Le Tourbillon de Paris

A film froid, critique distante. Peu sont ceux qui font preuve, à l’égard du " Tourbillon de Paris ", d’un enthousiasme spontané, à l’image de Cinémagazine : " Tous les effets qu’il [Duvivier] a si soigneusement réussis viennent à bon escient à l’encontre de maints films où tant de surimpressions de flous, de montages courts n’ont aucune raison d’être, toutes les recherches de techniques viennent à point, sont justifiées par les besoins de l’action... Jamais ces effets ne fatiguent. Ils sont là pour aider à la compréhension de l’action, pour nous faire mieux pénétrer l’âme des personnages... Le scénario est attachant, vraisemblable et solidement charpenté. L’action se déroule dans des cadres toujours superbes : décors naturels grandioses, intérieurs luxueusement composés. Le réalisateur a employé toutes les ressources de la technique moderne, mais à bon escient. Il a joué sur toutes les cordes pour composer une symphonie visuelle profondément émouvante ". Le Cinéopse est plus impliqué : " Il faut voir l’ensemble des difficultés vaincues, et ne pas craindre de dire qu’au total, " Le tourbillon de Paris " est un film admirable... Elle [L. Dagover] ne sera pas moins remarquable et magnifique quand une cabale montée contre elle l’empêchera de jouer. Les scènes hallucinantes dans sa loge, et celles plus vives encore où, devant le public, nous la voyons perdue, affolée dans sa sensation d’être noyée, où nous saisissons comme matériellement s’assimiler la foule aveugle au flot de la marée envahissante et impitoyable, sont d’une beauté ignorée avant le cinéma, et qu’on n’atteint que bien rarement encore... La chanson filmée... est à elle seule une manière de chef-d’œuvre, tant il paraît sur l’écran de choses ensemble. Ici, les images ne sont pas en succession, comme il paraît fatal, il y a une évocation multiple et simultanée qui est d’une merveilleuse richesse ". " Ciné pour tous " ne peut, quant à lui, que constater que la réserve du propos est servie par une réalisation impeccable : " Les décors délicatement stylisés, les éclairages harmonieux, la photo savante et subtile, font de ce film une véritable œuvre d’art à laquelle on pourrait seulement reprocher quelques réminiscences techniques trop précises ". Et l’on est presque rasséréné de lire les critiques plutôt coriaces de ceux qui s’attachent, avec acharnement, à la psychologie de l’héroïne, témoin " L’œuvre " : : " Si la belle cantatrice... ne nous émeut pas, c’est que sa conduite est celle d’une déséquilibré et que, dés le début, nous nous demandons pourquoi son mari ne l’a pas faite soigner... [Sur la fin] Le film a beau se terminer là, il est probable que Lady Abenston redeviendra chanteuse ou retournera dans la neige ou fera autre chose, si un bon psychiatre ne lui donne pas des soins énergiques... A deux reprises, nous sommes censés entendre un chant et, la première fois, une artiste a véritablement chanté, ce qui a rabaissé une scène d’évocations. La seconde fois, au contraire, quand Mme L. Dagover, après une souffrance atroce, se relève et chante devant une salle enthousiaste, l’image seule disait ce chant et était de beaucoup supérieure ". Et " L’écho de Paris ", lui aussi, sanctionne Duvivier le virtuose : " Il reste peu de choses à l’écran des pages pénétrantes où la romancière analysait la psychologie de ses personnages. Le metteur en scène... s’est surtout efforcé de réaliser des tableaux " à effet ". Le voyage du lord dans les neiges savoyardes est, par exemple, intéressant comme un documentaire... Le metteur en scène, tout au long de ce film, abuse d’ailleurs un peu des effets de " technique " pure ".

Si la postérité critique du film est rare, Alain Masson lui consacre, dans " Positif ", quelques pénétrantes lignes : " Dans ce film, la bizarrerie devient maniaque. Un art maniériste loge exactement un flash-back dans le cadre formé par les deux personnages qui s’y remémorent leur passé. Lorsque l’héroïne chante " Les Berceaux " de Fauré, l’exactitude des superpositions contredit l’usage de l’époque : s’il prétend manifester visuellement la pensée, Duvivier ne poursuit pas la chimère d’une grande image plus suggestive que les objets qu’elle mêle. Loin d’exprimer un psychisme plus profond que la conscience, il figure des conceptions claires. Où est le pessimisme ? La rage devant l’incarnation et la sensibilité ? Mais l’individualisation la plus audacieuse de l’instant, la voici : repoussant un lovelace, la chanteuse voit émerger d’un rideau qui se déroule sans raison le sincère Jean. Il s’avance, tandis que le rideau s’écarte, découvrant à nouveau le séducteur. Décors, orientation, lieux : cette stupéfiante mise en scène se moque de tout cela. Elle ne peint pas la vision de l’héroïne, elle déforme en transport romanesque une anecdote de salon. Rideaux et miroirs, fenêtres et encadrements apparaissent dans tous ces films comme des moyens de traduire la subjectivité la plus âpre, en un mouvement d’humanité passionnée ".