Lolita Duels

Le jeu d'échecs est ce lieu, réel et mental, où s'affrontent deux intelligences. C'est à l'un de ces duels que se livrent, au début de Lolita, Humbert et Charlotte. Partie métaphorique dans laquelle la Reine, que le professeur de littérature cherche à prendre à sa logeuse, n'est autre que Lolita, qui s'approche au même moment des joueurs. Le roman et le film décrivent un jeu amoureux dans lequel "les protagonistes y sont envisagés comme les pièces d'une partie d'échecs" (1). D'après Edmond Bernhard (2), qui a analysé le roman selon une théorie échiquéenne, la règle de la promotion (le pion parvenant à traverser tout l'échiquier peut se transformer en n'importe quelle autre pièce, excepté le Roi) est incarnée par Lolita qui, à la mort de sa mère, prend la place de la Dame originelle auprès de Humbert.

Tout le film est construit sur des rapports de force, des confrontations entre les personnages, à commencer par l'affrontement qui ouvre et conclut Lolita : celui entre Humbert et Quilty, dans lequel "on verra un lien évident avec le dénouement d'une partie et l'expression qui la ponctue : "échec et mat"" (3), le mot "mat", d'origine perse, signifiant "mort". Avant ce dénouement, les personnages sont tour à tour séducteurs et séduits, manipulateurs et manipulés. Humbert manipule Charlotte pour se rapprocher de Lolita ; lui-même est utilisé par la jeune fille, à son tour manipulée par Quilty.

(1) René Alladaye, "Play hard : enjeux des jeux dans Lolita", Miranda-ejournal, n° 3, 2010.

(2) Edmond Bernhard, "Nabokov", L'Arc, n° 24, Printemps 1964, pp. 37-45.

(3) René Alladaye, op. cit.