La Fête à Henriette

La critique est partagée : certains approuvent la tentative, en prévoyant cependant un échec public ; d’autres sont franchement hostiles, tels les " Cahiers du cinéma ", qui s’y reprennent d’ailleurs à deux fois : "Une œuvrette vulgaire qui cherche en vain à renouer avec le succès - des plus discutables - de "Sous le ciel de Paris". Un mauvais scénario. Duvivier aurait-il voulu parodier les angles insolites et les contre-plongées d'Orson Welles ? Il oublie simplement que les cadrages de Welles ne sont jamais gratuits" ; quelques numéros plus tard, la charge reste lourde, avec cependant des indulgences coupables : " Un manichéisme naïf a permis aux auteurs de ce film de rejeter dans les scènes parodiques tout l’attirail de l’érotisme de pacotille employé ordinairement dans le commerce et de dégager leurs responsabilités... [Le] niveau moyen de la sexualité des écoles maternelles, et encore, dans les beaux quartiers... Mais le glouton optique n’oubliera pas l’apparition de l’amazone Hildegarde Neff, assez subtilement vêtue d’un triangle principal et fascinant ". Dans un genre très différent, Pierre-Jean Guyo, dans " La croix ", est franchement réticent : " Seigner " raisonnable " ramène son bouillant compère à des exploits moins spectaculaires. Mais là, nous ne marchons plus. La " raison " du " raisonnable " est bien conventionnelle : son bachelier-voleur est tout aussi inconsistant que la brute " à l’américaine " du coscénariste farfelu, son flic-au-grand-cœur ... relèvent de la plus pure tradition du répertoire et sont autant dénués d’intérêt que les personnages à sensation imaginés par Crémieux " stupide ". Nous n’en voulons pour preuve que cet invraisemblable épisode pseudo-freudien de " l’écuyère " où toutes les ficelles de l’érotisme allemand sont tirées - en pure perte pour le film... Quoi qu’il en soit, les auteurs ont certainement eu tort de servir leur œuvre à la sauce " sexy ". Cela nuit au film qui pourrait devenir une farce aimable, voire truculente, mais qui déçoit d’être transformé en publicité pour le concert Mayol. La satire n’exclut pas la discrétion... anatomique ". Même son de cloche ou presque dans " L’humanité " : " A mesure que le film avance, ils [Duvivier et Jeanson] reviennent de plus en plus à tous ces poncifs qu’ils savent frelatés : même lorsqu’ils affectent de s’en moquer encore (très mollement), en réalité, ils les exploitent sans vergogne, ils s’y abandonnent, c’est sur eux qu’ils comptent pour épater le public... Le film, passée la première demi-heure, est un continuel porte-à-faux : on ne croit pas à l’histoire, donc on n’est pas touché ; il n’y a plus de satire vraie, donc on ne rit plus, sinon à quelques gags superficiels ". Jean de Baroncelli, dans " Le monde ", fait lui aussi la fine bouche : " L’impression finale du spectateur est que les deux scénaristes ont tort de travailler ensemble et que, chacun de leur côté, ils feraient certainement du bien meilleur ouvrage... Leur [Duvivier et Jeanson] propos était simplement de nous divertir par une sorte d’autocritique. Pourquoi n’ont-ils pas exploité à fond l’idée initiale du même personnage tiré à hue et à dia par deux créateurs de caractère opposé ? Là résidaient l’originalité et la poésie de leur film... Les métamorphoses de ces héros-délivrance nous auraient davantage amusé que cette intrigue sentimentale qu’on nous raconte dans un décor de 14 juillet ". " Libération " est, d’une certaine manière, plus nuancé : " Un roman tiré de " Elle " marié à une chronique du " Canard enchaîné "... C’est presque toujours à contretemps que nous nous acharnons à rattraper cet attelage qui, tantôt trotte, tantôt galope, tantôt tourne bride et tantôt s’égare en route... Le public n’aime pas (le phénomène est constant) les films... qui détruisent son illusion ". Comœdia non plus n’est pas convaincu par le procédé : " " La fête à Henriette " a des mérites. Mais les mérites ne sont pas forcément amusants... Nos auteurs ne se tirent pas sans adresse ni sans intelligence d’une situation assez difficile. Dès le début, ils nous avouent qu’ils n’ont pas de sujet. Tout le film consiste à nous raconter une histoire dont le sujet n’a pas encore été trouvé. On n’est pas sûr qu’il ait été trouvé à la fin... Je ne veux pas être méchant. Il est certain que ce film, dialogué et raconté par des gens adroits, en vaut un autre. Mais, en fin de compte, ce qu’il a d’ingénieux dans son procédé lui nuit. On ne sait plus ce qu’il faut croire. On ne sait plus démêler ce qui est vrai de ce qui n’est pas vrai, et, avec cela, les événements dont on nous montre avant tout leur aspect hypothétique perdent toute leur valeur d’émotion. Le procédé vaudrait peut-être pour un film d’idées. Ce n’est pas le cas ". D’autres semblent plus sensibles à l’originalité de la manière, et, dans " Télérama ", Marcel Huret est quant à lui plutôt séduit : " Pour le premier [Duvivier], " La fête à Henriette " sert de prétexte à un exercice de virtuosité, tandis que, pour le second [Jeanson] ce film devient l’occasion d’une brillante satire du métier de scénariste, et comme Jeanson est lui-même un scénariste professionnel, on ne peut s’empêcher de penser qu’il effectue ainsi une très spirituelle autocritique... Malgré leur différence de classe, ils forment tous les deux le type même du mauvais scénariste, distributeur " d’opium du peuple ". Or ces " épiciers " du scénario " sont croqués sur le vif par un bon scénariste. Non seulement celui-ci montre impitoyablement leurs tics et leurs obsessions, mais il met l’accent sur la bassesse de leurs concessions commerciales aux goûts vulgaires du public (recherche délibérée de la pornographie ou de l’érotisme, dosage répugnant des bons et des mauvais sentiments, équilibre savant entre la sentimentalité douceâtre et les scènes violentes, etc.) Rarement, sans doute, le cinéma a parodié le cinéma avec autant de lucidité féroce ". Et, comme pour mettre du baume au cœur de Duvivier (et de Jeanson ?), " Combat " est pratiquement enthousiaste : " Dans un semblable propos, on jette pêle-mêle dans la corbeille un grand nombre d’ingrédients disparates, on lance des vérités aux producteurs, aux spectateurs, à soi-même, au cinéma, aux spécialités de l’écran. On mêle le sentiment et la parodie, l’humour et la vengeance et même quelques menus refoulements à qui l’on donne, bien entendu, forme ironique... Duvivier a profité de ces " à la manière de " pour faire du cinéma total, à son goût, à son idée, et pour surclasser, en les moquant, la plupart des modèles... Certes, il manque un personnage dans cette histoire du film avant qu’il n’existe, c’est celui du producteur... L’ensemble est désinvolte et insolent, une pochade traitée avec les matériaux et la manière d’un grand film. Cela devient un grand film, mais les données en sont brouillées volontairement. C’est bourré, bourré à ras bord d’esprit, d’idées, de poésie... Les psychanalystes curieux devraient aller faire un petit tour au cinéma et nous donner leurs portraits des auteurs ".