Truffaut par Truffaut La Cinémathèque française
Résumé du chapitre précédent : Filmer les enfants.  Présents dès ses premiers courts métrages (Une visite, Les Mistons), les enfants ne cessent de parcourir l'œuvre de François Truffaut. Des 400 coups à L'Argent de poche en passant par L'Enfant sauvage, l'enfance s'impose comme un des thèmes de prédilection du cinéaste, qui puise dans ses propres souvenirs.
5 jan

Musique et chansons

Je ne connais la musique que par le cinéma. On compare souvent un film à un roman parce qu'il raconte une histoire. On serait davantage dans le vrai en comparant le cinéma à la musique. Ce sont des arts du déroulement : quelque chose est en train de se dérouler ; de la même manière, la musique avance. Vous voudriez réentendre quelque chose, ça n'est pas possible, le concert est en train d'avancer. C'est pareil avec le film : il avance aussi.

La musique est presque sacrifiée dans tous les films et c'est un scandale permanent, sauf dans les rares cas de cinéastes qui s'en occupent beaucoup. J'ai en même temps beaucoup d'admiration pour les metteurs en scène qui se passent de musique, comme Buñuel, Bresson, Bergman, Rohmer... Je crois qu'on peut se passer de musique si on a une histoire serrée dans le temps, mais moi j'ai des histoires qui s'étalent sur une certaine durée, quelquefois sur plusieurs années, et la musique me paraît nécessaire pour passer d'une étape à une autre. D'autre part, je ne crois pas à la vérité du slogan d'après-guerre qui était : « La meilleure musique de film est celle qu'on n'entend pas. » Je crois plutôt qu'on doit l'entendre. Quitte à mettre de la musique, autant l'entendre. D'un autre côté, évidemment, elle ne doit pas compenser les faiblesses de la mise en scène ou celles du jeu. Je crois en réalité qu'elle escorte le film. Elle doit toujours être faite, non pas dans une optique d'illustration de l'image, mais pour l'aider, la renforcer. Mais c'est difficile de définir les moments où elle doit le faire. Pour moi, la musique, c'est presque comme une question de grammaire : je mets de la musique dans mes films quand nous passons du présent à l'imparfait.

François Truffaut sur le tournage de La Mariée était en noir © DR

Dans La Nuit américaine, je l'ai utilisée uniquement sur les scènes de travail, parce que le vrai sujet, c'était le travail et que, dans les moments où le travail n'était plus montré comme réaliste mais comme du récit, du fréquentatif, il fallait exalter le travail. L'idée était que tous ces gens sont plus forts quand ils travaillent. J'ai donc demandé à Georges Delerue de faire une musique un peu vivaldienne, une musique qui s'élève et qui soit en même temps légère, et aussi une musique d'exaltation.

Pour Les 400 coups, j'ai commis la sottise de faire appel à un compositeur de chansons, Jean Constantin. Tout le monde a dit : « Ah ! la musique des 400 coups est merveilleuse », alors que tous les gens qui s'y connaissent un peu, et surtout les musiciens, étaient indignés, et ils avaient absolument raison. Quand je revois le film, j'entends toutes les fausses notes, tous les contresens. C'est une musique désinvolte et bâclée, qui souvent abîme l'image. Sur le vol de la machine à écrire, il y a une musique de jazz absolument déplacée. D'ailleurs, le jazz est presque toujours inadéquat dans les films, parce qu'il fausse les durées. Privée de ligne mélodique, votre image double de longueur. Je suis convaincu que toute musique improvisée devant l'image est une chose néfaste, à rejeter, sauf si le film est purement décoratif, comme Sait-on jamais de Roger Vadim. Chaque fois que j'entends du jazz dans un film qui aspire à être émouvant, je sens très bien que l'émotion disparaît. D'ailleurs, dans les films de ce genre, il arrive fréquemment que le metteur en scène se rende compte tardivement de son erreur.

Quand j'ai commencé à faire du cinéma, j'ai cru d'abord qu'il y avait les choses drôles et les choses tristes. Alors, j'ai mis dans mes films des choses drôles et des choses tristes. Puis j'ai essayé de passer brusquement d'une chose triste à une chose drôle. Il me semble aujourd'hui que le plus intéressant est de faire en sorte que la même chose soit drôle et triste à la fois. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai demandé à Charles Trenet l'autorisation de prendre pour titre deux mots, « baisers volés », qu'il avait assemblés dans sa chanson Que reste-t-il de nos amours ? dont on entend le refrain pendant le générique. Je pense que c'est Trenet qui a trouvé le plus juste équilibre poétique, qui a su le mieux mêler la gravité et la légèreté dans la chanson. Baisers volés est justement un film qui espère ressembler à une chanson.

Si j'aime les chansons de Charles Trenet davantage que toutes celles qu'on peut entendre en France, ce n'est pas seulement qu'elles sont l'œuvre d'une seule et même personne – paroles et musiques -, mais aussi qu'il est impossible de deviner si la mise en musique a précédé la mise en paroles ou inversement. Comme les films de John Ford, ses chansons rendent dérisoire la vieille querelle de la forme et du fond, car elles sont en même temps une forme et un fond.

Pochette de disque de la bande originale de La Nuit américaine composée par Georges Delerue – La Cinémathèque française © Succession François Truffaut

Sur le point de commencer Tirez sur le pianiste, dans lequel allait jouer – mais non chanter – Charles Aznavour, je demandai à Boby Lapointe de venir chanter Framboise devant la caméra. On ne pratiquait guère le play-back à cette époque et, du reste, je crois bien que Boby n'avait pas encore enregistré de disque. Il joua et chanta donc en direct, comme il le faisait chaque soir au Cheval d'Or, solidement planté sur ses jambes, inclinant le torse en mesure, la tête ballotant de gauche et de droite au rythme de la musique, le visage restant complètement sérieux avec une sorte de tristesse acharnée dans le regard.

Mon producteur, Pierre Braunberger, n'aimait pas cette scène de Boby chantant Framboise et il me disait : « On ne comprend pas les paroles, il faut couper la chanson. Votre chanteur doit apprendre à articuler ou alors il faut le sous-titrer ! » Je pris cette observation au pied de la lettre et je fis faire un sous-titrage pour chaque vers de la chanson apparaissant au bas de l'image, syllabe par syllabe, l'effet comique décuplé.

Tous les musiciens ont refusé de faire la musique de Tirez sur le pianiste en le voyant, parce qu'il était très décousu, son sens n'apparaissait pas. Georges Delerue était le seul qui aimait le film. Il disait que ça ressemblait à un roman de Queneau, et il a accepté de faire la musique. Il a fait en réalité la partition que je préfère, et je la trouve même supérieure à celle de Jules et Jim. Je me suis très bien entendu avec Delerue parce qu'il y a quelque chose de chaleureux dans tout ce qu'il fait. C'est une musique de cinéphile, c'est une musique de quelqu'un qui réagit fortement devant les images. Il est devenu mon musicien de film préféré.

Illustration de la partition de la chanson « Framboise ! » du film Tirez sur le pianiste (paroles et musique de Boby Lapointe) – La Cinémathèque française © Éditions musicales Royalty

C'est très difficile pour un musicien de faire de la musique de film parce qu'on lui montre un film à un stade toujours ingrat, au stade du premier montage : les longueurs sont fausses, le rythme n'est pas là. Je trouve qu'il faut vraiment bien connaître le cinéma et bien l'aimer pour voir l'intention et les qualités du film. On appelle le musicien à un moment où on est soi-même très perdu, démoralisé et on compte beaucoup sur lui. On dit tout le temps dans la salle de montage : « Ça s'arrangera avec la musique. » On attend souvent le musicien comme un sauveur. J'étais très content à chaque fois que Georges Delerue arrivait sur mes films. Je lui disais : « Maintenant, c'est la récréation, on va parler de la musique. » J'avais toujours l'impression que le film prenait une forme enfin possible.

C'est pour Jules et Jim qu'il s'est donné le plus de mal, car c'était un film sur le temps qui passe, sur la nature, ça nous ramenait un peu aux vacances : on avait décidé entre nous – car il y a tout un vocabulaire quand on travaille avec un musicien – que pour tous les moments gais correspondrait un thème qu'on appellerait « vacances ». Et puis, pour les moments tristes, c'était un thème qu'on appelait « brouillard ». Je crois que ce thème de « vacances » a été vraiment réussi parce qu'il exprime une espèce de joie de vivre : on sent la nature, le soleil, on sent que c'est vaste, l'écran voudrait prendre toute la nature et non plus être un cache sur le monde, seulement une petite fenêtre. Je le trouve lyrique et plein.

Partition des Deux Anglaises et le continent par Georges Delerue – La Cinémathèque française © Succession François Truffaut
Extrait sonore de Jules et Jim

Dans Jules et Jim, Jeanne Moreau a eu l'occasion de chanter pour la première fois. J'étais très ami avec elle et je l'entendais souvent chanter à la campagne ou chez des amis. L'un de ces amis, Serge Rezvani, écrivait de très jolies chansons en amateur, il ne prétendait pas les éditer ou les chanter, mais il les écrivait toujours un peu en pensant à Jeanne. C'est ainsi que j'ai eu l'idée de faire rentrer Rezvani dans le film en tant que petit rôle qui écrivait une chanson pour Jeanne, qui la chantait. Le succès de cette chanson, Le Tourbillon, a été absolument imprévu et a révélé, en plus des dons de Jeanne Moreau chanteuse, ceux de Bassiak, le pseudonyme de Rezvani, comme compositeur.

Dans Une belle fille comme moi, j'avais demandé à Delerue une musique exactement comme dans un film d'Hitchcock, une musique de renforcement, une musique qui donnait des urgences, qui disait : « Attention, qu'est-ce qui va se passer, là ? » C'était une musique très utilitaire qu'il a eu beaucoup de mal à faire parce que ce n'était pas sa nature. Mais elle était très réussie, très bonne.

Comme c'est mon film le moins sentimental, la musique devait donc éviter de l'être, sauf en ce qui concerne Hélène, la séparation Camille-Stanislas dans le couloir de la prison, et vers la fin, Stanislas chez Camille.

Les sonorités ne devaient pas être chaudes mais le contraire de chaleur n'est pas forcément la froideur. Nous devions obtenir quelque chose de sauvage avec une exécution plutôt sèche. Geroges Delerue ne devait pas se laisser influencer par le mixage des Deux Anglaises, dans lequel j'avais sacrifié constamment les instruments qui se détachaient de l'orchestre. J'avais fait cela à cause de la gêne que je ressens sur les plans de paysage lorsqu'on peut identifier trop facilement le piano ou la flûte.

Pochette de disque de la chanson « Le Tourbillon » de Serge Rezvani interprétée par Jeanne Moreau – La Cinémathèque française © Succession François Truffaut

Sur Une belle fille comme moi, il ne s'agissait pas de paysage mais de visage, et nous étions presque toujours en action, d'où l'importance de considérer toute la partition comme un trajet, comme une poursuite, comme quelque chose en marche et qui ne doit pas s'arrêter. Je n'étais pas du tout opposé à des sonorités étranges, l'idéal étant pour moi de retrouver les meilleurs moments de Tirez sur le pianiste.

J'ai également proposé à Georges Delerue d'écrire la musique pour Le Dernier métro. Initialement, je comptais n'utiliser que des chansons de l'époque de l'Occupation, et plusieurs sont entrées dans le film, justifiées par un chanteur des rues, trois postes de TSF, etc. Ce sont principalement la Prière à Zumba, Bei mir bist du schön et surtout Mon Amant de Saint-Jean, qui fonctionne en leitmotiv à la manière de Que reste-t-il de nos amours ? dans Baisers volés. À ce stade du bout-à-bout, je me rendais compte qu'une vraie musique de film était nécessaire à cause des effets muets, des actions disparates à unifier, d'une certaine tension à entretenir, d'une ambiance assez mystérieuse et d'une double histoire d'amour. À la différence de L'Amour en fuite, nous avions très peu de commentaires : les places musicales existaient donc, ici et là, et bien souvent en fin de scène dans le genre de l'admirable volet musical qui termine, dans La Nuit américaine, la scène de Valentina Cortese se trompant de porte.

Note de François Truffaut à Georges Delerue pour la musique d'Une belle fille comme moi – La Cinémathèque française © Succession François Truffaut

Maurice Jaubert a été un musicien extraordinaire. Il est arrivé au début du cinéma parlant. Mort en 1940, il a été le musicien des tout premiers films de René Clair et des deux magnifiques films de Jean Vigo Zéro de conduite et L'Atalante. Je crois que c'est sa partition de L'Atalante que tout le monde préfère. Lorsque j'ai voulu faire L'Histoire d'Adèle H. avec Isabelle Adjani, j'ai eu envie de connaître la musique avant de faire le film. J'ai décidé de prendre de la musique déjà existante et j'ai fait venir de la Cinémathèque de Belgique des bandes de différents documentaires pour lesquels Jaubert avait fait la musique. À partir de là, avec l'aide de François Porcile, qui avait écrit un livre sur Jaubert que j'aimais beaucoup, nous avons choisi un certain nombre de morceaux qui accompagneraient Adèle H. Nous les avons fait réorchestrer par Patrice Mestral, puis réenregistrer. J'ai eu donc la chance d'avoir la musique prête sur des disques souples avant le tournage. Lorsque Isabelle Adjani jouait (la plupart du temps, elle était toute seule), nous lui passions les disques souples et nous pouvions régler ses mouvements sur le plateau soit dans les scènes muettes, ce qui l'aidait à trouver une certaine émotion sur la musique de Jaubert, ou au cours des répétitions pour l'aider à mettre au point son jeu. On fonctionnait presque comme pour une comédie musicale, sur le principe du play-back. C'était comme un film dansé. Un acteur qui joue sur une musique adopte un jeu qui s'approche de la danse. Porté par la musique, il n'aura pas peur des gestes stylisés, de choses audacieuses qu'il refuserait si on les lui demandait brutalement, comme d'étendre le bras en avant ou de quitter une pièce à reculons. Avec une actrice émotionnelle comme Isabelle, cela fonctionnait très bien. Quelquefois, elle pleurait sur la musique. C'est une actrice qui refuse les larmes artificielles ; elle demandait simplement qu'on la laisse quelques instants dans le silence. Alors on attendait. Quand elle était prête, je lançais la musique faiblement, et exactement au même endroit du travelling, les larmes coulaient. J'étais très heureux de ce système, que j'ai repris ensuite pour La Chambre verte.

Les affinités entre une musique et un sujet sont difficiles à expliquer. Je me souviens d'avoir plusieurs fois vainement demandé à des musiciens de mettre du saxophone sur des scènes tristes. Ça leur faisait très peur parce que, aujourd'hui, le saxophone fait comique, bien qu'il me procure une énorme émotion. Dans la mesure où j'avais le sentiment, en tournant L'Histoire d'Adèle H., de faire un film sans tenir compte des préoccupations d'aujourd'hui, ça me plaisait d'utiliser une musique de 1930-1940, avec du saxophone, justement. Je n'ai jamais regretté.

Bernard Herrmann a été, comme Maurice Jaubert en France, un des musiciens qui a eu de l'intérêt, de la passion pour le cinéma, pensant que les deux arts étaient faits pour marcher ensemble. J'ai eu beaucoup de plaisir à le connaître parce qu'il était cinéphile, il aimait réellement le cinéma. J'ai fait appel à lui à Londres pour Fahrenheit 451 et j'ai vraiment été très heureux de ce qu'il a fait pour le film. Je lui avais dit : « Il ne faut pas faire comme si le film était complètement sérieux, mais comme si c'était un rêve d'enfant : cette caserne, ces pompiers. » Il fallait un certain recul par rapport à ce qu'il faisait pour Hitchcock, avec une musique 100% sérieux. Alors il s'est aidé à ce moment-là, je suppose, de Stravinsky, de Petrouchka. Il a donné cette sonorité enfantine que je voulais, et en même temps beaucoup de lyrisme dans les scènes d'incendies de livres. Dès nos premières discussions, nous avions rejeté la musique concrète ou électronique, et généralement tous les lieux communs et pléonasmes futuristes dans lesquels la télévision tombe à tous les coups tête baissée. Nous tombions presque chaque fois d'accord sur les endroits à musiquer, et nous n'avons pratiquement choisi que les scènes sans dialogue, ce qui signifiait que la moitié du film était strictement visuelle, ce qui me faisait réellement plaisir.

Lettre de François Truffaut à Georges Delerue, 19 décembre 1974 – La Cinémathèque française © Succession François Truffaut
Pochette de disque de la bande originale de La Mariée était en noir, composée par Bernard Herrmann - La Cinémathèque française © Succession François Truffaut

J'ai retravaillé ensuite avec Bernard Herrmann sur La Mariée était en noir, où il a eu de très bonnes idées, comme de donner une couleur différente à chacun des hommes que Jeanne Moreau va rencontrer et tuer, puis en rassemblant tous ces thèmes à certains moments. Il pouvait même avoir des idées sur le montage. Au moment où on lui montrait le film, quand celui-ci était encore informe, il pouvait dire : « Je trouve que ce plan est inutile, ce plan enlève du mystère », ou au contraire : « Vous devriez prolonger ce plan-là. » Sa sensibilité musicale rejaillissait en fait sur le montage même du film. C'était vraiment un de ceux qui connaissait le mieux les lois du cinéma.

J'ai eu une très bonne collaboration avec Antoine Duhamel pour Baisers volés, et puis nous ne nous sommes pas bien entendus pour La Sirène du Mississipi et pour Domicile conjugal. Il y a eu de nombreuses difficultés avec la musique, qui était beaucoup moins bonne que celle de Baisers volés. Nous avons supprimé les plus mauvaises parties et utilisé plusieurs fois les bonnes, ce qui donna un résultat artificiel mais honorable.

Extrait de l'émission Cinéastes de notre temps, « François Truffaut : dix ans, dix films » (Jean-Pierre Chartier, 1970) © INA

Si on connaît bien le musicien, s'il connaît bien le cinéma, on peut trouver un vocabulaire. S'il ne connaît pas le cinéma et que soi-même on ne connaît pas la musique, c'est un dialogue de sourds. Sans compter qu'il nous jouera quelque chose au piano et puis un jour, lorsqu'on arrivera à l'enregistrement, il y aura cinquante instruments, et ce ne sera pas tout à fait ce que l'on a entendu au piano : on a donc des surprises, et c'est très délicat.

J'ai été très heureux de la chanson d'Alain Souchon pour L'Amour en fuite. Le film est une lettre, sa chanson est l'enveloppe de la lettre, elle l'encadre. Doinel a toujours cherché une famille, il est heureux de jouer le pique-assiette chez Souchon.

Lettre de François Truffaut à Alain Souchon, 10 juillet 1978 - La Cinémathèque française © Succession François Truffaut

En travaillant avec Suzanne Schiffmann et Jean Aurel sur La Femme d'à côté, je leur disais que ce film devrait être par rapport à Baisers volés ce qu'Edith Piaf est à Charles Trenet : pour moi, La Femme d'à côté, c'est un film d'Edith Piaf. Un peu comme L'Hymne à l'amour, ou Ne me quitte pas de Jacques Brel aussi, c'est-à-dire des grandes chansons sur des choses fondamentales. Je suis très envieux des paroliers de chansons, parce que je sais que je ne saurais pas le faire. Il faut un esprit de simplification et d'ellipse pour écrire une chanson, alors que j'écris très facilement des dialogues. J'ai l'impression que j'aurais beaucoup aimé pouvoir écrire des chansons.

On dit, dans les magazines, à la radio, que Juliette Gréco est culturelle et que Mireille Mathieu ne l'est pas. Ça ne me plaît pas : je suis méfiant là-dessus. Je pense que ce qui est culturel, c'est ce qui nous aide à vivre. Une chanson est considérée par les intellectuels comme une scie parce qu'on l'a entendue toute l'année, mais si elle a aidé des tas de gens, cette chanson est importante. Voilà, c'est dans cette mesure-là que j'ai écrit ce dialogue très précis de La Femme d'à côté : « Les chansons disent la vérité. Même si elles sont bêtes, elles disent la vérité », puis Mathilde se reprend, elle dit : « D'ailleurs, elles ne sont pas bêtes. Parce qu'elles ne sont jamais bêtes. » Parce que, bien sûr, « Ton absence a brisé ma vie », c'est une phrase formidable, et « Laisse-moi devenir l'ombre de ton ombre », c'est une phrase formidable aussi.

« Mon cher Georges, je serais heureux de renouer notre collaboration à la faveur du film que je tourne actuellement et qui s'intitule L'Amour en fuite. Alain Souchon est en train d'écrire une chanson et il est possible que nous entendions, comme dans Baisers volés, quelques bouffées du thème de Trenet "Que reste-t-il de nos amours ?" » Lettre de François Truffaut à Georges Delerue, 23 juin 1978 – La Cinémathèque française © Succession François Truffaut
Propos de François Truffaut extraits de :
  • Dominique Rabourdin, Truffaut par Truffaut, Éditions du Chêne, 1985
  • Anne Gillain, Le Cinéma selon François Truffaut, Flammarion, 1988
  • François Truffaut, François Truffaut : Correspondance, Hatier, 1988
  • François Truffaut, Le Plaisir des yeux, Éd. Cahiers du cinéma, 1987
  • François Truffaut, « Journal de tournage de "Fahrenheit 451" », Cahiers du cinéma, n° 177, avril 1966
  • Étienne Ballerini, Roger Caracache, Bernard Oheix, Alain Théry, « Le métier et le jeu », Jeune cinéma, n° 77, mars 1974
  • Entretien avec François Truffaut, émission d'Alain Lacombe Ouvert la nuit, Radio France, 1er janvier 1979
  • Émission Cinéma Song, « François Truffaut aurait 80 ans » par Thierry Jousse, réal. Bruno Riou Maillard, Radio France, 12 mars 2012