sceau est presque devenu une blague, avec cette image de la Mort qui joue aux échecs, etc. C'est presque un cliché, mais à l'époque, c'était tellement radical et surprenant. Et impressionnant. Et j'aime toujours ce film, mais je l'ai vu tellement souvent, jusqu'à saturation, qu'il devient difficile de le revoir encore.

d'Asie

Satyajit Ray

J'admire vraiment Bergman. C'est un formidable artisan, il a une merveilleuse troupe d'acteurs qui peut faire tout ce qu'il demande, et il a un vrai un sens du drame, qui vient probablement de son travail au théâtre. En tant que réalisateur, je le trouve fascinant, même si je ne suis pas toujours en accord avec ce qu'il dit. Je me sens peu concerné par ses préoccupations, je ne les trouve pas très importantes mais il parvient malgré tout à me captiver.

Akira Kurosawa

Cher M. Bergman,
Laissez moi d'abord vous féliciter pour votre soixante-dixième anniversaire. Votre travail me bouleverse à chaque fois que je vois l'un de vos films. Ils sont pour moi à la fois des leçons et des encouragements. Je vous souhaite de rester en bonne santé pour que vous puissiez continuer à nous en offrir encore de magnifiques. Il y avait au Japon un grand artiste nommé Tessai Tomioka, du temps de l'Ère Meiji, à la fin du XIXe siècle. Cet artiste a peint d'excellents tableaux dans sa jeunesse, et lorsqu'il a atteint 80 ans, il a soudain commencé à peindre des œuvres bien supérieures aux précédentes, comme s'il s'épanouissait pleinement. Chaque fois que je contemple ses tableaux, je réalise que l'Homme ne peut pas véritablement accomplir d'œuvre d'art avant d'avoir atteint 80 ans.
L'être humain passe par la petite enfance, l'enfance, traverse sa jeunesse, entre dans la force de l'âge et redevient un tout petit avant de terminer sa vie. C'est, à mon sens, la meilleure façon de vivre. Je suis sûr que vous serez d'accord pour dire que l'on est enfin capable de produire des œuvres parfaites, sans réserve, lors de sa seconde enfance.
Je suis maintenant un vieil homme de 77 ans, et j'ai la conviction que je commence à peine mon œuvre. Alors tenez-bon avec moi, pour le bien du cinéma.
Bien chaleureusement,
AK

Zhang Yimou

Ce qui m'impressionne le plus chez Bergman, c'est qu'il ne simplifie pas les problèmes. Dans ses films, les problèmes se transforment, jusqu'à quelque chose de métaphysique. C'est très stimulant. Parler de la condition humaine, c'est très intéressant. Il y a un vieux dicton chinois qui dit : « le Zeitgeist crée le héros ». C'est le temps qui crée les héros, et je pense que ça s'applique à M. Bergman. Son époque et tout ce à quoi son monde a été confronté en ont fait un génie. Ses chefs-d'œuvre ont influencé toute l'humanité. Sans aucun doute. Ça va être difficile pour notre époque d'engendrer un réalisateur aussi incroyable que M. Bergman. Bien sûr, il y a de bons réalisateurs, et chaque année, il y a de bons films, mais pas d'aussi grands personnages qui changent toute l'histoire du cinéma.

Ang Lee

J'ai eu la chance d'aller sur son île pour voir l'homme lui-même. C'était un pèlerinage spirituel, pour me donner la force de terminer Lust, Caution. Pendant le moment que nous avons passé ensemble, il m'a surtout demandé comment je travaillais avec les acteurs. Et je lui ai dit : « Parfois, je me déteste parce que je les écartèle pour me voir moi-même. Je les déchire, les tue pour exposer ce qui est sous la surface. C'est ainsi que je perçois ma relation avec les acteurs. » Bergman m'a répondu : « Vous devez aimer vos acteurs ». Il était très chaleureux. À cause de La Source, il me semblait que, trente ans plus tôt, cet homme avait pris mon innocence. Et voilà que des années plus tard, il m'étreignait de façon très maternelle. C'est un pouvoir magique étrange, miraculeux. Je n'ai jamais pensé que ma façon de faire des films avait un quelconque rapport avec la sienne. il est comme Dieu pour moi. Je vais m'en inspirer, mais je n'oserai pas l'imiter. Mais une accolade est une accolade, de cinéaste à cinéaste.