Willy Kurant

Du 2 mai au 3 juin 2013

Les sept vies cinématographiques de Willy Kurant

Chef opérateur de Godard, Welles, Skolimowski, Pialat, Gainsbourg et plus récemment Garrel, Willy Kurant a suivi, depuis ses débuts dans les années 50 comme reporter caméraman d’information, un parcours foisonnant, éclectique mais cohérent. Pour rendre compte de son expérience professionnelle, nous avons opté pour le choix forcément arbitraire de sept vies cinématographiques, reliées les unes aux autres.

Première étape fondatrice, celle du reportage. Dans les années cinquante-soixante, Willy Kurant sillonne le monde pour rapporter des images aux télévisions francophones. Années d’apprentissage, notamment pour les émissions d’informations de l’époque (5 Colonnes à la une), déterminantes pour celui qui sera marqué à jamais par l’esthétique du cinéma vérité, et qui lui donneront le goût des mouvements de caméra audacieux et des longs plans séquences, que l’on retrouvera par la suite dans de nombreux films dont il réalisera l’image.

Les années reportage, le goût du documentaire et de la caméra portée mènent tout droit Willy Kurant à la Nouvelle Vague. D’abord via le court métrage (Rozier, Karmitz, Averty), avant son premier long métrage comme chef opérateur, Les Créatures d’Agnès Varda, quatrième film de la réalisatrice, curieux film fantastique en scope noir et blanc. Dans la foulée, Godard l’invite à réaliser la photo de Masculin Féminin. « J’ai proposé à Godard de tourner avec une nouvelle pellicule que j’avais déjà utilisée : au lieu de la développer à un gamma de 0,67, je la faisais développer à 0,90, pour éliminer les gris et garder des noirs et des blancs plus contrastés. »

Deux ans plus tard, sans doute sous l’influence du film de Godard, Jerzy Skolimowski demande à Willy Kurant d’assurer la photographie de son quatrième long métrage, Le Départ (1967). Portrait d’un jeune garçon coiffeur amoureux des voitures de course, film sur la vitesse rythmé comme une course automobile. « C’est une photo à l’arraché, avec très peu de moyens. On a tourné pendant 4 ou 5 semaines. Couché en travers de ses genoux, je filmais Jean-Pierre Léaud de travers. Il était lui-même assis sur un chauffeur qui tenait le volant, et le tournage des scènes se déroulait comme ça. »

La même année que Le Départ, Willy Kurant tourne Anna, comédie musicale pour la télévision réalisée par Pierre Koralnik, pour qui la grande force du chef opérateur était de « connaître aussi bien la lumière naturelle que l’éclairage académique d’avant la nouvelle vague. » Précisément, Anna, par sa modernité (fiction pop aux couleurs saturées, hymne à la beauté d’Anna Karina), « trait d’union musical entre Nouvelle Vague et pop art », toujours selon Koralnik, est devenu avec les années un véritable « film culte » soutenu par les chansons célèbres du tandem Michel Colombier –  Serge Gainsbourg. Près de neuf ans plus tard, « l’homme à tête de choux » rappelle Kurant pour mettre en images son premier long métrage, l’hyperréaliste Je t’aime moi non plus. Deux autres collaborations suivront : Equateur (1983) pour lequel le chef opérateur élabore une photo sombre utilisant pour certaines scènes la lumière vive des lampes à arc, et Charlotte for ever (1987), tourné à l’épaule dans une lumière très proche de celle de certains films hollywoodiens des années cinquante-soixante.

Cinquième étape, cinquième vie, la rencontre avec Orson Welles pour Une histoire immortelle, en 1966, lui permet d’expérimenter une fois de plus et de compenser parfois le manque de moyens. « À Chinchon, en Espagne, un jour sur le plateau, toute une partie du matériel n’était pas arrivée, j’ai alors « vendu » à Orson des plans au 150 mm (longues focales) comme substitut de voiture travelling, lui qui n’avait jamais utilisé un objectif au-delà de 32mm ! » Malheureusement deux tiers des films de Welles dont Willy Kurant a fait l’image ne sont pas visibles aujourd’hui, L’Héroïne, qui devait être la suite d’Une histoire immortelle et The Deep, projet ambitieux de Welles situé sur un bateau, tous deux inachevés. La carrière américaine de Willy Kurant débutera juste après le tournage de ce film. Près de 25 ans passés aux Etats-Unis, entre films indépendants et budgets plus importants, et exploration sous pseudonyme de la série B façon Roger Corman (Le Monstre qui venait de l’espace, etc.).

Avec La Nuit du lendemain d’Hubert Cornfield, il filme Marlon Brando et crée à la toute fin une magnifique « nuit américaine », véritable aube bleutée dont l’ancien élève apprenti de l’Institut Photographique de Belgique s’était fait une spécialité. Un autre nuit américaine (mêlée à une nuit véritable) éclaire une célèbre séquence de Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat. Ce film (marqué aussi par la lumière des paysages flamands de l’enfance de Willy Kurant) constitue l’apogée de leur collaboration, entamée en 1963 avec les Chroniques turques, influencées par l’esthétique « caméra portée » du reporter qu’il était à l’époque. Pour Pialat, il photographiera également plusieurs séquences de À nos amours, intérieurs et extérieurs de ce qui constitua le pré-tournage à Hyères. Les relations entre Kurant et Pialat n’ont pas toujours été simples, mais le cinéaste évoqua toute son estime pour le chef opérateur dans le livre de Dominique Maillet, En lumière, sur les directeurs de la photographie (éd. Dujarric, 2001) : « À mon avis, Kurant est un grand formaliste, je le dis avec affection, beaucoup plus grand qu’il ne croit et que peut-être lui-même, il voudrait être… »

Willy Kurant poursuit aujourd’hui ses multiples vies cinématographiques. L’une des plus récentes, la septième et dernière évoquée ici, est celle qui l’a vu rencontrer Philippe Garrel pour éclairer Un été brûlant en 2011, et La Jalousie, tourné en mars 2013. Les deux films en scope semblent symboliser tout l’art de la lumière de Willy Kurant, le premier traitant la couleur de l’image comme une aquarelle aux couleurs primaires, le deuxième réalisé dans un noir et blanc très contrasté en référence aux premiers longs métrages du chef opérateur.

Bernard Payen

Les films

Béjart
François Weyergans , 1961
La Briqueterie
Paul Meyer , 1956
Les Idoles
Marin Karmitz, Paule Sengissen , 1963
Nuit noire, Calcutta
Marin Karmitz , 1964
Di 26 mai 19h00   HL Je 30 mai 17h00   HL
Byzance
Maurice Pialat , 1964
Corne d'or
Maurice Pialat , 1964
Le Bosphore
Maurice Pialat , 1962
Maître Galip
Maurice Pialat , 1964
Pierres éparses
Maurice Pialat , 1962
Istanbul
Maurice Pialat , 1964
Pehlivan
Maurice Pialat , 1963
Di 19 mai 19h15   HL
Les Créatures
Agnès Varda , 1966
Elsa la rose
Agnès Varda, Raymond Zanchi , 1966
Ve 24 mai 16h30   HL Lu 3 juin 14h30   HL
Equateur
Serge Gainsbourg , 1983
Lu 6 mai 21h45   GF
Fellini
Dominique Delouche , 1960
Di 12 mai 20h00   HL
Loin du Vietnam
Jean-Luc Godard, Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Alain Resnais , 1967
Sa 25 mai 21h00   HL Ve 31 mai 14h30   HL

Willy Kurant, reporter-réalisateur

Cinq colones à la une : Vietnam : Madame Nhu / Caméra 3 : Cuba diccionario / Les Pélerins de Las Vegas
Caméra 3 : Cuba diccionario
Willy Kurant , 1968
Les Pélerins de Las Vegas
Jean-Christophe Averty , 1963
Di 2 juin 21h15   HL

Partenaires et remerciements

Willy Kurant, INA, Lobster films, Gaumont, Archives Françaises du films, Ciné-Tamaris, Cinémathèque royale de Belgique, ZDF, Cinémathèque du Luxembourg, Academy Film Archive, Wild Bunch, Adrian Maben, Universal Pictures, Pierre Beuchot, François Weyergans, Cinémathèque de la danse, La Sofra, Malavida.

AFC - Association Française des Directeurs de la Photographie Cinématographique

En partenariat média avec

Bellefaye Pariscope