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Dossiers d'avance à la production

Le synopsis d'Allemagne, année zéro et la continuité dialoguée de La Reine Margot

Le scénario est une pièce-clé dans l'instruction d'une demande. Le bref synopsis fourni par le producteur est placé en ouverture du dossier, puis reproduit dans le « rapport de synthèse » étudié par le Comité d'attribution des avances lors de sa première lecture du projet. A côté de ce « résumé », un découpage technique est également versé et conservé, lui, à part. Ces documents scénaristiques sont examinés avec attention, les avances étant sollicitées sur projet avant tournage. Les appréciations sur les « sujets », les « thèmes » et la caractérisation « des personnages » interviennent dans la décision finale, en étant parfois discutées avec le producteur.

Dans le cas d'Allemagne, année zéro (Roberto Rossellini, 1947), la présentation du frère d'Alfred comme quelqu'un « qui se cache pour échapper à la police alliée qui pourrait l'enfermer dans un camp de concentration étant donné sa qualité d'ex-militaire » suscite la réaction discrète du lecteur du Comité : un point d'exclamation est porté en marge du synopsis. Produit en 1947 par la société italienne Tevere, le onzième film de Roberto Rossellini (et dernier titre de son triptyque sur la Libération après Rome, ville ouverte et Paisá) va au final être aidé par le Crédit National. La banque s'écarte de la mission initiale de financer la seule production nationale, et s'accorde à présent avec la politique de coproduction stimulée par la création du nouveau Centre national de la cinématographie (1946). Le film, coproduit par Salvo d'Angelo Produzione, Sadfi et UGC, rassemble des sociétés établies dans trois villes hier en guerre, et symbolise ainsi une nouvelle entente entre Rome, Berlin et Paris. Le document présenté au Comité d'attribution des avances s'achève d'ailleurs sur une note optimiste, conforme à cet ordre politique : Alfred comprend enfin combien fut « « monstrueux » le nazisme » et il s'ouvre à « une nouvelle foi, la foi qui ressort de la jeunesse orientée vers un avenir de bonté et de travail ». On sait que le film, sorti en France le 2 février 1949 par l'Alliance générale de distribution cinématographique (AGDC), présente une fin autrement sombre, avec un suicide de l'enfant dont il n'est prudemment pas fait état dans le dossier versé au Crédit National.

Le dossier de La Reine Margot (Jean Dreville, 1954) témoigne en revanche d'une intervention explicite du Comité d'attribution des avances sur le contenu du scénario. La couverture du découpage porte la mention « pour accord sur ces dialogues définitifs remaniés » : à l'intérieur du document, de petits papiers collés en volets sur 206 pages permettent de lire à la fois le texte original et ses remaniements. Les termes « Catholiques » et « Protestants » sont remplacés par ceux de « Bourbons », « Valois » et « Navarrais » ; le verbe « abjurer » devient « renoncer », etc. Ce travail, alliant substitution sémantique et travaux manuels, évoque les ciseaux de la censure autant que la négociation - entre la banque d'un côté, le producteur et le scénariste de l'autre - visant à assurer que le film ne suscite aucune controverse, en particulier au cours de son exploitation commerciale. La réécriture des dialogues du film dans un sens qui vise à édulcorer cet épisode sanglant de l'histoire politique et religieuse, est à relier aux autres vicissitudes de La Reine Margot, projet présenté au Crédit National par trois producteurs successifs entre 1952 et 1954. Les synopsis et découpages du fonds d'archives permettent donc d'apprécier les évolutions d'un scénario dans un processus au long cours. Ils ménagent un accès, le cas échéant, à la manière dont les producteurs répercutent auprès des scénaristes-dialoguistes les attendus implicites ou les recommandations expresses du Comité. Il s'agit, pour la production, de maximiser ses chances d'obtenir un prêt, et pour la banque, de s'assurer d'une large assise de recettes (films tous publics) pour être remboursé dans le délai de trois ans. Pour un organisme attaché à soutenir l'industrie du cinéma en tant qu'elle intéresse l'économie nationale, la décision de prêt ne saurait se limiter au cadre purement technique de l'arbitrage entre risques et garanties bancaires ; elle a partie liée avec des considérations sur la portée culturelle et politique du financement.

  • Synopsis d'Allemagne, année zéro
  • Extraits du scénario de La Reine Margot (1)
  • Extraits du scénario de La Reine Margot (2)