Barry Lyndon Inventions

Kubrick adapte Les Mémoires de Barry Lyndon (1) avec l'intention de recréer une époque révolue. Il envisage son film comme "un documentaire sur le XVIIIe siècle" (2) et puise ses références picturales dans les œuvres de Hogarth, Menzel ou Chodowiecki. Comme les décors ou les costumes, l'éclairage se doit d'être authentique. Défiant toutes les difficultés techniques, le cinéaste tourne en lumière naturelle, éclairant aux bougies les scènes nocturnes, et usant rarement d'éclairages artificiels.

Ce souci d'une lumière réaliste, Kubrick l'envisageait déjà pour son projet Napoléon. En 1966, sur le tournage de 2001, il étudie avec le chef opérateur John Alcott la possibilité de filmer à la lueur des bougies, effectuant sans succès une série d'essais avec des objectifs à grande ouverture. Féru d'optique, Kubrick découvre enfin l'existence de trois objectifs photo suffisamment sensibles (50 mm, f/0.7) conçus et fabriqués par Zeiss pour la Nasa. En trois mois, Ed Di Giulio en adapte un à une caméra Mitchell BNC pour le tournage de Barry Lyndon. La technique nécessite encore un traitement particulier du négatif et l'emploi de réflecteurs. Le manque de profondeur de champ de ces lentilles Zeiss, avec la faible intensité lumineuse, rend la mise au point épineuse et les acteurs sont limités dans leurs déplacements afin de rester nets à l'image. Inspirées des peintures de Georges de La Tour, les scènes éclairées à la bougie, présentes surtout dans la deuxième partie du film, sont donc plus statiques que les extérieurs de la première partie, riche en zooms arrière. Ainsi, la scène de séduction entre Barry et Lady Lyndon, face à face à la table de jeu, dont l'action se résume aux échanges de regards brûlants sous d'impassibles visages fardés, tient du tableau vivant. La lumière chaude et intime des lustres et des chandeliers, également présents dans les plans serrés, donne un grain particulier à l'image.

La photographie sublime et innovante du film, récompensée par un Oscar, crée l'événement en 1975. Alcott estime à propos de Kubrick : "s'il n'était pas réalisateur, il serait probablement le plus grand directeur de la photographie du monde." (3)

(1) The Luck of Barry Lyndon, roman de William Makepeace Thackeray, paru en 1844 dont l'histoire se déroule entre 1750 et 1789.

(2) Propos du chef décorateur Ken Adam, in Barry Lyndon de Philippe Pilard, (Paris, Nathan, 1990), p. 52.

(3) Interview de John Alcott par Michel Ciment, Londres, février 1980, in Stanley Kubrick, (Paris, Calmann-Lévy, 1999), p. 216.