La collection Serge Pimenoff : Les collections complémentaires

Archives et décor de cinéma

L'étude approfondie d'archives concernant une personnalité du cinéma, ici le décorateur Serge Pimenoff, ne peut se limiter à la stricte analyse des documents. Ceux-ci, mis à disposition du spécialiste (étudiant, chercheur, praticien), sont en effet loin d'être explicites au premier abord. L'expérience montre que bien souvent « On n'y voit rien »1. Et, quand on y voit, on n'y comprend pas forcément, ou on ne sait pas comment l'interpréter. Seule une enquête oblique, digne d'un Sherlock Holmes - à la recherche du moindre indice, y compris dans d'autres archives proches, relevant d'une autre domaine, ou provenant d'autres institutions (pour le décor de cinéma, entre autres, l'Institut Jean Vigo, la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, la Bibliothèque nationale de France - Département des Arts du spectacle, le musée des Arts décoratifs, la Cinémathèque de Lausanne, le Filmmuseum de Francfort, le Filmmuseum de Berlin, ou encore le British film Institute) -, permet la compréhension de documents jusqu'alors opaques : un croquis sans titre ni date, une lettre manuscrite sans destinataire, une liste de courses, une photographie anonyme, un reçu de frais à l'étranger, une phrase griffonnée sur le dos d'un menu, une carte postale, etc. Des pièces en principe insignifiantes et éloignées de la réalisation d'un film. Pourtant, même des pièces si peu « parlantes » peuvent nous en dire beaucoup non seulement sur le contexte de leur production, mais aussi sur les choix esthétiques de leur auteur. Carlo Ginzburg nous apprend que, par le biais de la quête indiciaire, « des détails habituellement jugés comme dépourvus d’importance, voire franchement triviaux et « bas », fournissent la clé permettant d’accéder aux productions les plus élevées de l’esprit humain. »2. Dans cette démarche, le flair, le coup d'œil, l'intuition, peuvent conduire à des résultats surprenants.

Concernant Serge Pimenoff, les traces éparses relevées dans diverses archives de cinéastes ou de décorateurs, et relevant plus de l'homme Serge Pimenoff que du décorateur, ont donc été décisives pour cerner ses méthodes de travail. Ses liens personnels avec toute une communauté d'artistes russes ayant œuvré pour le cinéma français entre 1920 et 1950 donnent par exemple les clés de lecture pour comprendre sa méthode et sa conception esthétique des décors de cinéma. L'étude et le déchiffrage des documents permettent surtout d'en faire, au final, de véritables archives intelligibles. Pour cela, il faut aussi les questionner. Comme le souligne Antoine Prost, « pas de question sans document », mais, complémentairement, « pas de document sans question »3. L'archive toute faite n'existe pas et l'on peut même se poser la question de savoir si c'est l'archive qui crée le sujet ou le sujet qui crée l'archive. En ce qui concerne l'exploration des archives Serge Pimenoff, c'est l'archive qui a créé les sujets possibles car, au-delà de la simple constatation qu'elle était consacrée à un décorateur, rien ne permettait au départ d'y déceler l'intérêt qu'au final elle représente pour l'histoire du cinéma.

1 Daniel Arasse, On n'y voit rien, Paris, Denoël, 2000.
2 Carlo Ginzburg, Mythes, emblèmes, traces ; morphologie et histoire, (1986), Paris, 1989, p. 146.
3 Antoine Prost, Douze leçons sur l'histoire, Paris, Le Seuil, 1996

Les fonds des décorateurs

Introduction

Tout fonds d'archives consacré à un décorateur peut nous renseigner sur l'évolution de ce métier et participer ainsi à une histoire du décor au cinéma. Les méthodes et les matériaux employés, les sources d'inspiration et les styles sont à la fois singuliers - propres à chaque décorateur - et sont en même temps les traces d'une continuité dont le savoir-faire s'est transmis de génération en génération. Travail d'équipe par excellence, la décoration réunissait au sein d'un même atelier menuisiers, artistes-peintres, « mouleurs », staffeurs, régisseur, ensemblier, assistants, stagiaires, etc. De plus, le métier de décorateur impliquait un parcours initiatique de type compagnonnage, auprès d'un « maître », et ce jusqu'à la promotion éventuelle pour devenir chef décorateur (lorsque l'« élève » est finalement reconnu pour son propre style). Avant d'en arriver là, beaucoup de films sont nécessaires en tant qu'assistant, parfois des dizaines. Certains décorateurs ne font jamais ce grand saut, parfois par choix, comme l'omniprésent Jacques Brizzio, resté dans l'ombre toute sa carrière et qui reste pourtant une référence pour des décorateurs confirmés. Ces années de formation et de collaboration sont significatives pour comprendre les méthodes employées par un chef décorateur. Malgré cela, cette partie de carrière est aujourd'hui ignorée par l'histoire du cinéma, qui ne retient de l'histoire du décor cinématographique que les grandes figures de chefs décorateurs.

Le fonds Lazare Meerson

Dans des archives de la Cinémathèque française, les fonds de décorateurs ont une place assez importante, car dès la création de l'institution, son cofondateur Henri Langlois a su porter un intérêt particulier à ce métier. Le fonds Lazare Meerson, par son ampleur (36 boîtes d'archives et 350 maquettes), et par le rôle que cet artiste hors pair a joué auprès d'autres décorateurs, est incontournable. Le goût de ce décorateur pour la recherche systématique de documentation en vue de nourrir ses projets de maquettes a été un modèle pour Alexandre Trauner, mais aussi pour Serge Pimenoff, Jean Perrier, Georges Wakhévitch, Lucien Aguettand, Jean D'Eaubonne, Robert Gys, Max Douy, André Barsacq, Pierre Schild, ou encore Eugène Lourié. De même, le principe selon lequel un décor d'ambiance doit passer inaperçu aux yeux du public pour renforcer la scène sans dénaturer le sens et la portée du découpage1 a été une source d'inspiration pour ses nombreux assistants, mais aussi pour les décorateurs de plusieurs générations. Sa minutie et sa rigueur sont à l'image des pièces qu'on retrouve dans le fonds permettant de suivre l'évolution de son travail depuis la recherche documentaire jusqu'à la réalisation des maquettes. Ses archives personnelles sont également très importantes : de la correspondance témoignant de ses liens étroits entre sa vie privée et sa vie professionnelle en passant par les factures des livres qu'il achetait avec une régularité surprenante, jusqu'aux listes des frais de subsistance. Alberto Cavalcanti, qui avait engagé Lazare Meerson pour l'assister dans les décors du film Feu Mathias Pascal de Marcel L'Herbier, lui rend hommage en écrivant : « Non seulement Meerson était doté d'une imagination et d'une inspiration hors pair ; de plus, c'était aussi un décorateur précis et consciencieux, qui ne s'épargnait aucun effort et veillait à une exécution correcte de l'ensemble de travail, conforme à ses exigences élevées. Cette supervision personnelle de chaque détail est, pour un architecte, un des grands secrets de la réussite. »2

Des documents très précieux (correspondance, croquis, recherches iconographiques) conservés dans le fonds Lazare Meerson3 retracent aussi les débuts du décorateur Alexandre Trauner, qui fut assistant de Lazare Meerson. Des débuts difficiles, occultés par les biographies officielles, au cours desquels on peut observer le décorateur à l'affût de la moindre commande pour s'introduire durablement dans le milieu du cinéma. Entre 1929 et 1931, il est officiellement stagiaire volontaire, sans rémunération, auprès de Lazare Meerson pour les Films sonores Tobis4. Il ne survit que grâce à l'aide financière de Meerson lui-même. Les années qui suivent sont marquées par des hauts mais bien souvent par des bas, durant lesquels le renouvellement de sa carte de travail semble être son principal souci d'exilé hongrois, même s'il participe en tant qu'assistant de Meerson à plusieurs films de René Clair et Jacques Feyder. Entre 1936 et 1937, sa longue correspondance avec Meerson - au moment où celui-ci séjournait à Londres - frappe par les lamentations répétées de Trauner, toujours aux prises avec ses soucis financiers5. La manière dont le parcours d'Alexandre Trauner est détaillé dans les documents d'archives de son Maître éclaire la méthode indirecte qui a aussi permis de retracer le parcours de Serge Pimenoff (notamment les fonds d'archives consacrés à Nicolas Wilcke et Paul Minine).

1 Cinémagazine, 2 mars 1927.
2 Texte publié pour la première fois dans Sight and Sound en 1938 à la mort de Lazare Meerson et traduit par Bernard Eisenschitz pour la revue Cinématographe (« Le Décor de Film »  II, n° 76, mars 1982, p.3)
3 Boîte Meerson B 01-36
4 Boîte Meerson B 08-31
5 Boîte Meerson B 11-33

La collection des dessins

La collection des dessins complète les fonds d'archives des décorateurs. Cet ensemble est constitué de quelque 11 300 pièces regroupant les maquettes de costumes, les esquisses de décors, les plans d'architecte, les story-boards. Il est représentatif du travail de grands décorateurs du cinéma français : Jean André (48 dessins), Léon Barsacq (96 dessins), Max Douy (85 dessins), Bernard Evein (45 dessins), Eugène Lourié (135 dessins), Lazare Meerson (395 dessins), Georges Méliès (137 dessins), Jean Perrier (21 dessins), Jacques Saulnier (41 dessins), Alexandre Trauner (26 dessins), Georges Wakhévitch (65 dessins), Nicholas Wilcke (173 dessins). Cependant, le cinéma allemand est présent à travers les maquettes d'Emil Hasler (54 dessins), Otto Hunte (54 dessins), Ernst Stern (87 dessins) ou encore le cinéma japonais avec les décors de Hiroshi Mizutani, 152 dessins. Les maquettes de Jean-Jacques Caziot, Pierre Guffroy, Jean-Marc Kerdelhué, François de Lamotte et René Renoux ont également enrichi la collection « dessins ».

Réalisateurs et sociétés de production

D'autres archives, autour de celles des films eux-mêmes et conservées dans les fonds des réalisateurs, fournissent d'autres types d'informations, utiles elles aussi. Elles peuvent par exemple informer sur les relations entre le réalisateur et le décorateur, permettent d'établir leur degré de complicité. La correspondance de Jean-Paul Le Chanois1 avec son équipe et la presse, témoigne non seulement de sa complicité totale avec son décorateur, mais elle contient également des éléments précieux pour l'étude de la réception critique du film à sa sortie en France. Il s'agit d'un exemple parmi d'autres. Concernant Serge Pimenoff, cette recherche peut aussi s'étendre à Alexandre Volkoff, Viktor Tourjansky, Jacques De Baroncelli, Pierre Chenal, Marc Allégret, Marcel L'Herbier, Julien Duvivier, Robert Hossein, Jean Delannoy, ou Raymond Bernard.

De la même manière, les fonds d'archives consacrés aux sociétés qui ont produit les films auxquels Serge Pimenoff a collaborés nous renseignent sur les conditions de tournage, le budget (et tout particulièrement la part attribuée aux décors), les contrats de travail, les accords passés pour la diffusion etc. Pour la filmographie de Pimenoff, les sociétés essentielles sont : Albatros, Continental, Gaumont, Cocinor, Regina Films, Jason Films, Société des Films Osso, Solar Films, etc. L'ensemble de toutes ces données permet, dans une étape finale, de mieux analyser les choix esthétiques des décors à l'écran.

1 Boîte Le Chanois, B 22-14