Les Sentiers de la gloire Symétries

Tourné en Allemagne et situé en France au beau milieu de la Première Guerre mondiale, Les Sentiers de la gloire s'ouvre sur un château monumental (1). Le luxueux bâtiment sert de QG aux généraux français. Les décisions les plus arbitraires et inhumaines y sont prises, parfois par pure ambition, comme l'offensive perdue d'avance contre une position allemande imprenable et l'injuste sentence de la cour martiale : trois soldats tirés au sort sont condamnés à être fusillés "pour l'exemple", accusés à tort de lâcheté. Cet édifice raffiné du XVIIIe siècle, nimbé de lumière, est donc le théâtre des pires agissements. Sa blancheur immaculée contraste avec la boue et l'ombre des tranchées et du champ de bataille ravagé ; deux univers opposés que le film alterne cruellement.

L'exécution des soldats a justement lieu devant l'élégant château, sur fond de roulement de tambour. Le monument tout en longueur s'impose à l'arrière-plan, le cadrage et le grand angle accentuant sa taille colossale. Son architecture symétrique se prolonge avec l'allée centrale et les contre-allées selon une géométrie parfaite. Les lignes de fuite et le contraste du noir et blanc participent à la composition harmonieuse de l'image. Les troupes disciplinées, alignées dans la plus grande symétrie de chaque côté de l'allée principale, et le peloton d'exécution, constitué de deux rangées de soldats déployées sur toute sa largeur face à la caméra, contribuent à l'effet d'enfermement et à la sensation d'une mort imparable. Le contrechamp de ce plan, sur les trois condamnés entourés des soldats de dos prêts à tirer, obéit à la même symétrie inéluctable.

Les déplacements millimétrés des centaines de figurants allemands qui interprètent les poilus des Sentiers de la gloire, comme le choix des cadrages, témoignent déjà de la fascination du jeune cinéaste pour la composition symétrique, encore accentuée ici par l'ordre militaire.

(1) Le nouveau château de Schleissheim en Bavière.