Shining Inventions

Jeune cinéphile séduit par la caméra fluide de Max Ophuls, Kubrick a montré au fil de son œuvre un intérêt constant pour les mouvements d'appareil et la technique. Dans Shining, le cinéaste fait un usage remarquable de la Steadicam (1).

Mis au point par l'opérateur Garrett Brown en 1973, ce système de stabilisateur d'image pour caméra portée offre, grâce à sa grande mobilité, des mouvements d'une fluidité exceptionnelle. Libéré de la lourde machinerie classique, l'opérateur évolue sur n'importe quel terrain, la caméra fixée au corps par un harnais et reliée à un bras articulé. Un jeu de contrepoids compense les heurts éventuels. Expérimentée au cinéma en 1976 (2) et récompensée par un Oscar en 1978, l'invention de Brown intéresse Kubrick, qui le sollicite pour le tournage de son film.

Une version perfectionnée de l'appareil permet à l'opérateur de filmer en frôlant les murs et près du sol, en liaison avec le cinéaste par radio et système de contrôle vidéo. Kubrick peut pleinement tirer parti des décors de l'hôtel Overlook, dont les pièces reconstituées en studio sont attenantes, la caméra passant de l'une à l'autre, empruntant couloirs et escaliers. Ainsi, les lancinantes déambulations de Danny en tricycle dans l'hôtel sont filmées à hauteur de l'enfant, depuis une chaise roulante (en low mode). Pour la séquence où Wendy découvre la folie de Jack et tente de lui échapper, Brown opère debout (en high mode), suivant les personnages dans l'escalier, puis en fauteuil lorsque Wendy tire Jack, étendu à terre. La promenade et la scène finale de poursuite dans le labyrinthe enneigé, où l'opérateur suit tour à tour en courant le père et l'enfant, auraient été impossibles sans Steadicam.

La caméra rôde dans l'hôtel et dans le labyrinthe, comme un esprit suspendu qui surveille les personnages, à la manière d'un "tapis volant" selon Kubrick (3). La mobilité, la fluidité et la rapidité spectaculaire de la caméra donnent toute leur puissance à ces scènes. Cette première utilisation importante de la Steadicam et l'esthétique nouvelle qui en découle feront de Shining le film-référence de cette technique de prise de vues, contribuant à son succès.

(1) Contraction de "steady camera", littéralement "caméra stable".

(2) Pour la réalisation d'un plan-séquence de 2 minutes dans En route pour la gloire (Bound for Glory, Hal Ashby), puis, plus brièvement, dans Marathon Man (John Schlesinger) et Rocky (John G. Avildsen).

(3) Les Archives de Stanley Kubrick, Alison Castle (dir.), (Köln, London, [etc.], Taschen, 2005), p. 96.