Les types de documents : Carnets

Présentation

On comptabilise vingt carnets. Ils se présentent sous la forme de cahiers d'environ une centaine de pages, sur lesquelles Serge Pimenoff a collé croquis, cartes postales, plans, coupures de presse, notes manuscrites, gravures, et surtout des photographies, prises par lui-même ou provenant de sources diverses. La variété de ces supports fait de ces carnets une référence d'étude des inconvénients et des contraintes propres à la conservation de documents patrimoniaux car, leur cohérence interne rend quasiment impossible leur séparation pour mieux les conserver. La conservation et l'accès à ce fonds sont donc tout à fait spécifiques. Il s'agit généralement d'éléments collectés en vue de la réalisation des décors pour un film, plus rarement de données correspondantes à des recherches plus générales sur un sujet - par exemple une étude sur les jardins parisiens comme pour le carnet 10 - ou encore sur l'histoire de l'art, tel le carnet 19 comportant une synthèse sur l'histoire de la peinture et un abécédaire de techniques artistiques. La réalisation de l'inventaire des carnets a permis de définir une topographie du fonds. L'inventaire des carnets suit le classement proposé par Serge Pimenoff lui-même, c'est-à-dire le ou les titres d'un film, même si parfois l'identification est floue et nécessiterait un recoupement avec d'autres sources. Photo 1

Photo 1
Photo 1
19 des 20 carnets de Serge Pimenoff conservés à la Cinémathèque française
Photo : Stéphane Dabrowski

Inventaire

Film concerné / contenu Cote de consultation
1 Bagarres (Henri Calef, 1948)
A pied, à cheval et spoutnik (Jean Dréville, 1958)
1-ALB 214
2 La route de Napoléon (Jean Delannoy, 1953) 2-ALB 215
3 Les Salauds vont en enfer (Robert Hossein, 1955)
Les Truands (Carlo Rim, 1956)
3-ALB 216
4 Le cas du Docteur Laurent (Jean-Paul Le Chanois, 1956) 4-ALB 217
5 Les Révoltés de Lomanach (Richard Pottier, 1953) 4A-ALB 218
6 Au revoir Mr Grock (Pierre Billon, 1949)
Les truands (Carlo Rim, 1956)
5-ALB 219
7 Panique (Julien Duvivier, 1946)
Les jeux sont faits (Jean Delannoy, 1947)
Escalier de service (Carlo Rim, 1954)
Les Truands (Carlo Rim, 1956)
6-ALB 220
8 Pontcarral, colonel d'Empire (Jean Delannoy, 1942) Le secret de Mme Clapain (André Berthomieu, 1943)
Panique (Julien Duvivier, 1946) 
Les Misérables (Jean-Paul Le Chanois, 1957)
7-ALB 221
9 Escalier de service (Carlo Rim, 1954) 8-ALB 222
10 Études de jardins 9-ALB 223
11 Au revoir Monsieur Grock (Pierre Billion, 1949)
Pontcarral, colonel d'Empire (Jean Delannoy, 1942) Les jeux sont faits (Jean Delannoy, 1947)
10-ALB 224
12 Au revoir M. Grock (Pierre Billion, 1949) 11-ALB 225
13 Les Bateliers de la Volga (Wladimir Strijewsky, 1936) 12-ALB 226
14 The Private Life of Don Juan (Alexander Korda, 1934), film pour lequel Serge Pimenoff n'est pas crédité au générique. 13-ALB 227
15 Mademoiselle Docteur / Salonique, nid d'espions (Georg-Wilhelm Pabst, 1936) 13A-ALB 228
16 Etudes pour une ferme et des châteaux. 14-ALB 203
17 Les Misérables (Le Chanois, 1958) 15-ALB 229
18 Ce corps tant désiré (Luis Saslavsky, 1959) 16-ALB 202
19 - Notes sur l'histoire de la peinture romane, celto-irlandaise, Renaissance, jusqu'au XXe siècle.
- Abécédaire des techniques artistiques : « ésotérique », « demi-teinte », « hédonisme », « diaprure », « saturation », etc.
17-ALB 230
20 « Esquisses Pimenoff », études type Story-board : avec plans numérotés et le découpage d'une action. 18-ALB 231

Le carnet 18

Le carnet 18 est consacré aux recherches iconographiques pour le film Ce corps tant désiré, réalisé par le cinéaste argentin Luis Saslavsky. Celui-ci, suite à l'évolution péroniste de son pays et après une brillante carrière, avait trouvé refuge en France dans les années cinquante : le temps de tourner quelques films (La Neige était sale, 1952 ; Les Louves et Premier mai en 1957) avant un nouveau périple qui le ramènera à la fin des années 1960 en Espagne et en Argentine. En 1959, il réalise Ce corps tant désiré dans un style proche du néoréalisme italien. L'histoire : Guillaume Feraud (Daniel Gélin) et Henri Messardier (Antoine Balpêtré) exploitent, à Bouzigues, un élevage de moules. Leur vie est rythmée entre la mer et les tâches quotidiennes qu'ils partagent avec d'autres pêcheurs de la côte sétoise. Un jour, une exubérante étrangère au pays (Lina, alias Belinda Lee) arrive et bouleverse le rythme de cette vie. Photo 2

Les recherches de Serge Pimenoff pour des décors qui se voulaient réalistes sont illustrées par les 95 planches qui composent ce carnet : 64 croquis au crayon ou à l'encre noire représentant les intérieurs d'une maison Photo 3_1, Photo 3_2, les vues d'un village avec en arrière fond une église, la ville de Sète ou encore les plans pour un garage ; 10 cartes postales de Sète en 1958 Photo 4; 55 photos de repérages ; des plans millimétrés, etc., et enfin des maquettes : Photo 5, Photo 6, Photo 7, Photo 8, Photo 9, Photo 10, Photo 11, Photo 12. Le choix du réalisateur se portant sur des décors naturels, Pimenoff utilise le paysage sétois pour créer un studio en plein air : des éléments réels sont habillés pour mieux correspondre au contexte du film. Pour ce faire, Serge Pimenoff photographie d'abord les lieux et l'emplacement choisis pour la construction des décors. Il dessine ensuite sur ces photographies Photo 13_1, Photo 13_2 les éléments à ajouter ; puis, à partir de ce schéma, réalise deux croquis représentant le bâtiment de l'exploitation de moules des deux protagonistes du film Photo 13_3 et Photo 13_4 et enfin les deux maquettes Photo 14, Photo 15. Ces photographies de plateau montrent le résultat final Photo 16, Photo 17.

De manière générale, la construction de décors extérieurs est loin de simplifier la tâche du décorateur. Léon Barsacq, fort de son expérience, en a énuméré tous les inconvénients : « le décorateur, dans l'établissement des plans du décor extérieur, devra tenir compte des vues les plus dégagées ou, dans le cas d'utilisation d'un paysage, les plus intéressantes ; ceci ne suffit pas, il faut de plus orienter le décor de façon à utiliser la lumière du soleil au maximum, en tenant compte de la saison à laquelle le décor sera tourné et, par conséquent, de la position du soleil aux différentes heures du jour (…). Le mode de construction des décors extérieurs diffère de celui des décors de studio. Ces bâtiments provisoires, généralement importants, doivent pouvoir résister au vent, aux intempéries ; cela demande une ossature solide, constituée d'échafaudages métalliques ou en bois dont le « contre-ventement » devra être bien assuré … »1. En définitive, ces décors que l'on voudrait « naturels » ont un coût parfois bien plus élevé que ceux réalisés en studio. Léon Barsacq conclut que « le principal atout, qui justifierait dans certains cas le tournage en décors naturels, réside dans possibilité d'avoir, derrière les ouvertures, le paysage animé, comme par exemple la mer avec ses vagues, la rue avec sa circulation, etc. »2. C'est ce qui est tout à fait le cas de Ce corps tant désiré, où le paysage sétois et la mer, omniprésents, structurent le récit.

1 Léon Barsacq, Le Décor du film, 1895-1969, Paris, Henri Vyrier, 1985, p. 170.
2 Ibid, p. 173.

Photo 2 Photo 3_1 Photo 3_2 Photo 4
Photo 2 Photo 3_1 Photo 3_2 Photo 3_3
Affiche du film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
René Péron / DR
Dessin au fusain d'un intérieur d'une maison Sétoise, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française  - Photographie : Stéphane Dabrowski
Dessins au fusain d'un intérieur d'une maison Sétoise, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographies du port de Sète pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française - Photographie : Stéphane Dabrowski
Photo 5 Photo 6 Photo 7 Photo 8
Photo 5 Photo 6 Photo 7 Photo 8
Maquette de décor constituée de deux dessins à l'encre et au feutre, représentant la ville de Sète et un habitat, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel sur calque, représentant des façades sétoises pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin à la mine de graphite sur calque, représentant un paysage et une maison sétoise, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin au fusain sur calque, représentant l'intérieur d'une maison sétoise, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photo 9 Photo 10 Photo 11 Photo 12
Photo 9 Photo 10 Photo 11 Photo 12
Maquette de décor constituée de dessins à l'encre et feutre, représentant un étang et une maison de pêcheurs sétois, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel sur calque d'une rue sétoise, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel de façades sétoises, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel de façades sétoises, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photo 13_1 Photo 13_2 Photo 13_3 Photo 13_4
Photo 13_1 Photo 13_2 Photo 13_3 Photo 13_4
Dessins au feutre sur photographies, de la construction du décor du bâtiment de mytiliculture, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Dessins au feutre sur photographies, de la construction du décor du bâtiment de mytiliculture, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française - Photographie : Stéphane Dabrowski
Croquis au feutre du bâtiment de mytiliculture, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Croquis au feutre du bâtiment de mytiliculture, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photo 14 Photo 15 Photo 16 Photo 17
Photo 14 Photo 15 Photo 16 Photo 17
Maquette de décor constituée d'un dessin à la mine de graphite sur calque, représentant le  bâtiment de mytiliculture, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin à la mine de graphite sur calque, représentant le  bâtiment de mytiliculture, pour le film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographie de plateau du film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, dist. RMN / Raymond Voinquel
Photographie de plateau du film Ce corps tant désiré, de Luis Saslavsky (1959)
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, dist. RMN / Raymond Voinquel

Composition des carnets

Croquis

Les croquis de Serge Pimenoff se présentent sous des formats (du « timbre poste » pour un détail, à la pleine page pour une vue d'ensemble) et des techniques (crayon, stylo noir, encre, fusain, de la simple esquisse dessinée au dos du menu d'un restaurant jusqu'au dessin millimétré prêt pour la maquette, en passant par le schéma sur papier calque) diverses. On y retrouve les qualités d'architecte de Pimenoff (trait précis, sobre, notamment pour les études des intérieurs). Certains croquis sont identifiés par le décorateur lui-même (souvent signés « Pim », datés et accompagnés du titre du film). L'identification de tous les croquis anonymes nécessite encore à ce jour des recherches approfondies. Le carnet 6, qui contient des dizaines de croquis, est consacré aux études pour le film Au revoir, Monsieur Grock, de Pierre Billon (1949) Photo 18. Il réunit une riche documentation composée de reproductions de tableaux, d'estampes, de lithographies, de photographies, des articles de revues (Forains et Saltimbanques, Jugend, notamment) retraçant l'histoire du cirque en France et en Allemagne, ou de célèbres salles de music-hall. Tous ces documents ont de manière évidente servi de modèle aux croquis : c'est le cas de onze photographies de chapiteaux de cirque qui ont nourri les idées directrices, avant la réalisation de la maquette sur laquelle une vision plus précise a finalement pris corps grâce à d'autres éléments : la couleur, les ombres, la lumières, les volumes, etc. Photo 19, Photo 20, Photo 21

Le film décrit la vie du célèbre clown suisse Adrien Wettac, depuis ses premiers pas dans le cirque, puis dans le music-hall avec ses numéros musicaux, ses tournées en France, en Allemagne et en Italie. La période tracée couvre la période allant de 1900 à 1949, dont les événements culturels - telle l'Exposition Universelle - et historiques (Première et Seconde Guerre mondiales, notamment) sont présents au travers d'images d'archives ou de reconstitutions. Une ambition qui, au final, a dérouté la quasi-totalité de la critique: « scénario trop prétentieux. On n'a pas idée de traiter une biographie de clown dans le cadre de l'histoire mondiale. En voulant à la fois attendrir et philosopher au lieu de chercher simplement à distraire et à amuser, Pierre Billon a visé trop haut »1. Ce film a sans doute représenté un challenge énorme pour le décorateur, devant traduire à la fois une idée globale de la période et de ses vicissitudes, tout en restant attentif aux moindres détails. La roulotte de cirque fera, par exemple, l'objet de nombreux croquis comportant les volumes, les matériaux, l'habillage intérieur et extérieur, le système de transport Photo 22, Photo 23, Photo 24, Photo 25_1, Photo 25_2, Photo 26_1, Photo 26_2, Photo 27

1 André Lafargue, « Au revoir Monsieur Grock », Le Matin, 01/08/1950.

Photographies

La photographie a une place importante dans les carnets de Serge Pimenoff. Le décorateur procédait d'une part à des repérages dans les lieux évoqués par les films. En témoignent les centaines de clichés pris par lui-même. D'autre part, lorsque ces lieux ne sont pas, plus du tout accessible ou ont subi des modifications, il a recours aux archives d'agences photographiques, comme Sartony. La photographie est utilisée à la fois comme simple support pour mémoriser des formes et comme modèle à suivre. Les carnets contiennent aussi un grand nombre de reproductions de photographies tirées de revues spécialisées sur un sujet précis (le mobilier ancien, les châteaux français, les théâtres, etc.). Cependant, les photographies que l'on peut sans risque attribuer à Pimenoff lui-même représentent le corpus le plus important, ce qui est un trait caractéristique de la méthode de travail de ce décorateur par rapport à d'autres, comme Lazare Meerson. Même si les deux décorateurs ont chacun en commun de réunir une riche documentation, les photographies du fonds Lazare Meerson sont exclusivement des reproductions.2

L'intérêt de certains des clichés pris par Serge Pimenoff dépasse manifestement le cadre pour lequel ils ont été produits et sélectionnés, accédant ainsi au statut de témoignage documentaire. Les soixante-dix photographies de la foire du Trône réalisées en vue des décors du film Au revoir, Monsieur Grock, de Pierre Billon (1949), sont les témoins d'une forme de loisir dans laquelle les attractions de 1900 cohabitent encore avec celles de la fin des années 1940 : « La jeune femme hystérique », « La ménagerie coloniale », « Le magicien Azan », « Le music-hall attraction », etc. Photo 28, Photo 29, Photo 30, Photo 31, Photo 32, Photo 33, Photo 34, Photo 35. Aux prises avec l'acte photographique, Serge Pimenoff semble oublier sa mission initiale pour céder à la fascination des choses qui se présentent devant son objectif et laisser la surprise émerger de la magie d'une composition plastique : trois jeunes femmes traversant la rue Photo 36 le reflet d'un père et son fils sur un miroir surplombant le cercueil vitré d'une femme en cire. Photo 37 Ces types de « débordements », de « décadrages » ne sont pas rares. Dans d'autres séries, le décorateur se plait à immortaliser son assistant, sa femme, l'équipe technique du film, paysages et sujets apparemment étrangers à un film en particulier. Et lorsqu'il sélectionne des clichés dans des agences d'archives photographiques, il choisit des images - comme les clichés montrant une exécution à la guillotine Photo 38, Photo 39, Photo 40 - qui gardent tout leur mystère : il a été impossible d'y trouver une quelconque relation avec un décor de film.

2 Fonds Lazare Meerson, Cinémathèque française, boîtes MEERSON 01-36.

Recherches iconographiques et historiques

Les recherches iconographiques présentes dans les carnets réunissent, sous un thème principal, des documents disparates : coupures de presse, cartes postales, reproductions de tableaux ou d'estampes, croquis, photographies. Elles traitent de sujets pointus : l'étude d'un escalier, d'un mobilier pour des décors historiques ou de l'architecture d'une ville. Le carnet 15 propose un excellent exemple des recherches iconographiques et historiques effectuées par Serge Pimenoff en vue des décors de Mademoiselle Docteur (Georg Wilhelm Pabst).

Analyser le film et son accueil par la critique permet de mettre en perspective l'importance de ces recherches iconographiques. Le film sort en France en 1937. En 1940, il est interdit pour « incitation à la haine contre l'Allemagne ». En 1947 enfin, le producteur Romain Pinès procède à un nouveau montage dans lequel des coupes sont opérées afin de « pacifier les spectateurs furieux de voir remis en circulation un film dans lequel les Allemands étaient représentés de façon avantageuse »3. Photo 41 Cette version courte obtient alors un visa d'exploitation et le film peut donc être à nouveau distribué en France, mais aussi aux États-Unis et dans d'autres pays européens tels que l'Italie, mais sous un nouveau titre : Salonique, nid d'espions4. Classé trop rapidement dans la catégorie nébuleuse de « films d'espionnage » - mêlant réel et fiction, aux limites du film de guerre, policier, politique, mélodramatique et côtoyant aussi bien le cinéma d'auteur que la série B et la superproduction -, le film synthétise parfaitement tous les clivages de ce genre. Sur fond de Première Guerre mondiale, il s'inspire de l'histoire réelle d'une redoutable espionne allemande, Anne-Marie Lesser, à laquelle la légende a attribué le pseudonyme de Mlle Doktor. L'espionne est envoyée sous une fausse identité à Salonique pour obtenir des renseignements sur les Alliés et la Bulgarie. Sa rencontre avec un officier français modifie ses plans. Dévoilée, elle perd le contrôle de sa voiture lors d'une course poursuite avec les services secrets français et disparaît dans les flammes. Derrière cette intrigue, le film transpose avant tout à l'écran un « no man's land » : Salonique, une ville réputée pour être au cœur du réseau d'espionnage international. Les images - signées par le célèbre chef opérateur Eugen Schüfftan - suggèrent par leur esthétique l'impossibilité de saisir profondément les enjeux politiques et militaires qui opposent ou allient conjoncturellement plusieurs pays (l'Allemagne, la Grèce, la Serbie, la Bulgarie, la Romanie, l'Albanie, la France, l'Italie, la Russie, le Royaume-Uni).

La critique est partagée. Pour certains, le scénario est jugé trop romanesque, surchargé et mal ficelé. Indigne du grand réalisateur de Loulou. D'autres n'hésitent pas à écrire qu'avec ce film, ils ont retrouvé : « le grand bonhomme du cinéma dont on s'était un peu trop hâté de prononcer l'oraison funèbre »5. Après les années 1950, le film n'est plus que rarement programmé dans les circuits des ciné-clubs. En 1965, la critique de Freddy Buache fait encore état de cette dichotomie : il juge à la fois le film comme un « mélo particulièrement surchargé » et souligne en même temps que « quelques morceaux choisis peuvent être classés parmi les meilleures réussites plastiques de bon artisanat du cinéma français d'avant-guerre ». Pabst accorde alors « moins d'importance au développement continu de l'action ou à l'évolution psychologique des personnages qu'au traitement plastique de certaines scènes privilégiées. Un décor, un costume, une attitude de comédien et le dosage de la lumière créent l'atmosphère en nouant le drame »6 Á sa réédition, en 1981, plusieurs revues spécialisées mentionnent l'événement au travers de chroniques. Là encore, les avis sont souvent partagés : La Revue du cinéma considère le film comme « une débauche d'invraisemblances » mais « qui réussit quelques bonnes séquences »7. Pour Cinéma, le film manifeste « un savoir-faire évident … une photographie éblouissante, une souplesse de mise en scène et des mouvements d'appareils, particulièrement, qui rappellent l'élégance de L'Opéra de quat'sous. Hélas ! Un scénario médiocre … un film moyen »8. Il faut enfin retenir la critique de Barthelemy Amengual qui affirme que « Pabst a apporté à sa mise en scène beaucoup plus de science et de talent qu'on ne veut bien dire ». En témoignage, il cite plusieurs séquences du film avec leurs éléments de décors : la maison des rendez-vous « avec ses miroirs qui divisent, rassemblent, redoublent, analysent, ses escaliers lourds de promesses, ses corridors bouchés de brumes phosphorescentes, ses tentures gonflées par l'angoisse… ». Visiblement, le critique a saisi toute l'importance de choix formels qui s'accordent bien peu à un film conventionnel9.

Les éléments contenus dans le carnet 15 montrent le travail de documentation du décorateur Serge Pimenoff : des photographies d'archives, d'autres tirées de la presse des années 1915-1917, ainsi que des cartes postales représentant la ville de Salonique en 1917. Photo 42, Photo 43, Photo 44, Photo 45, Photo 46, Photo 47, Photo 48, Photo 49, Photo 50. Les lieux principaux de la ville sont présents : la place du marché, les souks et les rues marchandes, les bains turcs, les églises, les bâtiments institutionnels (ambassades de France et des États-Unis), le cercle des officiers, les foyers des soldats. Tous ces lieux et bien d'autres seront parfaitement reconstitués en studios, parfois à l'identique des photographies d'archives (comme le cercle des officiers). Pourtant, l'effet à l'écran en est bien moins réaliste. Serge Pimenoff, s'adaptant au parti pris de mise en scène, a ajouté aux décors des motifs marquants, leur donnant une ampleur troublante et étouffante par rapport au reste du décor, traité lui plus sobrement, créant ainsi un véritable décor d'atmosphère. Photo 51, Photo 52, Photo 53, Photo 54

3 Pour plus de détails sur le parcours paradoxal de ce film jugé d'abord anti-allemand et ensuite au contraire pro-allemand, voir l'article très fourni d'Eric Le Roy, « Mademoiselle Docteur et la censure française d'après-guerre », Leonardo Quaresima, Alessandra Raengo, Laura Vinci (sous la dir.), I limiti della rappresentazione, Udine, Film Forum, 2000, pp. 413-419.
4 Salonique, nid d'espions : ce nouveau titre permettait par ailleurs, de ne pas confondre le film de Pabst avec la version anglaise également de 1937 signée par Edmond T. Gréville (avec Dita Parlo dans le rôle et Erich von Stroheim dans celui du colonel Mathesius Simonis) et sortie sous le titre de Mademoiselle Docteur.
5 Nino Frank, Pour vous n° 439, 15 avril 1937.
6 Freddy Buache, « G.W. Pabst », Premier Plan, n° 39, nov. 1965, p. 88.
7 La Revue du cinéma, n° 359, mars 1981.
8 Cinéma, n° 268, avril 1981.
9 Barthélémy Amengual, « Sur quatre films de Pabst », Jeune Cinéma n° 135, juin 1981, pp. 1-6.

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Affiche du film Au revoir, Monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
René Péron / DR
Maquette de décor constituée de deux dessins à la gouache et au pastel, représentant une piste de cirque et des spectateurs, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin à la gouache et au pastel, représentant une piste de cirque et des spectateurs, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel, représentant une piste de cirque et des spectateurs, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
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Croquis au fusain et encre d'une roulotte, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Notes manuscrites et croquis au fusain et encre de personnages et de roulottes, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Croquis à la mine de graphite sur calque d'une roulotte, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française - Photographie : Stéphane Dabrowski
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Plans à la mine de graphite sur calque d'une roulotte, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française - Photographie : Stéphane Dabrowski
Croquis à la mine de graphite sur calque d'une porte de roulotte, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française - Photographie : Stéphane Dabrowski
Croquis à la mine de graphite sur calque d'une porte de roulotte, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française - Photographie : Stéphane Dabrowski
Croquis à la mine de graphite sur calque d'une roulotte, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française - Photographie : Stéphane Dabrowski
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Photographie du manège « Le bateau-balancing », à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque Française - Photographie : Stéphane Dabrowski
Photographie de l'attraction du magicien Azan : le conseiller-expert en sciences occultes, à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographie du « Music-hall Attraction », à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographie d'un manège à sensations fortes, à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
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Photographie de l'entrée d'une attraction, à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographie de l'entrée d'une attraction avec deux militaires, à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographie d'un panneau publicitaire du Musée Dupuytren de Paris, avec l'attraction de la Jeune femme hystérique, à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographie d'un panneau publicitaire du Musée d'anatomie du Professeur Talrich, à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
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Photographie de trois jeunes femmes traversant la rue, à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographie d'un cercueil de femme en cire, avec le reflet d'un père et son fils dans le miroir, à la foire du Trône, pour le film Au revoir, monsieur Grock, de Pierre Billon (1949)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographie d'une exécution publique à la guillotine
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photographies d'une exécution publique à la guillotine
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photo 40 Photo 41 Photo 42 Photo 43
Photo 40 Photo 41 Photo 42 Photo 43
Photographie d'une exécution publique à la guillotine
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Affiche du film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
DR
Cartes postales des souks et de la place du marché de Salonique en 1917, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
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Carte postale de marchands de Salonique en 1917, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
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Photo 44 Photo 45 Photo 46 Photo 47
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Carte postale de réfugiés, dans les Bains turcs de Salonique, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
Serge Pimenoff / Collection Cinémathèque française
Carte postale de l'ambassade de France à Constantinople, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
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Carte postale du mess des officiers, à Salonique, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
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Carte postale du mess des officiers serbes, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Photo 48 Photo 49 Photo 50 Photo 51
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Carte postale d'un foyer du soldat à Salonique, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Carte postale du défilé de l'armée française à Salonique, le jour de l'indépendance de la Grèce (au balcon, le général Sarrail et ses officiers), pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
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Croquis à l'encre de la ville de Salonique, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
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Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel, représentant la ville de Salonique, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
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Photo 52 Photo 53 Photo 54  
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Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel, représentant la ville de Salonique, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
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Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel, représentant la ville de Salonique, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel, représentant la ville de Salonique, pour le film Mademoiselle Docteur ou Salonique, nid d'espions, de Georg Wilhelm Pabst (1936)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française