La Cinémathèque française
Robert Bresson, probablement...
En 13 films, de 1934 à 1983, Robert Bresson a laissé une empreinte indélébile sur le cinéma en le réinventant pour son propre usage, et avec un degré d'exigence inouï, sous le nom de cinématographe. L'art de Bresson a suscité autant d'admiration éperdue que d'incompréhension et de rejet. Filmographie en forme de recueil de citations de ceux que Bresson a éblouis, inspirés, ou désarçonnés.
Scrollez pour lire
Affaires publiques
Première réalisation de Robert Bresson, le moyen métrage Affaires publiques (1934) est une farce sous influence surréaliste, ou comme le décrit Bresson lui-même, un film « comique fou ». Il a longtemps été considéré comme perdu, jusqu'à ce que son négatif soit retrouvé dans les collections de la Cinémathèque française en 1987.
Marcel Dalio (acteur)

« Robert, sais-tu que c'est toi qui m'as apporté ma plus grande joie au cinéma ? Tu te rappelles ? Je jouais le pompier et l'amiral, on s'envoyait des tartes à la crème, on était tous enfarinés ! Et toi le premier, quand tu venais faire de la figuration avec nous ! »

Les Anges
du péché
Anne-Marie, entrée dans les ordres par révolte contre son milieu, fait la connaissance d'une jeune délinquante emprisonnée et décide de se vouer à son salut. Par le classicisme de sa forme, Les Anges du péché (1943) relève d'une conception du cinéma que Bresson rejettera bientôt. Mais on y trouve déjà ce motif essentiel : montrer « ce qui peut s'échanger de plus radicalement personnel entre deux êtres, apte à bouleverser le cours de leur existence ». (Philippe Arnaud)
Sacha Guitry

« Pas de sensiblerie, pas de vulgarité, pas de prétention, et, constamment, du tact, de la pudeur aussi. Et la technique ? J'en voudrais faire aussi l'éloge, pour une fois, car dans ce film, elle n'est pas plus apparente que le sont les poutres d'une belle demeure. Et quant aux prises de vues – pas de recherches ! Des trouvailles. Un dernier compliment ? C'est mieux que du cinéma ! »

Les Dames du
bois de Boulogne
Quittée par son amant, Hélène décide de se venger en le poussant à épouser une femme dont il ignore qu'elle est une prostituée. Inspiré d'un épisode de Jacques le fataliste de Diderot, dialogué par Cocteau, Les Dames du bois de Boulogne (1944) est tourné à la fin de l'Occupation dans des conditions chaotiques. Sur le plateau, le malentendu fondamental entre Bresson et les acteurs semble irrémédiable.
Jacques Becker

« C'est une joie pour les yeux et l'esprit que de suivre les personnages de Bresson dans leurs déplacements sur l'écran. Quant au récit, il est conduit avec une rigueur inhabituelle au cinéma, tant la succession des scènes s'opère harmonieusement. Pour finir, je répéterai que le mérite principal de son film réside dans la nouveauté de son style : je l'ai dit, c'est un style absolument neuf. »

Maria Casarès

« Tête, cœur, foie, reins, mains, pieds : de son film, il voudrait en être tout, et tous. Il voudrait jouer tous les rôles, éclairer, cadrer, faire les costumes, inventer la mode même, fabriquer même les accessoires. Je le soupçonne même de vouloir être la caméra, et les spots. Sur le plateau, c'est le véritable tyran, voulant se substituer à tout, exigeant au millimètre près. »

« Le film a eu un long succès, il est même devenu un classique du cinéma, je suis donc libre de dire que je n'ai jamais haï quelqu'un comme j'ai haï Robert Bresson, sur le plateau, car à la ville je l'aime beaucoup. Ah, oui, je le haïssais. Mais je le comprenais en même temps, et même il m'intéressait. Je trouvais qu'il poussait jusqu'à l'absurde son rôle de metteur en scène de cinéma, d'autres le font, paraît-il, en battant leurs interprètes pour les faire pleurer et photographier ensuite les larmes, je trouve cela dégoûtant, vilain, et je trouve que cela appelle le mépris. Lui, il nous tuait, doucement, gentiment, pour en garder la carapace. C'est plus propre, c'est plus estimable, cela mérite la haine... »

Michelangelo Antonioni

« J'ai adoré Les Dames du bois de Boulogne de Bresson. J'ai aimé sa façon de "contourner" les scènes principales, il vous laisse voir uniquement les conséquences des scènes importantes. »

Journal d'un curé de campagne
Les tourments d'un jeune curé du Pas-de-Calais qui échoue à se faire accepter par ses paroissiens. Journal d'un curé de campagne (1950) est d'une fidélité exemplaire à l'esprit du roman homonyme de Bernanos. Bresson donne le rôle principal à un non-acteur, Claude Laydu, première tentative de substituer aux comédiens les modèles de ce qui deviendra sa théorie du cinématographe.
Julien Green

« Journal d'un curé de campagne marquera, je crois, une date non seulement dans l'histoire du cinéma français, mais dans l'histoire du cinéma tout court, parce qu'il prouve d'une manière qui me paraît incontestable qu'une œuvre toute entière de vérité intérieure peut passer à l'écran sans la plus légère concession. Il fallait du courage pour nous donner un film d'une pureté aussi intransigeante. Cette rigueur sans défaut est ce qui frappe le plus. »

François Mauriac

« Je regarde sur l'écran ce visage, le visage d'un garçon qui s'appelle Claude Laydu mais que le metteur en scène Robert Bresson a pétri et repétri jusqu'à ce que Claude soit devenu un autre tout en demeurant lui-même. Car voici le mystère : grâce à des procédés, grâce à une méthode, l'âme réellement affleure, elle apparaît, nous la voyons, nous pourrions presque la toucher, elle déborde de partout cette figure d'enfant crucifié. Chacun de nous le constatera s'il le désire : le miracle est permanent. »

Marcel L'Herbier

« De l'exception que constitue le Journal d'un curé de campagne, une règle se confirmera demain, qui suscitera d'autres prodiges. Dès aujourd'hui le cinématographe reçoit, en exemplaire original, ses lettres de relief. Il entre en grâce. Sa jeunesse ne s'expose plus au décri blessant des arts immémoriaux. Un film a suffi. »

Jean-Pierre Melville

« Il m'arrive parfois de lire "Melville bressonnise". Je suis désolé, c'est Bresson qui a toujours melvillisé. Revoyez Les Anges du péché et Les Dames du bois de Boulogne, et vous verrez qu'ils ne sont pas encore du Bresson. Par contre, si vous revoyez le Journal d'un curé de campagne, vous vous apercevrez que c'est du Melville ! Le Journal d'un curé de campagne, c'est Le Silence de la mer ! Il y a des plans identiques. Et la voix off du récitant... Robert Bresson, d'ailleurs, ne s'en est pas défendu auprès d'André Bazin quand celui-ci lui a demandé un jour s'il n'avait pas été influencé par moi. »

Un condamné à mort s'est échappé
Un résistant emprisonné par la Gestapo parvient à s'échapper peu de temps avant l'heure prévue de son exécution. Film d'action métaphysique, Un condamné à mort s'est échappé (1956) est le point d'inflexion majeur de l'œuvre de Bresson. « À partir du Condamné, plus d'acteurs, c'est le film où toutes les coordonnées du cinématographe sont trouvées. » (Philippe Arnaud)
Víctor Erice

« Avec des amis, nous avons formé une société secrète... pleine de la ferveur de la jeunesse et religieusement consacrée à l'auteur d'Un condamné à mort s'est échappé... Nous n'avions que 17 ou 18 ans. The Secret Bressonian Society date des années 60/70. Le passage du temps n'a fait que confirmer au fur et à mesure ce que nous savions déjà : l'influence décisive que ses idées ont eue sur la naissance de ce que l'on a appelé le Cinéma Moderne. »

Lynne Ramsay

« Je ne sais pas à quel point je suis directement influencée par Bresson mais j'aime ce style minimaliste. Son utilisation du son est formidable dans Un condamné à mort s'est échappé. Je me sens liée à lui en ce que je déteste le théâtre filmé, comme lui, et la pureté de ses images compte beaucoup pour moi. »

Roland Monod (modèle)

« Il sait d'emblée et admirablement ce qu'il ne veut pas, mais il ne découvre que peu à peu ce qu'il veut, au long des mètres de pellicule, à travers la maladresse même des interprètes qui reproduisent ces indications, ce qui explique que 60 000 mètres de film auront été tournés et que 2 500 seulement seront projetés. »

Ils ont dit...
Alexandre Astruc

« Si le métier de metteur en scène consiste à raconter une histoire avec le maximum d'efficacité, d'intensité, de sobriété, M. Bresson en est un des plus authentiques et des plus purs que nous ayons eu en France depuis longtemps. »

André Bazin

« Ce n'est à aucun degré la vraisemblance qui occupe Bresson mais, à un bout, la réalité, et à l'autre, une certaine vérité spirituelle dont cette réalité lui ouvre plus ou moins mystérieusement le chemin. Tout l'entre-deux qui est celui des autres films, celui du drame et de la psychologie, ne lui est pas seulement indifférent : incroyablement étranger ! »

Éric Rohmer

« Bresson se dérobe à tout classement. Ce n'est point qu'il répugne aux théories, bien au contraire : ses intentions sont claires et transparaissent nettement dans son œuvre sans qu'il ait besoin de les commenter. La première de ces idées est que le cinéma est un art difficile, rigoureux, épris de perfection, qualités qui ne se jugent qu'au résultat. »

Jean Cocteau

« Bresson est à part dans ce métier terrible. Il s'exprime cinématographiquement comme un poète par la plume. Vaste est l'obstacle entre sa noblesse, son silence, son sérieux, ses rêves, et tout un monde où ils passent pour de l'hésitation et de la manie. »

Louis Malle

L'art de Bresson a cette force naïve, cette candeur rusée, cette certitude inquiète et inquiétante des grands artistes de la tradition chrétienne.

Jacques Rivette

« Aucun cinéaste n'a jamais, semble-t-il, recherché si absolument la communication la plus directe avec le spectateur (rapport d'égalité, non de soumission, comme chez Hitchcock) ; Buñuel ou Rossellini même, sur ce point, sont rhétoriques par rapport à lui. »

Marguerite Duras

« Ce que les hommes faisaient jusqu'ici de la poésie, de la littérature, Bresson l'a fait avec le cinéma. On peut penser que, jusqu'à lui, le cinéma était parasitaire, il procédait d'autres arts, et qu'on est entré avec lui dans le cinéma pur. »

Pickpocket
Aux courses, à Longchamp, un homme dérobe un sac à main. C'est le début d'un cheminement vers un idéal de perfection dans l'art du vol à la tire qui le conduit à la plus extrême solitude, et de là à la rédemption. La mise en scène de Pickpocket (1959) accomplit une fragmentation du monde. Gestes et objets accèdent à une autonomie nouvelle, « indispensable si on ne veut pas tomber dans la représentation ».
Paul Schrader

« Je peux identifier le moment exact où ma sensibilité cinématographique a été galvanisée : en avril 1969, lorsque, en tant que critique de films, j'ai vu Pickpocket de Robert Bresson. Pickpocket m'a traversé l'esprit pour atteindre le cœur. Comme si mon âme était déflorée. Étrangement, Bresson m'a "délivré"... J'ai découvert que les films pouvaient être à la fois spirituels et profanes. J'étais enfin libre d'apprécier les deux. »

Louis Malle

« Pickpocket est le premier film de Robert Bresson. Ceux qu'il a faits avant n'étaient que des brouillons. Autant dire, si l'on sait la valeur de ce cinéaste, que la sortie de Pickpocket est une des quatre ou cinq grandes dates de l'histoire du cinéma. C'est un film profondément inspiré, un film libre, instinctif, brûlant, imparfait et bouleversant. Il dénoue tous les malentendus : si vous niez ce film, c'est le cinéma comme art autonome que vous mettez en question. Par les rapports simples et définitifs qu'il établit entre le contenu et l'expression, Pickpocket est un film d'une nouveauté fulgurante. Tout est beau dans ce film car tout est nécessaire. A la première vision, il risque de vous brûler les yeux. Alors faites comme moi : retournez-y tous les jours. »

Procès de Jeanne d'Arc
L'évêque et ses assesseurs interrogent Jeanne d'Arc sans relâche. Terrifiée par le supplice qui l'attend, elle abjure sa foi et accepte d'être brûlée. Après avoir tenu tête aux plus savants théologiens de l'époque, Jeanne monte sur le bûcher. Filmé sans dévier du texte authentique des minutes, Le Procès de Jeanne d'Arc (1961) est un sommet d'ascèse cinématographique.
Jacques Rivette

« La beauté des deux derniers films de Robert Bresson est celle de l'information pure : je veux dire qu'il n'y subsiste que le minimum de relais et qu'y est recherchée la réduction limite de l'entropie. Aucun cinéaste n'a jamais, semble-t-il, recherché si absolument la communication la plus directe avec le spectateur (rapport d'égalité, non de soumission, comme chez Hitchcock) ; Buñuel ou Rossellini même, sur ce point, sont rhétoriques par rapport à lui. » (Jacques Rivette)

Florence Delay (Jeanne)

« Robert Bresson imposait du silence et de la tension. Quand la tension se relâchait, quand par exemple on était distrait, il le sentait avant. Il arrêtait les choses. Ça c'était très frappant, la façon dont il captait l'état intérieur. »

Au hasard Balthazar
L'âne Balthazar va de maître en maître, tantôt aimé, tantôt maltraité. Dans la succession de séquences elliptiques d'Au hasard Balthazar (1966), l'animal est le témoin innocent des péchés des hommes, la victime expiatoire d'un monde de cruauté, le transporteur humble d'un fardeau qui n'est pas le sien.
Michael Haneke

« En dépit des chefs-d'œuvre qui ont suivi, Au hasard Balthazar reste pour moi l'un des plus précieux joyaux cinématographiques. Aucun autre film ne m'a fait battre le cœur et tourner la tête autant que celui-là. »

Anne Wiazemsky

« Ce qui est frappant, c'est de voir à quel point tous ses personnnages sont des jeunes gens. Étant jeune, je ne savais pas que j'étais jeune. Ce n'est que bien plus tard, en prenant des années, que j'ai vu à quel point Bresson n'a aimé, principalement, que la jeunesse. Jamais, dans aucun autre cinéma, elle n'est si présente, si subtilement saisie dans ce moment où il y a encore de l'enfance, et qui bascule vers autre chose. La jeunesse dans toute sa beauté et sa vulnérabilité. »

Mouchette
Seconde adaptation de Bernanos par Bresson, Mouchette (1967) est un récit à la simplicité tragique, la destinée d'une jeune fille de la campagne solitaire et rejetée, violée par un homme qu'elle avait pris en pitié. Fragmentaire, concret jusqu'à la dureté dans l'image et le son, on n'y voit « que ce qui est invisible, la détresse d'une enfant incroyablement désarmée, la panique d'une âme ».
(Mais voyez, sur ce photogramme, Mouchette heureuse !)
Wim Wenders

« Il y a environ soixante-dix ans, quelqu'un a construit pour la première fois une caméra, et fixé le mouvement en images successives, de sorte que plus tard, il a reconnu sur un écran quelque chose qu'il avait déjà vu à travers l'objectif : quelqu'un qui tourne la tête, des nuages qui traversent le ciel, des brins d'herbe qui tremblent, un visage qui montre la douleur ou la joie. Il aurait compris ce film de Bresson. Il se serait réjoui d'avoir fait une invention qui a été utilisée de façon si incroyablement belle. »

Ils ont dit...
J.-M. G. Le Clézio

« Le cinématographe de Bresson – ainsi le nomme-t-il par opposition à l'ordinaire cinéma – n'est pas un divertissement ni une leçon. Il est un acte, un acte du regard, en quête du plus haut niveau de conscience. Pareil à la sculpture, puisqu'il modèle les formes et les corps, pareil à la peinture, puisqu'il emplit l'écran, cette surface à couvrir, pareil à la musique qui est une mélodie et un rythme, et pareil au langage qui parle, le cinématographe est bien cette autre vie, cette vie nouvelle, qui éclaire et condense la vie réelle, qui lui donne son sens. Et l'homme apprend ainsi à rejeter tout ce qui du réel ne devient pas vrai. »

Andreï Tarkovski

« Je considère Bresson comme un phénomène unique dans le monde de la cinématographie. Bresson est l'un des artistes a voir démontré que la cinématographie est une discipline artistique au même titre que les autres disciplines artistiques classiques telles la poésie, la littérature, la peinture et la musique. »

Jean-Luc Godard

« Pour moi, Bresson est à la fois un Grand Inquisiteur, c'est-à-dire quelqu'un qui, quel que soit le risque ou même la violence des choses, va jusqu'au fond des hommes. Et il se trouve que cet inquisiteur est, disons, moins dangereux qu'un inquisiteur dans d'autres formes, en politique ou en religion, parce que cet inquisiteur se sert d'un moyen qui est le cinéma, et le cinéma par définition, puisqu'il filme la vie et les hommes, est humaniste. Donc Bresson a à la fois cette chance et ce privilège extraordinaires d'être à la fois un inquisiteur et un humaniste. »

Richard Linklater

« Personne n'a la précision de Bresson. Il a cette fameuse méthode de narration elliptique. Il fait partie des rares qui ont su créer leur propre langage cinématographique et qui l'ont utilisé tout au long de leur carrière. »

Aki Kaurismäki

« Je n'aurais jamais survécu dans ce monde oublié de Dieu sans les mensonges réalistes de M. Bresson, pour lesquels je serai toujours reconnaissant jusqu'à ma mort – et par la suite. »

Hal Hartley

« Je suis très ému par Bresson et, de plus en plus, je m'en sers de façon consciente – si tant est que cela signifie quelque chose. Parfois, c'est juste une précision émotionnelle que je perçois dans ses films, que j'essaie d'apporter aux miens quand j'écris. Quand je tourne aussi. Bresson supprime tout le superflu et isole des images qui disent exactement ce qu'elles doivent dire. »

Agnieszka Holland

« Après chaque projection d'un film de Bresson, il y avait cette sensation de limpidité, mêlée – puisque désormais je réalisais mes propres films – à un peu de jalousie. Que quelqu'un puisse atteindre une telle perfection dans un film ! Pour moi, Bresson est l'un des géants du cinéma des cinquante dernières années. Peut-être même le seul. »

Olivier Assayas

« Chez Bresson, il y a à la fois la richesse et la rapidité de la narration, l'ellipse. À côté, tout le cinéma français paraît poussif. »

Une femme douce
Une jeune femme vient de se suicider. Voulant comprendre son geste, son mari se remémore leur vie commune et les détails qui ont mené à leur éloignement progressif. Dans Une femme douce (1968), premier film de Bresson en couleur et première apparition de Dominique Sanda, une sensualité jusque là diffuse dans certains de ses films se dessine plus nettement.
Dominique Sanda

« Bresson avait la réputation de quelqu'un de difficile, mais cela ne me dérangeait pas. J'aimais aussi l'idée de me mesurer à lui, et j'aimais sa discipline, que je comprenais. Chaque geste avait une extrême précision, et tous les déplacements étaient marqués au sol, rigoureusement. Bresson décidait de tout. Des regards, en particulier.
J'avais le sentiment que Bresson avait des désirs de cinéma profondément motivés, pas du tout le sentiment qu'il faisait des caprices, ou que notre travail aurait pu prendre une autre forme, se chercher. Je voyais un cinéaste dont la mise en scène venait de très loin, du fond de lui-même. C'est une chose rarissime. »

Quatre nuits d'un rêveur
Une nuit, sur le Pont-Neuf, un jeune artiste intervient pour empêcher une jeune femme de se suicider. Elle lui donne rendez-vous au même endroit le soir suivant pour lui raconter son histoire. Adapté des Nuits blanches de Dostoïevski, Quatre nuits d'un rêveur (1971) est le film le plus méconnu de Bresson, une œuvre sensuelle et hypnotique.
Claude Mauriac

« Le sujet, comme dans les toiles les plus figuratives, n'a qu'un intérêt secondaire. C'est la matière filmique qui compte, cette texture mystérieuse et spécifique, sons et images. Ce qui nous est raconté a moins d'importance que ce que nous voyons ; les mots qui nous parviennent nous parlent moins que les rumeurs de la ville, de la vie. Plastiquement, ce nocturne est la plus belle œuvre de Robert Bresson (si nous oublions ses chefs-d'œuvre en noir et blanc). C'est un film en couleurs – aux couleurs de la nuit. »

Pierre Lhomme

« Un producteur avait persuadé Bresson que, s'il voulait continuer à faire des films et avoir des spectateurs, il fallait qu'il se rajeunisse et qu'il fasse du cinéma comme tous les jeunes de l'époque, en 16 mm, caméra à la main. Nous avons été avec Bresson voir des films récents, et je sentais Bresson, à côté de moi, littéralement faire des bonds. Il me disait : "C'est pas possible ! c'est pas possible !" »

Lancelot du lac
Les amours adultères de Lancelot, le chevalier de la Table ronde, et de Guenièvre, l'épouse du roi Artus. Avec Lancelot du lac (1974), Bresson réalise un projet rêvé et mûri pendant vingt ans, l'invocation inouïe d'un temps marqué par l'angoisse spirituelle du renoncement à la quête du Graal.
Jean Yanne

« Bresson, j'ai eu une expérience directe avec lui, je suis resté dans une salle de mixage pendant vingt quatre heures pour régler le bruit d'un tisonnier. Je me suis mis dans un coin, pour voir comment on fait un doublage de Bresson... Il y avait une dame qui devait marcher dans une pièce et qui devait poser un tisonnier. Et ça a duré la journée pour le son du tisonnier. Un coup, c'était trop métallique, ce qui est d'ailleurs la propriété d'un tisonnier ; après, ça ne l'était pas assez ; après, c'était trop bas ; après, c'était trop haut... Alors j'ai dit, bon, eh bien ! c'est formidable la conscience artistique à ce point-là. Enfin, je ne suis pas revenu le lendemain, parce que... c'était un peu beaucoup pour moi. »

John Waters

« Un autre film d'art fou qui m'a vraiment impressionné. Bresson rencontre les Chevaliers de la Table ronde, ou presque, puisque ce film est presque entièrement raconté en gros plans ou plans moyens d'armures, de casques, de bottes, de sabots de chevaux, avec très, très peu de visages humains. En réalité, bien qu'on ait l'impression de milliers de figurants, il n'y en a qu'une poignée, qui jouent différents rôles. Puisqu'on nous présente les personnages de dos ou à travers leurs chaussures, Bresson aurait vraiment pu économiser de l'argent en engageant un seul acteur pour en jouer une vingtaine. Si jamais il existe un film anti-star, c'est celui-là... »

Ils ont dit...
Martin Scorsese

« C'est un cinéaste incroyablement dynamique. J'apprends beaucoup chaque fois que je regarde un de ses films. Il y a un dynamisme bon marché qu'on peut facilement obtenir grâce aux nombreuses avancées technologiques, mais chez Bresson, il y a un vrai dynamisme qui repose sur la relation la plus élémentaire entre l'image et le son. »

Claude Chabrol

« De tous les grands cinéastes, Bresson est celui que je déteste le plus. C'est parce que je trouve que, contrairement à ce que les gens pensent, c'est extrêmement souligné. Il prend un peu les gens pour des couillons et il souligne tout. Alors comme il souligne tout, c'est l'ensemble qui est souligné, et ce qui est important n'apparaît plus. Il ne peut pas y avoir une porte qui s'ouvre chez Bresson sans qu'il y ait un gros plan de la poignée de porte qui tourne, alors c'est vrai que c'est assez beau une poignée de porte, qu'il a énormément pris de soin à choisir la poignée de porte, mais enfin ! quand il y en a douze dans un film, on commence à en avoir assez... »

Jacques Kebadian

« Quand j'ai commencé à travailler avec lui, aimer ses films, c'était lutter contre une pression, une mode, choisir son camp, se faire des ennemis ; tout le contraire d'aujourd'hui. Ceux qui se moquaient de la façon dont les personnages parlaient chez Bresson reconnaissent aujourd'hui en lui le maître de toute une génération de cinéastes... Chez lui, il y a une révolte, un monde intérieur, un goût du secret que l'on perçoit aussi chez Dostoïevski et Bernanos. Les personnages en marge, en rébellion avec le pouvoir et le milieu bourgeois l'attiraient. »

Alain Cavalier

« De nombreux critiques ont écrit que Libera Me ressemblait à du Bresson – une référence automatique dès que l'on fait du cinéma un peu dépouillé. Ça m'a flatté, mais aussi amusé parce que je me sentais pas du tout bressonnien en tournant le film ! Chez Bresson, ça parle beaucoup et il y a une apparence réaliste : une cellule est une cellule, une rue est une rue. Comme je connaissais très bien son travail, j'ai au contraire fait attention à ne pas l'imiter. »

Jean-Claude Brisseau

« Une des raisons pour lesquelles j'admire profondément Bresson, c'est cette adéquation totale du fond à la forme. La forme n'est pas vide, elle est au service d'un sens extrêmement maîtrisé. »

Humbert Balsan

« Ses films donnent au spectateur une liberté extraordinaire. Ses films sont aussi truffés de tout ce qu'il a mis de manière très secrète, de choses à lui, des situations, des dialogues, des personnages. Ce ne sont pas des films abstraits. La fameuse "froideur bressonnienne" n'existe pas. Bresson, c'est un feu permanent. »

Benoît Jacquot

« Chez Bresson, il y a une pauvreté, quelque chose de répétitif, donc une sorte d'impasse quant à la valeur d'usage qu'on peut en avoir soit en tant que cinéphile, soit en tant que cinéaste. Rien pour lui ne découle d'une facilité. Au contraire, c'est du domaine de l'ascèse. Mais pour quiconque ne ferait pas l'effort de résister à ce qui pourrait être une pente – je parle pour moi – c'est tout de suite de l'ordre de la complaisance. »

Le Diable probablement
Écœuré par l'état du monde contemporain, sans illusion sur les réponses que l'on prétend y apporter, un jeune homme choisit d'en finir avec la vie. Le Diable probablement (1977) est l'unique film de Bresson tourné sur un scénario original. Le thème du désarroi devant la situation morale et matérielle du monde rejoint le motif, toujours plus présent chez lui, d'une jeunesse à la beauté inaliénable.
François Truffaut

« Bresson commence souvent les scènes en filmant des boutons de portes et des ceintures, décapitant les personnes, mais n'est-ce pas pour économiser, pour retarder, pour faire attendre, pour préserver, pour faire désirer et finalement pour montrer le visage au moment où il devient important, au moment où ce beau visage, j'insiste encore sur la beauté, où ce beau visage intelligent parle avec douceur, gravité, comme si la personne se parlait à elle-même ? »

Rainer Werner Fassbinder

« Je pense que c'est un film majeur ; mais certains objecteront que si on montre un film comme ça à quelqu'un dans la rue, il ne le comprendra pas. Je pense que c'est faux. Mais même si c'était vrai, ça ne veut pas dire que dans le futur, ce film sera plus important que tous les déchets qui sont maintenant considérés comme importants, mais qui ne vont jamais vraiment assez loin. Les questions que pose Bresson ne seront jamais sans importance. »

L'Argent
Un faux billet de 500 francs circule. Yvon, livreur de mazout, le reçoit en paiement. Accusé de trafic de fausse monnaie, il perd tout. « Avec L'Argent (1983), Bresson n'a jamais été plus loin dans un traitement égyptien des corps et des visages, hiéroglyphes des corps et des visages dont n'est jamais sûr de pouvoir être les Champollion. » (Philippe Arnaud)
J.-M. G. Le Clézio

« Dans ce monde où dominent la violence et le crime, dans ce monde où plus que jamais l'argent semble le symbole des plus grands désirs et de la recherche vaine du bonheur, la violence et la pureté de Bresson ont quelque chose de farouche et d'implacable qui fait penser à un message prophétique. »

Emmanuel Machuel (directeur de la photographie)

« Ce qui m'a fasciné, c'était sa façon de suivre de très près le découpage technique initial. Il n'y avait absolument aucun système, aucune méthode. Chaque plan était unique et comportait son propre langage, même s'il existait par rapport au précédent et au suivant. »