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 Un projet inspiré du journal de tournage de La Belle et la Bête
publié aux Editions du Rocher

 

Couverture

Le journal de tournage de La Belle et la Bête

Pendant la guerre, Jean Cocteau éprouve un besoin d’évasion qu’il n’aura de cesse de vouloir partager, cherchant à transposer la poésie sur pellicule. Il relit La Belle et la Bête, le conte de Madame Leprince de Beaumont, et décide de l’adapter au cinéma. Il coupe, modifie, ajoute un personnage, en estompe d’autres, limite les dialogues pour laisser place au merveilleux, et achève une première ébauche en mars 1944. Le scénario se met doucement en place, étayé par différentes idées de réalisation, de maquillage, costumes, ou trucages…

Malgré le contexte difficile, la Gaumont est d'abord séduite, mais se désengage bientôt du projet. Cocteau ne renonce pas, et grâce à André Paulvé, le film commence à prendre vie tandis que le réalisateur réfléchit avec enthousiasme à sa future équipe. L’aventure pleine d’aléas de La Belle et la Bête va pouvoir s’engager. 

Cette aventure, Cocteau va scrupuleusement la retracer dans un journal de tournage, que nous vous invitons à feuilleter, au jour le jour, sur ce site réactualisé régulièrement.

 

 

 

1er juin 1946

"J’avais décidé de prendre la fuite après le point final du film. Or hier, vendredi, je l’ai présenté, dans la salle de projection de Joinville, aux techniciens du studio.
L’annonce de cette projection, inscrite au tableau noir par les projectionnistes, révolutionnait Saint-Maurice. On avait ajouté des bancs et des chaises. Lacombe avait changé ses heures de tournage pour que ses artistes et son personnel fussent libres.
A six heures et demie, Marlene Dietrich occupait son fauteuil à côté du mien et j’essayais de me lever et de prononcer quelques paroles. Mais l’accumulation de toutes les minutes qui aboutissaient à celle-là me paralysèrent et m’en rendirent presque incapable. J’assistai au film en tenant la main de Marlene et je la broyai sans m’en apercevoir. Le film se dévidait, gravitait, étincelait, en dehors de moi, solitaire, insensible, lointain comme un astre. Il m’avait tué. Il me rejetait et vivait de sa vie propre. Je n’y retrouvais que les souvenirs attachés à chaque mètre et les souffrances qu’il m’avait coûtées. Je ne soupçonnais pas que d’autres y pussent suivre une histoire. Je les croyais tous plongés dans mon imagination.
L’accueil de cette salle de travailleurs fut inoubliable. Voilà ma récompense. Quoi qu’il arrive je ne retrouverai jamais la grâce de ce cérémonial organisé très simplement par un petit village dont l’artisanat consiste à mettre du songe en conserves."

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avril 1946

"Voici le jour de la Musique. J’ai refusé d’entendre ce que Georges Auric composait. J’en veux recevoir le choc sans préparatifs. Une longue habitude de travailler ensemble m’oblige à lui faire une confiance absolue.

Nous enregistrons de neuf heures du matin à cinq heures dans la Maison de la Chimie. Cette opération est la plus émouvante de toutes. Je le répète, ce n’est que sur l’élément musical que le film peut prendre le large. Desormières est au pupitre. Jacques Lebreton [chef de son] dispose les instrumentistes et les chœurs. Le microphone est dressé sur une longue perche au centre de la salle. Derrière l’orchestre, l’écran recevra le film que la demi-lumière et des appareils de fortune permettent de distinguer à peine.

Et voici le silence et voici les trois foudres blanches qui annoncent l’image et voici l’image et voici le prodige de ce synchronisme qui n’en est pas un puisque Georges Auric l’évite, à ma demande, et qu’il ne doit se produire que par la grâce de Dieu.

Cet univers nouveau me trouble, me dérange, me captive. Je m’étais fait une musique sans m’en rendre compte et les ondes de l’orchestre la contredisent. Peu à peu Auric triomphe de ma gêne absurde. Ma musique cède la place à la sienne. Cette musique épouse le film, l’imprègne, l’exalte, l’achève."

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25 janvier 1946

"Le matin, j’ai corrigé les trois premières bobines. Georges Auric venait à deux heures et demie. Après déjeuner, je les lui montre et il minute au chronomètre. Je retourne à Paris, je l’emmène au Gymnase où je nous enferme dans le bureau de Mme Rolle pour parler travail. J’aimerais des chœurs, un orchestre normal et un petit orchestre très singulier chez la Bête. Après avoir imaginé la place de ces trois styles de musique, nous nous rendons sur le plateau."

 

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6 janvier 1946

"Duverger [directeur du son de Saint-Maurice] m’a fait mettre un magnifique Moviola dans la chambre de montage. Je pourrai commencer vite le travail qui m’effrayait à cause de l’ancien Moviola. Le Moviola, c’est l’appareil qui nous permet de voir le film et de l’entendre à une petite échelle, de l’arrêter en route, de le tourner à l’endroit et à l’envers."

 

4 janvier 1946

"La semaine prochaine, je commencerai le montage. C’est le véritable rythme de l’œuvre. Mon écriture. N’importe qui d’autre me rendrait ma page d’écriture corrigée, recopiée, en ronde ou en bâtarde. Ibéria, qui me devine, tâche de me rendre ce service impossible à rendre : écrire à ma place. Mais son travail me facilite la tâche et ne me laisse pas au milieu d’un inextricable nœud de pellicule. Elle y apporte son calme, sa grâce, sa discrétion."

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4 janvier 1946

"Nous allons travailler de nuit. Je ne connais rien de plus triste que la fin d'un film, qu'une équipe amoureuse qui se désagrège. Le moindre machiniste est sensible à cette petite mort. Le travail qui me reste à entreprendre est difficile. Le Prince et Belle s'envolent. Le Prince et Belle volent dans les nuages."

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29 décembre 1945

"Cette nuit, je vais entreprendre mon truquage à moi. Il exige trois heures d’immobilité complète de Marais qu’on maquille peu à peu. Bouger d’un quart de millimètre ferait manquer la prise. C’est pourquoi j’ai laissé faire Alekan. Si ma prise échoue… je choisirai une des siennes."

 

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28 décembre 1945

"La nuit dernière j’ai tourné les scènes de la Bête qui agonise. J’avais serré le cou des cygnes dans des colliers. Ils sont arrivés en une heure à les arracher. Leurs efforts et leur colère leur donnaient des arabesques de monogrammes. Le hasard m’a valu de véritables trouvailles d’écriture qui poseraient des problèmes insolubles si l’on s’avisait de les préméditer. Les cygnes se prirent de fureur contre cette bête inconnue dont la crinière et la patte pendaient dans l’eau. Ils l’attaquaient et soufflaient. Marais, avec son flegme habituel, ne bronchait pas et supportait leurs attaques. Ces cygnes attaquant leur maître malade, dépossédé de ses privilèges, ajoutaient à la scène une grande étrangeté. J’aime ce dernier décor. Le cheval ailé miroite sous l’eau de la source qui coule. La lune éclaire une flaque d’encre."

 

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25 décembre 1945

"L’étonnante publicité faite à l’avance autour de ce film vient certes moins de nous (je veux dire de la curiosité que suscitent nos entreprises) que de cette Bête et de cette Belle dont s’excitait notre enfance. Il reste heureusement de l’enfance dans ce public blasé. C’est cette enfance qu’il faut atteindre. C’est la réserve incrédule des grandes personnes qu’il faut vaincre."

 

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25 décembre 1945

"J’ai traversé, avec Bérard, les décombres de la chambre pour mettre au point la source. C’est mon dernier décor. Tristesse poignante. Tout l’accablant travail d’un film se volatilise et ne nous laisse que son reflet. Les lieux où nous avons peiné, lutté, souffert ensemble deviennent des lieux nouveaux habités par des locataires qui nous traitent comme des étrangers en visite."

 

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20 décembre 1945

"A la fin des prises de vues (dans une quinzaine), je commencerai le film, en quelque sorte. Il faudra monter, mélanger, trouver la place des musiques de Georges. Il faudra lui imprimer son et mon rythme."

 

16 décembre 1945

"Il fallait, une fois, que cette chose fût tentée : un poète qui raconte par l’entremise d’une caméra. Je sais qu’on me blâme de m’éreinter pour un film. On se trompe."



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11 décembre 1945

"Je n’ai jamais vu ni au théâtre, ni au cinéma, un décor qui me convienne autant que cette chambre de Belle où je travaille. Elle exerce un charme. Les ouvriers s’y plaisent. Les serveuses du restaurant la visitent, en extase. Cette chambre, qu’on aimerait entendre décrite par Edgar Poe, est construite en l’air, dans le vide, au milieu des restes de ma forêt et des ébauches de mon futur décor de la source. Il en résulte qu’à travers ses murs de voiles, envahis de broussailles, on devine tout un paysage incompréhensible. Le tapis est d’herbe, les objets de ce mauvais goût magnifique de Gustave Doré. Aux angles, à droite et à gauche de la porte, j’ai placé les cariatides vivantes, prises dans des bosquets. Derrière le mur transparent, j’ai suspendu les candélabres que les bras de plâtre tiennent à l’extérieur. Tout cela est traversé de ces pâles rayons d’arcs qui me blessent, mais dont la magnificence étonne. (…) J’ai moi-même orné le lit de ses lianes, placé les meubles, la garniture de la coiffeuse."

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11 décembre 1945

"J’ai commencé aujourd’hui la séquence imaginée la nuit du 5 décembre. Bérard a placé dans le couloir deux bustes d’une grande beauté. Ce sont des Turcs Louis XIV, en marbre. Derrière un de ces bustes je fais se cacher Belle lorsque la Bête lui apparaît la nuit, dans le couloir, comme en état d’hypnose. Les mains de la Bête fument et elle les regarde pour la première fois avec épouvante."

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5 décembre 1945

"Projection des candélabres qui s’allument tout seuls (tournés à l’envers). Elle a parfaitement l’air tournée à l’endroit. Le style se rattache à Méliès, à Robert Houdin, au Sang d’un poète. Beaucoup de dureté, de surprise un peu farouche, de violence. J’aime ce style et je le préfère à ce que j’attendais."

 

 

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5 décembre 1945

"Le style se rattache à Méliès, à Robert Houdin, au Sang d'un poète. Beaucoup de dureté, de surprise un peu farouche, de violence. J'aime ce style et je le préfère à ce que j'attendais."

 

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1er décembre 1945

"Tiquet me dit qu’il serait pauvre d’éviter les bras porte-candélabres lorsque Marcel André se lève de la table. Il a raison. Je donne les ordres. Mais les candélabres suspendus par les fils invisibles se balancent au bout des bras aveugles. Carré imagine des supports noirs. Les machinistes les construisent. Après une heure de travail, les supports se confondent avec les murailles et les candélabres se tiennent droits. Cette forêt de lumières étonne. Clément ajoute la vie des flammes de bougie grâce à un contreplaqué qu’on agite. Je tourne cette image qui me semblait intournable avant la semaine prochaine."

 

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1er décembre 1945

"De neuf heures du matin à six heures et demie du soir, sans relâche, avec Bérard, j’ai travaillé sur le décor noir. Je me paie le luxe de m’attarder aux détails car j’ai remarqué, en choisissant mes suites, que le film se déroulait à toute vitesse."

 

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1er décembre 1945

"J’avais trouvé que l’éclairage d’Alekan, sur les têtes des statues vivantes, était trop vif et les humanisait. Je recommence les prises. Je charge les têtes en peinture sombre comme si le feu les avait léchées. Aussitôt les yeux brillent et les têtes se mélangent aux moulures. Les essais me le prouvent à la loupe."

 

 

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30 novembre 1945

"Les jeunes figurants qui tiennent le rôle des têtes de pierre font preuve d’une patience incroyable. Inconfortablement installés, à genoux derrière le décor, les épaules dans une sorte d’armure, ils doivent appuyer leurs cheveux gominés et bavoxés contre le chapiteau pour recevoir les arcs de face. L’effet est tel que je me demande si l’appareil traduira son intensité, sa vérité magique. Ces têtes vivent, regardent, soufflent de la fumée, se tournent, suivent le jeu des artistes qui ne les voient pas comme il se peut que les objets qui nous entourent agissent, en profitant de notre habitude de les croire immobiles."

 

 

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24 novembre 1945

"Voici que l'arc qui transperce Marais à la fin du film devient chez moi cette lumière d'arc qui me blesse les yeux, le front, les joues, et qui, dès que ma figure se calme un peu, me frappe de nouveau à la même place. Ce soir c'est intolérable."

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25 novembre 1945

"Crise violente. Je suis balafré de rouge, les yeux gonflés. Je peux à peine les ouvrir. Par un effort de volonté, je travaille. Un machiniste m'achète les verres. Ils adoucissent la vue, mais n'interceptent par les rayons d'arc. Demain, Tiquet m'apportera les siens qui protègent."

 


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24 novembre 1945

"Je revois, en projection parlante, la projection muette d'avant-hier. Remarquable travail de Lebreton qui baigne bruits et voix dans une atmosphère douce et forte."

 

22 novembre 1945

"Le soir, au laboratoire, j'ai vu, muettes, les images de l'écurie. Réussite. Alekan a trouvé le style féérique dans le réalisme. C'est le vrai de l'enfance. La féérie sans fées. La féérie des cuisines."

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21 novembre 1945

"Devant la porte des loges, Escoffier amène un à un les garçons qu’il déguise avec ce qu’il trouve. Bérard nous rejoint et retouche. Il est incroyable de le voir créer des Le Nain et des Peter de Hoog, en quelques minutes, sans qu’il existe un seul costume de base. Spectacle mystérieux auquel les cinéastes ne comprendraient rien, habitués aux maquettes préalables, aux costumes loués, à cette fausse exactitude du costumier de théâtre."

 


Echecs

21 novembre 1945

"Déjeuner. S. et un autre directeur de Gaumont viennent de voir projeter quelques scènes. L'épreuve était importante car le film dépasse les devis prévus et Paulvé doit obtenir que l'apport Gaumont augmente. Succès sur toute la ligne. Le contentement de Darbon s'exprime par une grande gentillesse. Bérard n'aime pas les prises du décor de la grande porte du château. Darbon offre de les refaire. (Offre unique dans l'histoire des producteurs)."

 


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21 novembre 1945

"Tous ceux qui arrivent de l'extérieur et qui pénètrent dans notre univers du film sont étonnés par la bonne entente de notre équipe. Ils me disent que cette bonne entente est très rare. Je me demande pourquoi. Le travail dans le drame et la mauvaise humeur doit être un supplice (...). Une seule ombre est de voir que le film avance et que la minute approche de ne plus vivre ensemble. Le moindre machiniste me manquera. Ne plus m'entendre dier "Bonjour, mon Général" dans le froid du matin par le personnel de Joinville, me causera un ennui que je n'ose regarder en face."

 

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20 novembre 1945

"Ibéria me montre la prise de Touraine où Aramis se cabre. Elle est, hélas, inutilisable. Trop courte, mal cadrée. Il va falloir cabrer Aramis demain, et avec quelqu'un en croupe, il s'y refuse. Perspective de difficultés sans nombre. Mais chaque prise s'arrache du vide. Aucune n'est simple. Métier de courage et de patience. Nous vivons dans la poussière de plâtre et de paille."

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25 novembre 1945

"La projection de l'écurie est rapide, sombre, traitée dans le clair-obscur, saisissante. L'image de Belle qui se penche sur le col du Magnifique a l'air d'un dessin de moi."

 

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18 novembre 1945

"Cette nuit j’avais une crise des yeux, fatigués par la lumière des arcs. Je combinais le trucage final de la métamorphose d’Avenant en Bête. Je réserve ce trucage, parce qu’il exige la perte des deux masques de Pontet. La difficulté consiste à garder la figure de Marais dans une position qui ne doit plus changer d’un millimètre tout en le laissant exprimer la terreur. Petite prise par petite prise je prendrai les poils qui envahissent le front, une joue. Je maquillerai un oeil, je placerai les crocs. Je taillerai une longue zébrure que je collerai comme un éclair. J’accélèrerai ce puzzle jusqu’à ce que toute la surface soit recouverte. Obtenir cette métamorphose à la manière d’une dégelée de coups, d’un cataclysme."

 

17 novembre 1945

"On amène Doudou sur le plateau, aveugle, les yeux couverts par ses faux yeux de statue. Carrier la porte. Elle gèle. Elle a la chair de poule. On la réchauffe avec des projecteurs. Alekan hésite, cherche, tâche de faire miroiter le trésor. Doudou s'est couchée à sept heures du matin. Elle n'imaginait pas la discipline de notre travail. Elle évite de justesse la crise de nerfs. Elle somnole."

 

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17 novembre 1945

"On ne savait comment coiffer Doudou. Marais conseille de prendre sa perruque de Pontet (celle du rôle du Prince), rôle pour lequel il a décidé de se teindre et de tourner avec ses cheveux. La perruque coiffe Doudou parfaitement bien. On n’a eu qu’à la plâtrer au bavox."

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15 novembre 1945

"L'extérieur du pavillon de Diane dépasse de beaucoup ce que j'en attendais. C'est le pur Gustave Doré des images de Perrault."

 

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15 novembre 1945

"J’ai tourné les garçons qui arrivent au Pavillon de Diane (…). Sans doute ce décor difficile est un des plus merveilleux de Bérard. Voici ma méthode pour faire travailler cet homme qui flambe de désordre et de précision maniaque. Je le devance. Je lui présente un décor médiocre. Il s’alarme, s’affole et le corrige, le métamorphose jusqu’à rejoindre mon rêve."

 

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15 novembre 1945

"Vu des ébauches de montage. Stade pénible. Habitué aux mêmes images qui recommencent quatre ou cinq fois, aux détails, à l’appareil qui s’attarde, je ne reconnais plus rien et le film me semble couler trop vite. Il va falloir m’accoutumer à ce stade et découvrir les longueurs dans ce qui me semble si court. Pour ce travail je dois attendre d’avoir un œil neuf, lavé des souvenirs personnels qui s’attachent à chaque image. Après le film j’aurai, avec Ibéria et Jacques Lebreton, un écrasant travail de mélanges."

 

13 novembre 1945

"Alekan fait de gros progrès en ce qui concerne les acteurs et l'étude de leurs visages. Comme les premières prises passeront après les autres et qu'il sera en pleine forme pour une fin de travail qui coïncide avec celle du film, ces hauts et bas que je remarque ne se remarqueront peut-être pas."


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12 novembre 1945

"Panne d'électricité. Je m'éclaire à la bougie. Ces pannes nous retardent. Les acteurs ne peuvent pas se maquiller. Lorsque j'arrive, l'avance est perdue. En outre, elles risquent d'amener des catastrophes au laboratoire."

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13 novembre 1945

"Aujourd'hui, sept pannes d'électricité. Travail presque nul. Rien ne démoralise plus que cette usine de Saint-Maurice où tout cesse de vivre, où le froid s'installe, où seuls quelques machinistes s'acharnent sur le décor, à la bougie."

 

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12 novembre 1945

"L'argent, chose néfaste, devient faste dans le mécanisme d'un film. En effet, sans la crainte d'en perdre, les producteurs n'apporteraient pas à notre travail un tel tribut d'exactitude, de vitesse, de collaboration. La voiture nous ferait attendre, les ouvriers flâneraient, les décors resteraient en route, les objets difficiles à trouver ne viendraient pas se mettre, comme d'eux-mêmes, sous notre main."

 


 

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12 novembre 1945

"Je suis défiguré, dévoré par ces rougeurs qui me gonflent les yeux et les joues. Ce que je demande, c'est de pouvoir continuer mon travail, dans un milieu qui m'accepte comme je suis et qui m'aime."

 


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11 novembre 1945

"J’ai passé mon dimanche à corriger dans ma tête le montage du début. J’estime que le cinéma doit tricher avec l’espace et le temps."

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11 novembre 1945

"Peu importent les fautes. Elles deviennent un relief."

 


 

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12 novembre 1945

"Hier, j'ai passé deux heures à régler le plan où Josette frotte le parquet et s'y reflète, où la main de Jeannot entre dans l'image et arrache la flèche. Réorganiser le hasard. Voilà la base de notre travail."

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12 novembre 1945

"De deux heures à six heures et demie, j'ai pu suivre d'une haute galerie (...) les innombrables maladresses de l'artiste russe qui interprétait l'usurier. Il ne savait ni bouger, ni parler. Son aspect était excellent. Le reste déplorable. Si je le trouve inefficace à l'écran, je doublerai le rôle moi-même. Courage. Courage. Courage."

 


 

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10 novembre 1945

"Je ne dis pas : quel beau travail (je n'en sais rien), mais : quel bon travail j'ai fait depuis hier matin. Tout venait de soi-même se mettre dans un ordre inattendu. Je ne sentais ni mon oeil ni ma fatigue. Acteurs, opérateurs, machinistes, étaient soulevés par une seule aile qui semblait sortir de mon coeur."

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11 novembre 1945

"Travail harmonieux. Le découpage, le rêve, l'imagination préalable, les lumières, la chambre, le linge pendu devant la cheminée, les artistes, tout était huilé, à l'aise, en ordre."

 

 


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9 novembre 1945

"L’admirable du cinéma, c’est ce tour de cartes perpétuel qu’on exécute devant le public et dont il ne doit pas connaître le mécanisme."

 


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9 novembre 1945

"Les robes s'abiment, se déchirent, se fripent, mais elles VIVENT. Les premiers jours, une actrice n'ose s'y mouvoir. Ensuite, avec l'habitude, les plus lourdes manches, les collerettes les plus raides, les traînes les plus longues se meuvent avec aisance."

 

9 novembre 1945

"Les détails qui inquiètent tellement les habilleuses et la script-girl ne comptent pas tellement à l’écran. Je ne me gêne jamais pour changer un meuble de place. Dans la vie, on a déjà de la peine à témoigner, de mémoire, sur ce que l’œil a vu. Il en va de même pour les images."

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7 novembre 1945

"A la projection, je me demande toujours comment des scènes brillantes et fraîches peuvent sortir des lieux infestés de poussière et du froid de cave où nous travaillons."


 

 

8 novembre 1945

"L'après-midi je groupe cinq numéros en une seule grande prise. C'est un travail difficile pour Tiquet, mais j'aime, lorsque c'est possible, ces grands mouvements de jeu où l'appareil se précipite d'un personnage à l'autre."

 

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7 novembre 1945

"Ce n'est pas de l'urticaire que j'ai. C'est de l'eczéma, chose tenace et mystérieuse. Le docteur essaie de nouvelles piqûres, mais, hélas, il sent bien que sur un organisme affaibli, le mal se déclenche sous toutes ses formes. Les dents me menacent."

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8 novembre 1945

"Le docteur D. venu me voir tourner au studio découvre que mes principales misères du visage résultent d'un coup de soleil artificiel par les arcs."

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8 novembre 1945

"Les machinistes, atteints de ce mal, le soignent avec une pomme de terre râpée qu'ils appliquent sur le visage."

 

 

 

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6 novembre 1945

"Rien n’est plus beau que d’écrire un poème avec des êtres, des visages, des mains, des lumières, des objets qu’on place à sa guise."

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2 novembre 1945

"Les assurances voulaient que je travaillasse demain, ce qui est fou. Je tâcherai de reprendre le film mardi, alors que les médecins de l'hôpital me demandaient quinze jours de changement d'air et de campagne. Le principal est de tenir le coup."

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3 novembre 1945

"Une chose est de faire jouer les assurances. Une autre est de laisser tout ce monde en panne."

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6 novembre 1945

"Reprendre mon travail du film. Je suis dans l'état des enfants à Noël. Je me suis réveillé trop tôt. Levé trop tôt. Je ne tenais plus en place."

 

 

 

29 octobre 1945

"Ce n'est pas parce que je traite une féérie que j'en use si librement avec le réalisme. Un film est une écriture en images et je cherche à lui communiquer un climat qui corresponde davantage aux sentiments qu'aux faits."

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29 octobre 1945

"N'est-il pas dans ma ligne que mon visage se détruise, enfle, craque, se couvre de blessures et de poils, que ma main saigne et suinte, puisque je couvre le visage et la main de Marais d'une carapace si douloureuse que le démaquillage ressemble au supplice de mes pansements ?"

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29 octobre 1945

"Et maintenant, il faut que je dise la vérité. Je n'ai jamais été aussi heureux que depuis que je suis malade. Ma souffrance ne compte pas."

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29 octobre 1945

"Alekan m’annonce que nous aurons six mille mètres de pellicule Agfa. Il est désespéré de se rendre compte, après des essais d’avant-hier, que tout ce que nous avons fait rendrait cent fois plus sur une pellicule sensible".

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29 octobre 1945

"Comme à mes yeux la poésie, c'est la précision, le chiffre, je pousse Alekan vers l'inverse de ce qui semble poétique aux imbéciles. Il est un peu troublé. Il n'a pas encore ma longue habitude de lutte, ma sérénité en face des sottises de l'époque."

 

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29 octobre 1945

"Visite d'Emile Darbon en très bonne forme et plein de cette sagesse qui me rassure. On sent que Darbon aime le film et son équipe et qu'il s'ennuie sans nous. Je lui ai raconté ce qu'on m'a dit des assurances, il hausse les épaules".

 

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23 octobre 1945

"Lymphangite. Flegmon au cou. Impétigo qui recommence. Bronchite.(...) Je décide avec Paulvé et Darbon d'arrêter le film".

 

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23 octobre 1945

"J'ai beaucoup de peine d'interrompre le travail. Mais j'ai dépassé la limite. Ce n'est plus possible. Je deviens fou ."

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25 octobre 1945

"Me voilà depuis hier à Pasteur (...). J'occupe une sorte de petite salle de chirurgie où les médecins et les soeurs ne cherchent qu'à soigner vite. S'il vient un visiteur, il ne peut me voir que derrière les carreaux. Je n'ai pas de livres. En dehors de ces notes, je n'écrirai pas. Je me refuse de penser au film ."

 

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18 octobre 1945

"Je suis réveillé par des douleurs insupportables et comme je ne peux ni dormir, ni marcher de long en large, je me soulage en prenant ce cahier pour essayer de crier mon mal aux amis inconnus qui liront ces lignes. Ils existent. Je les connais sans les connaître. Je les devine dans l'ombre. Une bête féroce (la Bête) me tenaille la nuque d'une griffe puissante (...). Malgré le courage que je suis décidé d'avoir, malgré ma certitude que je paie le trop grand bonheur d'exécuter un film auquel je rêve depuis des mois et des mois, il m'est difficile de vivre ces minutes. La souffrance m'arrache des plaintes (...). Je me demande s'il est possible de supporter ce que je supporte ."

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19 octobre 1945

"Aujourd'hui, je travaillais dans une souffrance si virulente que je craignais sans cesse de m'évanouir, mais je continuais, je dirigeais, j'inventais, je recevais les visiteurs comme si j'avais eu un ressort."

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22 octobre 1945

"Le mal est devenu torture, torture si grave que j'ai honte d'imposer le spectacle de ma personne. C'est, je crois, ce qui pourrait me décider à rester chez moi."

 

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16 octobre 1945

"Sans en tirer la moindre fierté, je me demande si un autre homme ferait le travail que je fais en souffrant ce que je souffre ."

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20 octobre 1945

"L’œuvre qui dévore son auteur n’est pas une boutade. C’est une vérité. L’œuvre nous déteste et cherche n’importe quel moyen criminel de se débarrasser de nous."

 

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14 octobre 1945

"Peu à peu, Alekan trouve son équilibre et ce qui correspond à ma manière de raconter, de gesticuler, d’écrire. Il est très attentif et je lui en ai une grande reconnaissance. Il ne s’obstine jamais, ne cherche pas à prouver que j’ai tort. L’équipe est de plus en plus homogène."

 

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13 octobre 1945

"De toute cette vitesse, de toutes ces scènes si courtes, il est possible que sorte une lenteur. Personne au monde ne saurait le dire d'avance. C'est une question que je me refuse. Je travaille au jour le jour et je tâche de pointer mon tir, chaque minute, sur un seul objectif. Il serait anormal qu'une beauté ne surgisse pas d'une telle récolte."

 

 

 

Atable

12 octobre 1945

"Ce matin, je pouvais me payer le luxe de transformer Mila. Nous avons emmené Bérard à Saint-Maurice. Il s'est enfermé avec elle dans sa loge. Une heure après, nous avons vu sortir une grande merveille, un portrait espagnol d'une extrême noblesse et aussi violent qu'une caricature. La petite tête de mort de l'actrice était prise entre le cône d'une haute perrruque piquée de rubans rouges et de diamants et une fraise gaufrée, tuyautée, baleinée, ondulée, frisée, hérissée comme une plante sous-marine."

 

 

 

11 octobre 1945

"Nous travaillons de neuf heures à quatre heures et demie. Les ouvriers suspendent le travail pour une assemblée syndicale. Samedi le son, stupidement payé, se met en grève. Je tournerai les raccords muets du cerf, de Josette qui se trouve mal. Lutte interne. Lutte externe. Tout s'acharne contre ce film."

PereFille

 

PortraitJosetteDay

11 octobre 1945

"Il me faut louer Josette sans réserve (…). Son jeu est la grâce, la simplicité, le naturel-surnaturel mêmes (…). Je ne connais personne, actuellement, capable d’interpréter ce rôle à sa place. Je dois une grande reconnaissance à Pagnol."

 

NanePommes

10 octobre 1945

"Projection. Il y a des choses superbes. Il y a du gris et du noir. Est-ce la faute du laboratoire ? Je l'espère. Je demanderai qu'on tire plus noir. Je tâcherai d'avoir artificiellement les contrastes que la pellicule Kodak est incapable d'obtenir."

 

BelleprofilBeteface

10 octobre 1945

"Ma figure me démange beaucoup. Les yeux, les oreilles, les bras se prennent. Oublier tout cela dans le travail."

 

BelleChevetPere

9 octobre 1945

"La chambre, vite détruite par le déménagement effroyable des angles de prises de vue, offrait le spectacle d'un Ver Meer, saccagé par des vandales. Marcel André, les draps au menton, dormait au milieu de ce tumulte."

 

9 octobre 1945

"Nous avons remué des bacs remplis d'eau et de fragments de miroirs qui forment sur les personnages les marbres lumineux des plafonds de Villefranche. Peu à peu je capte mes mythes et mes souvenirs de jeunesse. Fasse le ciel que je les retrouve sur l'écran. Ce qui n'est pas une certitude."

BelleAlitee2

 

Gif016

8 octobre 1945

"J'ai renoncé au rendez-vous de dentiste pour aller à Joinville avec Bérard. Je voulais me promener dans cette maison du marchand, la meubler, m'en imprégner, la vivre. Bérard a disposé les meubles (...). J'ai laissé Bérard en plein travail dans la chambre du père où je tourne demain."

Gif020

 

7 octobre 1945

"Je constate qu'il y a autour du film une très grande attente. Je dois me cuirasser contre la crainte que cette attente me donne. Elle me rendrait timide. Je dois travailler comme à l'époque du Sang d'un poète, où nul ne me guettait. La fraîcheur est à ce prix."

SoeursAuxAguets

 

MaraisMiroir

7 octobre 1945

"Marais, maquillé, les mains faites, furieux de ses ongles qui tiennent mal, refuse de nous suivre et s’enferme dans sa loge. On lui porte de la purée, de la compote cuite sans sucre, puisque cette bête féroce est au régime et ne peut, en outre, ouvrir la bouche sans désorganiser son maquillage."

 

BeteAGenoux

7 octobre 1945

"Venons enfin de quitter cet épouvantable studio d'Epinay, sorte d'égoût entouré de trains, d'autobus, de bûcherons et de pintades. Il est impossible d'y prendre autre chose que des sons témoins."

 

Tournage

5 octobre 1945

"Métier de la patience. Il faut attendre. Attendre toujours. Attendre une voiture qui vient vous chercher. Attendre les lumières. Attendre que l’appareil tourne. Attendre qu’on cloue des branches sur des traverses. Attendre le soleil. Attendre l’ombre. Attendre les peintres. Attendre. Attendre le développement. Attendre que les sons soient montés avec l’image. Attendre que la salle de projection soit libre. Attendre que les arcs des projectionnistes ne charbonnent plus. Attendre, attendre, attendre. C’est l’école de la patience. Les nerfs à vif. Les nerfs qui se tendent et se détendent."

 Ligne Small

7 octobre 1945

"Lorsqu’on pense au nombre de circonstances fortuites qui doivent se produire ensemble, à la même seconde, pour réussir une prise, on s’étonne de crier STOP."

 

MilaPortrait

5 octobre 1945

"Alekan a de la crainte. Il hésite. Il n'ose pas travailler dans le dur. Il en résulte une certaine mollesse qu'il faut que je lui corrige. Tout cela est encore trop beau. Je le voudrais plus rude, avec plus de contrastes. Je l'embêterai jusqu'à ce qu'il y parvienne."

 

 

3 octobre 1945

"A six heures et quart je vais en projection avec Ibéria et Clément. Je constate définitivement le désastre des prises de Raray. J'arrive à sauver l'essentiel et, par des prodiges de montage, j'éviterai le pire. Les meilleures choses sont employables. Les bouts d'essais d'hier me plaisent, mais depuis le désastre de Raray je n'ose plus me flatter du moindre espoir."

 Ligne Small

4 octobre 1945

"La pellicule n'es pas bonne. Je n'arrive pas à retrouver la puissance blanche des arcs.(...) Quelque chose manque. Peut-être avec cette pellicule molle faut-il tripler les lumières et tirer sombre. A force de lutte, j'arriverai à rejoindre mon rêve."

AvenantLudovicBagarre

 

LudovicExplications

4 octobre 1945

"Panne du secteur (...). La panne se prolonge. On déjeune. L'électricité vient de revenir. (...) Alekan dispose les lumières. La panne recommence. On téléphone au secteur. La panne durera toute la journée. Journée morte."

 

BelleLudovicAvenantEcurie

4 octobre 1945

"Hier, pour la première fois, il me manquait un accessoire essentiel : le chevreuil mort. Le régisseur d'extérieurs, chargé de sa recherche, n'a même pas osé reparaître. Je l'attendais dans la rue, en face des studios. Sa seule excuse, c'est la grève des Halles. Car, au cinématographe, on demande et on apporte n'importe quoi. Nous verrons si j'ai le chevreuil mort, ce matin."

 

Gif019

4 octobre 1945

"Admirable personnel du cinéma. Une vieille habitude me fait appeler « Mon Général » par le moindre machiniste des studios. On me traite à tu et à toi, ce qui n’empêche que mes désirs sont solidifiés, exécutés, à la minute. En apparence il se forme un désordre. Mais ce désordre se disperse et la passerelle, l’arbre, les massifs, les architectures, les fils invisibles sont là."

 

JosetteDayPortrait

4 octobre 1945

"Cet édifice qu'on n'échafaude ni dans le présent, ni dans le passé, ni dans l'avenir : un film."

 

AttenteFenetre

4 octobre 1945

"Hier, au bistrot d'Epinay, Paulvé déjeunait avec des personnalités importantes de son conseil d'administration et du journalisme. Mouvier me dit :"On compte sur votre film pour relever le cinéma français". Je lui réponds : "Il est drôle qu'on m'attaque partout en France et qu'en même temps on compe sur moi pour sauver le prestige de ce pays qui m'engueule. Je ferai de mon mieux pour que ce film me plaise et plaise à ceux que j'aime, je ne vous promets rien de plus."

 

MaraisEnPrince MaraisEnBete

3 octobre 1945

"Jeannot se repose. Son furoncle est énorme. Il est probable qu'il ne pourra pas tourner Avenant et qu'il faudra faire jouer les assurances."

Ligne Small

3 octobre 1945

"Sous ses poils Marais change d'humeur et se cabre à chaque parole qu'on prononce. Il en est navré lui-même. Il se domine et recommence après."

DevantLeChateau

1er octobre 1945

"J'étais à Saint-Maurice à neuf heures. Un véritable monde de fourmis savantes grouillait dans le décor et le menait à son terme. Peu à peu le lierre, la ronce, l'herbe envahissaient ses architectures en ruine. Le sol se couvrait de mousse et de feuilles mortes. Les projecteurs se hissaient, s'envolaient, se dissimulaient partout. Une bâche prolongeait le studio jusqu'au mur de la ruelle. C'est là que se plaçait l'appareil sur son pied boule. La porte du studio, dégondée, donnait sur une allée d'arbres. Un mécanisme de branches s'ouvrait et se fermait par magie. Le château s'estompait grâce aux fumigènes. La première prise était un clair de lune frappant les angles des pierres. Le marchand arrive dans le brouillard que des ventilateurs dissipent. Les branches s'écartent, il entre. Les branches se referment derrière lui."

Ligne Small

3 octobre 1945

"Ici, le rôle des machinistes est extraordinaire. En deux heures, les fourmis savantes peignent la porte, dressent les pyramides, élaguent les herbes, suppriment et ajoutent des arbres, construisent des passerelles aériennes et les chargent de projecteurs."

1er octobre 1945

"A une heure et demie, nous avions vu la projection des premières images de Raray. Je les trouve très belles et la voix de Marais me semble impressionnante. Une voix d'infirme, de monstre douloureux."

Ligne Small

2 octobre 1945

"A sept heures et demie, projection du travail de Raray. Là, j'ai un gros malheur. Le laboratoire a rayé les négatifs. C'est dire que je tremble avant chaque image. Par une chance, les négatifs que j'aime ne sont pas rayés, mais on y voit des tâches. Il a dû y avoir un accident de machines que le laboratoire se refuse à reconnaitre se refuse à reconnaître et met sur le compte de la pellicule. La preuve, c'est que les images d'avant-hier n'étaient ni rayées ni tâchées."


 

BelleCheminee

 

CostumeBete

30 septembre 1945

"Dîné chez Bérard pour l’emploi des costumes. Il aimerait la Bête sans les grandes manches manteau, mais je les laisserai afin qu’elles apparaissent dans toute sa largeur. Je les lui enlèverai dans la grande salle."

 

28 septembre 1945

"Le furoncle de Jeannot va mal. Hier, en décollant son masque, il était livide. La colle arrête la circulation. Cette lutte pour le film est cruelle."

MaraisBelleMaquillage

 

Gif07

28 septembre 1945

"Avant de quitter le mur des chasses de Raray, il me faut remercier et louer du fond du cœur mon équipe. Equipe sérieuse, active, légère, amicale. Le dernier des machinistes possède une grâce. Personne ne nous boude au travail, à cet insupportable transport des lignes, des appareils, des praticables d’un lieu à un autre, selon des ordres qui ressemblent, de l’extérieur, à des caprices. Je n’ai jamais rencontré que des sourires. Clément s’est si bien imprégné de mon style, qu’il pourrait tourner les scènes à ma place. Alekan devine à l’avance les singularités que je cherche. Darbon supporte mes caprices et mes reprises. Aldo, notre photographe, lequel arrive toujours à cette minute où l’édifice s’écroule, où les groupes se dispersent, joue une comédie de mauvaise humeur qui amuse le personnel et lui permet de gagner du temps, d’extraire du citron pressé les dernières gouttes. Les maquilleurs maquillent. Les habilleurs habillent. Lucile et Escoffier portent leurs petites fautes comme des croix. Bref, l’équipe me prolonge. Ce vieux rêve de n’être qu’un à plusieurs se trouve pleinement réalisé."

27 septembre 1945

"Ciel sombre. Arbres noirs. Je voudrais tourner le cerf sur la pelouse en face du château, deux forts gaillards ont toutes les peines du monde à le maintenir. Malgré ses entraves, il se roule, se casse, se convulse. J'y renonce. Je tournerai ce plan au Jardin des Plantes, à Paris."

AramisEcurie."

PromenadeParcRaray

27 septembre 1945

"La chance m’aidera pour les raccords. Je m’en moque (…). Escoffier m’avoue qu’on a oublié le collier de perles sur la robe d’argent de Josette. Je souffre du visage et des mains, ce qui m’ôte mon contrôle. Je me fâche. Escoffier pleure."

Perchman

26 septembre 1945

"Les deux prises par lesquelles débute la deuxième scène sont délicates. Je voudrais ouvrir la scène sur le cerf de pierre et de bois, la finir sur le cerf véritable. Mais le cerf du mur est très haut, la corniche très étroite. Josette y monte. Elle a le vertige. Elle n'ose pas se plaindre. Elle fait preuve d'un vrai courage."

 

28 septembre 1945

"J'ai tourné sous la pluie, sans lumières, avec des torches, du magnésium et les fumées anglaises. Raray est dans la boîte. Je me suis acharné contre des circonstances désastreuses et j'ai voulu, coûte que coûte, faire surgir cette beauté accidentelle que j'aime."

PereRaray
TournageRochecorbon

25 septembre 1945

"Je souffre des dents, de l'oreille, de l'épaule. Mes doigts sont à vif. Les joues me brûlent. Je grelotte."

Ligne Small

26 septembre 1945

"Nuit très pénible, sans sommeil. Ma figure dévorée par je ne sais quel microbe. Ma gencive dévorée par je ne sais quel autre. Sensation de désastre inévitable."

Ligne Small

28 septembre 1945

"Toute ma figure se prend. Couverte de boursouflures, de croûtes, de je ne sais quel sérum acide qui coule et me ravage les nerfs."

Ligne Small

28 septembre 1945

"Si Marais ne peut tourner, lutte impossible. Si Marais peut tourner et si mon mal augmente, je prendrai mes dispositions pour tourner à distance, par l'entremise de Clément, dont je suis sûr."

Diner

25 septembre 1945

"A six heures, l'équipe de l'usine électrique menace de partir. Nous obtenons qu'elle reste jusqu'à six heures et demie. Nous tournons trois plans."

Maquillage2 Maquillage1 Maquillage3

23 septembre 1945

"Le maquillage de Jeannot dure trois heures (sans les mains)."

Ligne Small

25 septembre 1945

"Jeannot, maquillé en bête féroce, ne mange que des biscottes au beurre."

MarcelAndre

24 septembre 1945

"Nous sommes repartis sur le terrain dans l'espoir de tourner les plans de Marcel André qui joue au théâtre de la Michodière et ne peut avoir que son lundi soir libre (...) Marcel André doit repartir. Il faut tourner ses deux plans coûte que coûte."

24 septembre 1945

"Le docteur est venu pour la prise de sang de Jean Marais. Il semble qu'un nouveau furoncle le menace près de l'oreille. Malgré son courage, Marais est visiblement atteint par cet acharnement du sort."

MaraisMainBrule

 

 

22 septembre 1945

"Je cours chez un dentiste qui me dit que je suis menacé d'un abcès. Il m'ouvre la dent et me donne la marche à suivre. Rougeurs des doigts. Rougeurs sur la joue. "Se faire du mauvais sang", "Se faire de la bile", tout cela est vrai. Je paie cinq années de bile et de mauvais sang."

Gif017

24 septembre 1945

"Nuit épouvantable. Démangeaison au visage, à la main droite. Gencives. Oeil. Il pleuvait. Angoisse d'être empêché, dans la suite de mon travail, par les microbes."

 

Ludovic Pere Avenant Rochecorbon

22 septembre 1945

"Je m'enferme dans la salle de projection en compagnie d'Ibéria, de Clément, d'Alekan. Nous choisissons les prises. La prise du cheval qui se cabre me manque toujours et je n'en retrouve aucune trace sur les feuilles. L'assistance d'Ibéria ira lundi matin à Saint-Maurice fouiller le montage. Il est impossible que cette belle prise soit perdue."

20 septembre 1945

"Ma volonté d’appareil fixe et de prises très simples fait dire à Bérard que j’ai des angles morts. C’est exact, mais je suppose qu’au montage, en chevauchant des textes et une fois emmêlés à des prises régulières du studio, les extérieurs de Touraine prendront leur sens véritable."

CocteauChapeau

 

 

Gif015bis

20 septembre 1945

"Mauvaise analyse du docteur de Jeannot. Je suis très inquiet de le voir jouer le rôle de la Bête, sous ce maquillage de poils et de colle, avec sa mine fatiguée. Jamais il n'admettrait de se plaindre."

 

HommesEtBelle

20 septembre 1945

"Alekan doit avoir un cameraman, ne pas être obligé d'éclairer et de prendre, bref d'être libre de trouver des angles au lieu de s'en tenir à une méthode, au pied de la lettre. Un rien, un fil, séparent une mise en place de Ver Meer et de ses contemporains."

BelleAlitee

20 septembre 1945

"Le joie de mon travail est gâchée par nos malades. Mila quitte cette semaine la clinique de Tours. Nane doit subir une autre opération du ventre et attendre la fin du film. Moi-même..."

 

LesTroisSoeurs2

19 septembre 1945

"A Saint-Maurice le désordre commence (...). Allons sur le plateau où les ouvriers construisent le décor des écuries de la Bête. Le décor ébauché consterne Bérard. Il parle, il parle, il dessine, il corrige. Il y apporte sa riche bousculade".

 Ligne Small

22 septembre 1945

"Après déjeuner retrouvons Bérard, retour de Saint-Maurice. Il n'a pas l'air content de ce qui s'y prépare. Il est dommage que Moulaert s'occupe de deux films à la fois".

 

 

Gif04

18 septembre 1945

"Je dors mal. Le film se déroule dans ma tête. Je le monte, je déplace des textes, j'en ajoute, j'en supprime, et tout cela sans matériel puisque ma monteuse met un peu d'ordre et doit récupérer les prises que je n'ai pas vues".

 Ligne Small

19 septembre 1945

"Vendredi, je verrai toutes mes prises avec Ibéria et je choisirai. Elle commencera le montage".

Pause

18 septembre 1945

"Je crois que je supprimerai la scène de l'arrivée des chaises chez la duchesse. Le retour des soeurs suffira. La scène retarderait l'action. J'ai téléphoné à Emile Darbon cette bonne nouvelle pour la firme. Un extérieur de moins, c'est quelque chose".

JosetteNuit

18 septembre 1945

"Ce soir chez B., Castillo me parle du déshabillé de Josette. Costume très difficile. Il doit être sans époque, éviter le genre grec et se tenir comme les robes. Très habillé et très nu, très en forme et très mou, voilà ce que je cherche. N’avoir pas l’air d’une robe et en être une."

 

Raray1

15 septembre 1945

"J’ai été avec Alekan et Aldo voir Raray. Raray est chaque fois une découverte. Aldo en tombe à la renverse. Je lui fais prendre toutes les photographies qui peuvent lui permettre de revenir pour le travail des décors."

Ligne Small

21 septembre 1945

"A Raray la singularité des angles s'impose. C'est la Bête et c'est Raray, le parc le plus bizarre de France. Pour le truquage, nous nous arrêtons au double travelling en pente (avant-arrière), coupé par un plan profil, le tout devant la transparence des nuages qui roulent."

 

 

15 septembre 1945

"Allons à Epinay. Manque de personnel, de câbles, d'arcs. Lieu funeste et qui pue. Les machinistes commencent à monter la porte. Darbon arrive. Nous lui disons qu'il serait fou de bâtir les échafaudages et les bâches d'un studio autour d'un décor nul. Mieux vaudrait faire un décor en studio. Nous accepterions de tourner la porte à Epinay et nous irions deux jours à Raray où Alekan offre de tourner par temps gris avec un très faible appoint d'électricité. Darbon marche."

PorteDuChateau

 

DinerDuPere1

15 septembre 1945

"Chez Paulvé, je montre à Claude [Ibéria] ce que je rapporte de Rochecorbon. Les laboratoires développent en désordre. Il y a des prises qui ne sont pas synchrones, d'autres manquent. Lundi elle vérifiera la pellicule et préparera une projection convenable où je puisse choisir."

 

 

Ruisseau

14 septembre 1945

"Eté à Epinay où trois productions doivent tourner ensemble, ce qui nous supprime de l’électricité. Le bruit des trains et des avions empêche le travail. Je tournerai la nuit toutes les scènes de la Bête malade au bord de l'eau."

Ligne Small

14 septembre 1945

"Je tournerai la nuit toutes les scènes de la bête malade au bord de l’eau. Cette eau est une rivière puante, charriant les égouts. Mais, une fois que j’aurai trouvé ma place comme un chien, ce décor nul risque de prendre le style anti-pompeux que je cherche, le style du Sang d’un poète (…). Il est ennuyeux de faire jouer Josette et Jeannot dans cette sentine humide. Mais je pense, comme l’avait indiqué Bérard, que les scènes seront plus émouvante au bord de cette eau sale, sur cette mauvaise herbe, que dans un décor de luxe."

 

MilaAuChapeau

14 septembre 1945

 "Je rentre à six heures et demie chez Paulvé. Claude Ibéria, guérie, nous y attendait. Projection. La salle de chez Paulvé déforme la voix et les images. Malgré cette projection jaune et nasillarde je peux me rendre comtpe de la réussite des chaises. (Il manque des plans. Les meilleurs, comme de juste)..."

 

Foule

13 septembre 1945

 "J’invente le générique. J’emploierai les claquettes (c’est-à-dire la planche noire qui sert à donner le numéro avant la prise). Un machiniste les présentera, claquera aux noms des vedettes et les découvrira une seconde comme si elles allaient tourner."

 

JosetteDayRochecorbon

 

13 septembre 1945

 "Notre travail final s'est fait sous un ciel radieux, sans un nuage. Je me félicite d'avoir eu des nuages. C'est la gloire du ciel de Touraine. Même si le soleil les évite, ils donnent à la lumière une élégance de perle. Sans eux tout aurait été trop cru. Trop cru et trop facile. Chaque plan a été arraché de force. Et ce que j'ose dire, c'est que les choses que je voulais faire, je les ai faites."

 

 

Nane2

 

12 septembre 1945

 "J'ai essayé de faire cabrer Aramis avec deux cavaliers sur son dos. Il s'y refuse. Son pas de danseur me gêne. Il faudra le traiter comme certaines actrices et ne le photographier que sous certains angles. Eviter ses jambes (sauf au galop). cadrer son encolure de cheval de Marly, son profil veineux à l'oeil grand."

 Ligne Small

13 septembre 1945

 "Dernier plan. A midi. Avenant avec Ludovic en croupe doivent galoper, arriver sur nous, sortir du champ par la gauche et frôler l'appareil. Ici commencent des drames. Aramis rue ou s'emballe. Michel cramponné à Jeannot, sans selle, sans étriers, risque de se casser la figure et provoque le rire. Il recommence courageusement et ses voltiges deviennent si graves (Jeannot monte avec sa blessure ouverte) que j'ordonne d'interrompre. On les doublera."

Ligne Small

13 septembre 1945

"A trois heures je tourne la galopade. L'écuyer se déguise en Avenant. Lucile, la script, en Ludovic. Aramis n'a plus le poids de Michel en croupe, mais ce double cavalier l'agace. Il fait des caprices. Enfin il galope et je suis sûr qu'à cette vitesse et dans ce mouvement on ne remarquera pas le subterfuge."

 

12 septembre 1945

 "Je ne louerai jamais assez les machinistes et les électriciens qui nous assistent. C’est une merveille de les voir travailler si vite et sans l’ombre de mauvaise grâce. Ils collaborent au film. Ils l’aiment. Ils le comprennent et inventent mille gentillesses pour me faire plaisir."

 

MaraisAuclair

 

11 septembre 1945

 "Ce matin nous avons tourné le plan qui ouvre le film : la cible et les flèches. Nous avons enregistré le bruit des flèches. Comme toujours le vrai bruit est faux. Il importe de le traduire, d'inventer un bruit plus exact que le bruit lui-même. Clément trouve la badine qui fouette le vide."

 

Ligne Small

11 septembre 1945

 "Les superforteresses nous survolent. Je suis obligé de prendre la scène muette et de sonoriser ensuite."

Arbalete
SoeursEtMiroir

9 septembre 1945

"Je fais mes comptes. La récolte est bonne. Le montage escamotera mes fautes et le peu d’importance que j’attache à l’exactitude des raccords (ce qui consterne Lucienne, ma script). Trop de soin, aucune porte ouverte au hasard, effarouchent la poésie, déjà si difficile à prender au piège. On l'apprivoise avec un peu d'imprévu. Des arbres où il n'y aura pas d'arbres, un objet qui change de place, un chapeau enlevé qui se retrouve sur la tête, bref une crevasse dans le mur et la poésie pénètre. Ceux qui s'aperçoivent de ces fautes d'orthographe sont ceux qui lisent mal et ne sont pas fascinés par l'histoire. Aucune importance."

Ligne Small

12 septembre 1945

"Dans la suite (au studio) je donnerai le mouvement et du détail - mais je devine que le rythme du film habite plus en moi que dans la mobilité de l'appareil ou des protagonistes. Peut-être ne pourrai-je rien (ou peu de chose) contre un mécanisme qui ne trouvera son sens qu'au montage. L'essentiel est d'ajouter un fait à un fait, d'intéresser le spectateur au lieu de le distraire."

 

 

 

 

BelleEtSonPere

9 septembre 1945

"Un jour de retard sur notre programme. Nous avons tourné une quarantaine de plans. Les propriétaires de Rochecorbon reçoivent quatre-vingt mille francs pour quinze jours. A partir de cette date limite, ils touchent cinq mille francs par jour. Rien de grave puisque les assurances de nos malades couvrent le dépassement. Une journée de pluie nous coûte cent mille francs."

 

 

LeP ReMalade1 

2 septembre 1945

"En défaisant mon pansement, je m'aperçois que j'ai un autre petit clou qui commence. R. m'avait dit que c'était à craindre, que mon départ l'empêcherait de m'immuniser. Pourvu que ce clou ne tourne pas mal avant la fin des extérieurs, c'est tout ce que je demande."

Ligne Small

7 septembre 1945

"Je voulais prendre un gros plan de Nane, mais elle est malade. Le soleil tourne. Elle, elle tourne de l'oeil. On s'arrête."

Ligne Small

8 septembre 1945

"Aldo se fait opérer séance tenante de kystes à la figure. Il rentre avec nous masqué de gaze et de sparadrap."

 

 

JosetteEtJean

2 septembre 1945

"Cinéma Majestic. Minute émouvante. Notre première projection. J'en arrive. C'est très, très beau. D'une netteté, d'une richesse de détails, d'une poésie robustes.
Alekan a compris mon style. Relief, contour, contrastes et quelque chose d'impondérable, comme un vent léger qui circule. Cela donne du courage au travail."

Ligne Small

7 septembre 1945

"A onze heures, projection au Majestic. Voilà notre récompense. La projection est admirable. Etincelante, douce et précise. Alekan a trouvé. Je suis content. Ce que j'ai imaginé, je le vois."

NaneMilaJeanJosette

7 septembre 1945

"Je me rends compte de la difficulté que représente un film où chaque plan ne comporte qu’une phrase courte ou quelques lignes. Le rythme ne viendra que de l’ensemble et les acteurs ne peuvent comprendre ce qu’ils font. C’est à moi de suivre ce fil qui leur échappe et de les garder dans la ligne droite. Voilà le problème du jeu au cinématographe. Si l’acteur n’a pas une confiance absolue dans celui qui le dirige, il s’imagine, chaque fois, ne dire qu’une phrase sans grandes suites, il a une pente à la dire sans y penser et le total se ressentira de cette relâche. Une autre difficulté consiste à trouver un style vrai sans réalisme, un style qui conserve l’équilibre avec les costumes et l’étrangeté de l’histoire. Prendre garde à ne pas les faire parler trop fort, mais à conserver le relief du verbe."

Collier

7 septembre 1945

"Premier truquage direct : le collier. On penche l'appareil. Le faux collier tombe hors champ, le vrai dans le champ. Ils ont l'air de se transformer pendant la chute."

 SceneCoupeeDesDraps

6 septembre 1945

"On les débraillera, elle [Mila Parely] et Nane, à la dernière minute, à l'aide de jupons et de chemises d'homme. On leur enroulera un linge autour des cheveux. La scène qui m'était indifférente devient très belle. Ces filles blanches, dans un désordre de draps et d'eau qui écume, Mila qui éclate de rire, Nane qui empoigne un paquet de linge et le jette sur l'objectif, tout ce flash me fait penser au lavoir d'"Armance" et au docteur bossu.j'ai coupé ce plan dans le film. Il allongeait."

6 septembre 1945

"Avec Clément et Alekan, je délabre la chaise à porteurs et je compose ma mise en scène."

Ext RieurRochecorbon
PhotoTournage

6 septembre 1945

"Aldo se déchaîne et prend un nombre incalculable de photographies à table avec nous, avec les laquais et les actrices enchevêtrés dans la paille."

Rochecorbon Partie D Checs

5 septembre 1945

"Je me demande si ces journées si rudes ne sont pas les plus douces de ma vie. Pleines d’amitié, de disputes tendres, de rires, de main-mise sur le temps qui passe."

Ligne Small

6 septembre 1945

"Le spectacle des coulisses en plein air est surprenant. Jamais je ne m'en lasse. Il me console d'attendre toujours. Rien ne saurait dire l'atmosphère exquise de notre hôtel malgré l'inconfort. C'est le collège, les vacances, le voyage. Vivre ensemble, travailler, discuter le travail, me représente, à moi, le comble du luxe."

Le Ciel De Rochecorbon

5 septembre 1945

"Clément qui arrive de Bretagne commence à comprendre les caprices d’un ciel qui se couvre et se découvre en l’espace de cinq minutes..."



Aramis1

5 septembre 1945

"On cravache Aramis. Il paraît. Je donne l'ordre des portes. Elles s'ouvrent. Aramis hésite et sort avec ce pas de danseur que nous tournons un peu trop vite afin de le ralentir à l'écran. Trois trous bleus du ciel nous permettent d'attraper l'image dans la boîte."

 Ligne Small

5 septembre 1945

"A présent nous sommes assis dans la paille et l'avoine. Le travelling coupe la grange en deux vers la grande porte en planches. Nous guettons le soleil. Marais a répété. Les difficultés qu'il éprouve à faire se retourner Aramis doivent meubler superbement le cadre. J'ajoute, avant la porte ouverte : "J'y vais, moi !", ce qui explique son assurance, car il est plus facile de marcher dur que de marcher mou. Il souffre dès qu'il hésite."

5 septembre 1945

"Je prendrai la fuite de Belle au clair de lune. Elle avance avec sa cape le long de la façade. Elle arrive à la hauteur de la ferrure à tête de monstre cornu. Elle inspecte de droite et de gauche. Alekan avance en gros plan sur l'image de Belle et de la bête qui était chez son père et prédisait son avenir... Cette ferrure du XVIIeme siècle m’avait frappé le premier jour où j’ai découvert la maison. C’était LA MAISON."

BelleARochecrobon



 

Manoir Interieur

3 septembre 1945

"Le soleil brille. Je me lève. Les acteurs sont démaquillés, déshabillés. J'interroge Clément. Il me dit que les machinistes r efusent de tourner après quatre heures, sauf si on paye les heures supplémentaires du tarif syndical. Darbon s'y refuse par principe. Il est à Paris. Clément discute, prend sur nous de payer les heures supplémentaires et remet le mécanisme en branle."

 

 

 



 

 

JeanMarais

3 septembre 1945

"Jeannot vient dans ma chambre faire son pansement. Le furoncle est bel et bien un anthrax qui pousse. Ce soir il verra un docteur. Il faudrait lui injecter du bactériophage. Le terrible, c'est qu'il monterait à cheval s'il le fallait. Il marche difficilement."

Ligne Small

3 septembre 1945

"Marais qui est très dur et très brave semble souffrir atrocement. Je le laisse à la clinique. Demain matin nous l'y prendront au passage. J'éviterai les scènes du cheval et tournerai des scènes calmes. Le docteur le gardera vingt-quatre heures immobile lorsque l'anthrax sera mûr."



 

 

 

 

Rochecorbon 2



 

2 septembre 1945

"A quoi ressemble ce travail d'Alekan ? A une argenterie ancienne, astiquée comme une argenterie neuve. Il y a, dans certaines pièces d'argenterie astiquées à la peau, cette espèce de douceur étincelante."

Ligne Small

5 septembre 1945

"Alekan dispose des lampes, des écrans, des rails. Le soleil tourne. L'ombre empiète. Je le lui dis. Mais que dire à un opérateur, même charmant, qui vous oppose l'indifférence des astres ?"

 

 

 

MichelAuclair

2 septembre 1945

"Michel, que j'ai choisi d'après son essai pour L'Eternel retour (rôle de Lionel), est encore paralysé par l'appareil. Si je le limite, il se fige. Je risque donc de lui en faire faire "un peu trop" et d'obtenir des grimaces au lieu de la joyeuse mobilité de ses yeux et de sa bouche. Dans quelques jours, il se sentira libre et je tournerai des scènes importantes."

 

 

 

 

LesTroisSoeurs BelleEtF Licie

 

2 septembre 1945

"Je ne connais rien de plus exact que les rapports de Josette et de ses soeurs dans le film, rapports qui restent les mêmes dans la vie. Je ne veux pas dire que Josette soit le souffre-douleurs de Mila et de Nane, profondément bonnes et gentilles. Mais je veux dire que la manière d'être de Nane et de Mila forme un bloc et celle de Josette en forme un autre, très distinct."

 

 Ludovic

1er septembre 1945

"Le style de mon film me décide à employer des accessoires modernes, les premiers qui me tombent sous la main : arrosoirs, bancs, etc... C'est le moyen d'éviter, coûte que coûte, le pittoresque. Les costumes suffisent."

 

Ligne Small

1er septembre 1945

"Arbalètes impossibles. J'emploierai des arcs ou des frondes."

 Ruelles De Draps A Rochecorbon
  

1er septembre 1945

"Une chance. Clément est arrivé ce soir avec sa femme. Je ne serai plus seul pour lutter contre les objets, les nuages, les trames, les avions. J’aurai un intermédiaire et les conseils d’un homme qui vient de tourner seul La Bataille du rail."

 

 

 

 Robe Couleur NB
  

1er septembre 1945

"Paquin a dû employer les étoffes sans contrôle des couleurs. On emploie ce qu’on trouve. Malgré cela, le contraste des couleurs de hasard demeure éblouissant et frappe davantage que si la gamme était volontaire. Dès que Mila, Nane, Jeannot, Michel, Josette sont habillés, maquillés, perruqués et rôdent dans le jardin, la ferme, les bâtisses, les fenêtres, les portes, prennent leur sens véritable. En costumes modernes nous avons tous l’air d’intrus, de fantômes ridicules."

Ligne Small

1er septembre 1945

"Le rôle de Christian Bérard est immense dans cette entreprise. Il est étrange de trouver une formule afin de le mettre au générique sans se heurter aux règles syndicales. L’élégance de ses costumes, leur force, leur simplicité somptueuse jouent au même titre que les paroles. Ils décident le moindre geste sans rien de décoratif et donnent l’aisance aux artistes.."

 

 

 

 

1er septembre 1945

"Emile Darbon me reproche de tourner peu parce que j'ajoute des numéros et que, pour la firme, ce ne sont que les numéros prévus qui comptent. Or, les numéros supplémentaires, les trouvailles de la minute, nourrissent un film et rendent son montage beaucoup plus riche."
   Rochecorbon

 

 

 

JosetteDay

1er septembre 1945

"Josette m’étonne par sa grâce et l’intelligence exquise de son jeu. Mes textes courts lui conviennent. Je n’ai jamais rien à reprendre. Elle a, de Belle, la naïveté, la simplicité, la petite malice supérieure d’une personne qui a vu des choses que sa famille ne soupçonne même pas."     
 La Maison de Belle à Rochecorbon

30 août 1945

"Pour le rire de gros plan de Mila et de Nane (sur la phrase de Josette « Rapportez-moi une rose »), j’avais prié Aldo de se déguiser en veuve. Il s’était plâtré la figure sous un tulle et portait des tresses blondes en copeaux de bois. Il était ignoble et ressemblait à la vieille Bijou. Je l’ai amené en face d’elles après la claquette. Elles me dirent qu’elles avaient ri parce qu’elles ne le trouvaient pas drôle."

Ligne Small

30 août 1945

"Je ne m'énerve plus. Lorsque je m'énerve, c'est par calcul, pour entretenir une fièvre générale d'où se dégage une électricité."

 

 

29 août 1945

"J'oubliais les avions. Lorsque les lumières du gros plan de Mila étaient prêtes, un avion de l'école nous survolait, exécutait des loopings, empêchait la prise sonore. J'ai fait téléphoner au colonel du Centre pour qu'on demande aux élèves d'éviter ce genre de caracoles un peu ruineuses. Il nous l'a promis."     

 

 

Ligne Small

 

31 août 1945

"Accident de Mila. Elle a voulu monter sur Aramis. Il s'est cabré ou elle l'a cabré (...). Le cheval s'est renversé sur elle. C'est un miracle si elle n'est pas morte (...). Elle est très brave et elle crâne. Mais j'imagine qu'elle ne pourra pas tourner et qu'elle se rend mal compte de ses douleurs, à cause du choc. Le contre-choc est à craindre."

 

Mila Parely

 

 

 


Alekan et la photo

 

29 août 1945

"En Touraine, il faudrait tourner au petit matin et le soir (...). Ici le temps se transforme en quelques minutes. Le soleil arrive sans qu'on l'attende. L'attendre, c'est ne jamais le voir venir. Il apparaît pendant la mise en place et disparaît à l'ordre du tournage."                      

Ligne Small

31 août 1945

"Alekan est sur une corde raide et veut s’y maintenir avec des gestes d’une extrême prudence. Lorsqu’il est prêt à tourner, un nuage arrive, un avion passe, un chien aboie, des pintades couvrent les voix des actrices, le son se détraque."



 30 Aout

29 août 1945

"Par un esprit de contradiction instinctif, j'évite les mouvements d'appareil, tellement à la mode et que les spécialistes estiment indispensables."

Ligne Small

30 août 1945

"Je ne suis pas, je ne serai sans doute jamais un vrai metteur en scène. Je m’intéresse trop à ce qui se passe. Je regarde. J’assiste au spectacle. Je deviens public et j’oublie les raccords."


les acteurs

 

27 août 1945

"Je les maquillerai, les habillerai, les salirai, les déchirerai jusqu’à ce qu’ils ressemblent à ce qu’ils doivent être dans un conte où le sale n’est pas sale, où, selon le mot de Goethe, la vérité et la réalité se contredisedisent."

               Ligne Small

29 août 1945

"J'ai beaucoup de mal à faire comprendre aux artistes que le style du film exige un relief et un manque de naturel surnaturels. On y parle peu. On ne saurait se permettre le moindre flou. Les phrases sont très courtes et très précises. L'ensemble de ces phrases qui déconcertent les interprètes et les empêchent de "jouer", forme les rouages d'une grande machine, incompréhensible dans son détail. Il y a des minutes où j'ai honte d'exiger d'eux une discipline qu'ils n'acceptent que par confiance en moi. Confiance qui m'ôte la mienne et me fait craindre de n'en pas être digne."

 

Arak Lian Et Jean Marais Arak Lian Et Josette Day



28 août 1945

"Jamais il [Arakélian] ne se mêle aux prises de vues, jamais il n’observe son œuvre sous les lumières, jamais il ne la perfectionne. Il lit un journal fort loin du décor et se croit quitte parce qu’il a collé un cil ou poudré une nuque."

JEAN MARAIS

27 août 1945

"Le décor est de ceux que je suis obligé de faire de mes propres mains et où personne ne peut me venir en aide. En outre les perches pliaient, les fils ne parvenaient pas à se tendre, les draps étaient trop courts et trop peu nombreux".

                                  Ligne Small

28 août 1945

"Je dois m'occuper de tout, épingler le linge, nouer les perches, trouver les volailles et les pousser dans le décor, construire des ruelles de draps et tendre les découvertes. On n'imagine pas ce que c'est en 1945 de louer douze draps supplémentaires. Roger Rogelys, le régisseur, m'en découvre neuf à grand'peine. J'en avais six".



 

B Rard Et Les Costumes  



26 août 1945

"Voir travailler Christian Bérard est un spectacle extraordinaire. Chez Paquin, parmi les tulles et les plumes d’autruche, barbouillé de fusain, couvert de sueur et de tâches, la barbe en feu, la chemise qui sort, il imprime au luxe le sens le plus grave. Entre ses petites mains tâchées d’encre, les costumes cessent d’être les déguisements habituels pour prendre l’insolente jeunesse de la mode. Je veux dire qu’il fait comprendre qu’un costume n’est pas qu’un simple costume et qu’il relève d’une foule de circonstances qui changent vite et l’obligent à changer entre elles (…). Par miracle il est arrivé à nouer ensemble de style de Ver Meer et celui des illustrations de Gustave Doré dans le grand livre à couverture rouge et or des contes de Perrault".

 

Generique2
Remerciements à SND-SNC et particulièrement à Ellen Schafer
© La Cinémathèque française - 2013