Imprimer

Histoires de films

Manon des sources : un producteur refuse une avance

Le fonds du Crédit National rassemble tous les dossiers de films ayant sollicité une avance à la production, qu'un contrat de prêt ait été signé ou non (refus du Comité d'attribution ou abandon du projet par le producteur). Manon des sources, film tardif de Marcel Pagnol (1952), offre un exemple original de ce deuxième type de dossier. Ici, le réalisateur-scénariste-dialoguiste-producteur renonce au bénéfice de l'avance un mois après l'accord du service de prêt, sur ce constat amer : « Je croyais que le Crédit National était le philanthropique bienfaiteur du cinéma. Je m'aperçois qu'il coûte beaucoup trop cher, comme d'ailleurs la plupart des bienfaiteurs ». La demande de la Société nouvelle des films Marcel Pagnol avait été acceptée en première lecture en mai 1952 (« le renom et l'expérience de l'animateur de cette production […] autorisent une avance ») et assortie des conditions habituelles (« délégation de 75% des recettes françaises ») et d'une plus exceptionnelle (« la caution de M. Marcel Pagnol »).

Dans son courrier d'annulation, M. Pagnol reproche au Crédit National de ne pas prendre de risque (remboursement au premier rang des recettes et caution personnelle) et d'imposer des frais qui portent, selon ses calculs, à 32,40% l'an les intérêts du prêt (Pagnol ajoute au taux d'intérêt annuel, le coût de l'assurance et de l'expertise-comptable Chéret imposés par la banque). Le contrôle exercé par Pierre Chéret est jugé « intolérable » : « parce qu'il représente les 15 millions du Crédit National, il a le droit de surveiller les 25 que j'apporte [sur un devis de 51 216 000 F], et de donner son avis sur tout. » Le Comité répond, laconique, prendre « acte du désistement du producteur qui n'accepte pas de se conformer aux conditions habituelles destinées à assurer la sécurité des Fonds du trésor ». Le film sort le 16 janvier 1953 et, avec 4 278 000 entrées en fin d'année, se place en neuvième position du box-office. En pointant le caractère « onéreux » de l'aide du Crédit National, Marcel Pagnol a pu, en juin 1952, formuler des critiques partagées par d'autres producteurs - des producteurs renonçant à l'avance sans en expliquer les motifs ou dédaignant même d'engager la procédure. Son argumentaire n'est pas en effet sans préfigurer les raisons du repli du Service des prêts sur ses autres secteurs industriels quand, à la fin des années cinquante, les sources de financements privées et publiques se diversifient pour les producteurs de cinéma.

L'analyse de Pagnol forme pourtant l'exact contraire de celle de Pierre Braunberger, qui sollicitait en 1950 pour Le Tampon du Capiston une avance plus importante que celle obtenue en premier examen (voir Correspondance du Tampon du Capiston). Le dossier de Manon des sources rappelle ainsi comment chaque opération d'avance conduite au Crédit National se situe à la croisée de l'histoire générale du financement du cinéma et de l'histoire particulière d'une maison de production. Les conditions fixées à la société nouvelle Les Films Marcel Pagnol relèvent en fait de ce que le Service des prêts appelle « un dur » (pourcentage sur la délégation des recettes très élevé, contrôle total des comptes du film par Pierre Chéret et caution personnelle), quand d'autres avances sont consenties avec plus de souplesse. Le Comité d'attribution dispose ainsi d'un volet de conditions permettant de signifier encouragement ou découragement au producteur, et traduisant la plus ou moins grande part de risque que l'organisme est disposé à prendre.

Dans ce cas précis, la position du Crédit National s'éclaire également par les démarches de l'associé de Marcel Pagnol à Paris, Frédéric Heldt. Celui-ci s'est rendu dans les bureaux de la rue Saint-Dominique quelques jours avant la réunion du Comité d'attribution et a « ordonn[é] confidentiellement à Chéret des instructions ». Si bien qu'il paraît établi - à la lecture de notes manuscrites glissées dans le dossier - que si « Chéret a envoyé un « dur » », c'est « à la demande de Frédéric Heldt ». Les échanges entre Marcel Pagnol et la banque, accessibles à livre ouvert dans les archives, doivent donc être remis en perspectives avec les discrètes différences de vues des deux associés de la Société nouvelle des films Marcel Pagnol, récemment approchée par Gaumont.

  • Manon des sources : un producteur refuse une avance (1952) (1)
  • Manon des sources : un producteur refuse une avance (1952) (2)
  • Manon des sources : un producteur refuse une avance (1952) (3)