Barry Lyndon Duels

Le dernier duel fait partie des rares scènes ajoutées par Stanley Kubrick au roman de W. M. Thackeray, Les Mémoires de Barry Lyndon : "Le duel m'a semblé un moyen à la fois dramatique et plus économique" (1). Cette séquence, pourtant longue (neuf minutes) et statique, au cours de laquelle Lord Bullingdon assouvit sa haine en blessant Barry Lyndon, lui permet en effet de supprimer plusieurs scènes du livre.

La scène lui permet aussi d'explorer la violence de l'espèce humaine, son infini sujet. Les aventures de Redmond Barry sont ponctuées de rituels de violence, physique et sociale. Barry excelle dans le cérémonial du duel et les bagarres à mains nues, mais se mesure aussi à la violence plus policée des rapports sociaux et des relations humaines régies par l'argent et la "position".

La séquence, intense et solennelle, est traitée avec une ritualisation à l'extrême du duel (les seuls dialogues sont ceux qui donnent les règles). Comme toujours dans les combats, Kubrick privilégie l'acteur en utilisant des plans rapprochés. Mais ici les lumières latérales, la grange résonnant du roucoulement des pigeons et la musique (la Sarabande de Haendel réorchestrée), participent à la dramatisation d'une scène semblant se dérouler hors du temps.

L'impassibilité est de règle dans cette haute société qui ne doit pas dévoiler ses émotions. La violence est codifiée : poses statiques des duellistes, visages figés tels ceux des joueurs professionnels. Les couleurs participent à l'absence apparente de passions : les tons bleus, gris et blancs remplacent les tenues chatoyantes. Or, les conventions du duel se lézardent peu à peu. Lord Bullingdon perd son sang-froid, transpire, tire de travers, vomit avant de se reprendre et de montrer sa joie quand il atteint son beau-père. La violence tant réprimée reprend le dessus ; Bullingdon ressemble finalement à ce beau-père méprisé.

Avec cet affrontement final, Bullingdon, humilié, dépouillé, retrouve son rang et met fin aux aventures de Redmond Barry, débutées par un duel pour l'honneur.

(1) Interview de Stanley Kubrick par Michel Ciment in Les Archives de Stanley Kubrick, Alison Castle (dir.), (Köln, London, [etc.], Taschen, 2005), p. 91.