Riccardo Freda

Du 30 juin au 1 août 2010

Riccardo Freda, l’aventurier magnifique

Dans l’après-guerre du cinéma italien, Riccardo Freda incarne l’alternative au néo-réalisme. Son oeuvre s’empare des mythologies antiques et des chefs-d’oeuvre de la littérature et de la peinture pour les mettre au service d’un cinéma feuilletonesque et populaire. Il a tourné des films de cape et d’épée, des épopées historiques, des péplums, des mélodrames, des longs métrages d’épouvante. Sa mise en scène toujours précise et logique parvient souvent à transcender et à transformer de triviales péripéties en tragédies d’une grande noblesse.

En dénonçant dans le cinéma italien d’avant 1945 le « goût et mauvais goût du décor, l’idolâtrie de la vedette, la puérile emphase du jeu, l’hypertrophie de la mise en scène » et bien d’autres choses, André Bazin dans un de ses célèbres textes parus dans Qu’est-ce que le cinéma ? usait surtout d’un moyen rhétorique pour saluer et mettre en valeur l’émergence d’une école italienne dont les qualités auraient précisément résidé dans le contraire des travers énoncés. Si le néo-réalisme italien a une importance historique, c’est d’abord parce qu’il aurait représenté une rupture avec cette emphase et ce pompiérisme. Un homme, pourtant, incarnera de façon exemplaire une autre manière de dépasser, tout en la maintenant, une tradition qui, malgré tout, plonge ses racines dans l’Histoire et la culture italienne. Riccardo Freda n’aura pas seulement été ce contempteur du néo–réalisme, voire du réalisme vu par lui comme une pure illusion en matière de cinéma. Il aura aussi renouvelé, rajeuni, revivifié, inventé parfois les grandes tendances de ce que sera une alternative à un mouvement lui-même très vite (à l’exception des films de Rossellini) corrompu par les exigences du commerce cinématographique.

Riccardo Freda est né à Alexandrie, en Egypte, en 1909. En 1914, son père, qui est banquier, installe son épouse, qu’il a quittée pour la sœur de celle-ci, et ses dix enfants dans une grande maison à Milan. Lui demeure en Egypte. Freda abandonne très vite des études de droit pour apprendre la sculpture. Il fréquente le petit monde artistique de Milan qu’il quitte en 1933 pour Rome. Le journaliste Luigi Freddi, que Mussolini a chargé de rédiger les statuts du Cinéma italien, l’engage à ses côtés. Freda travaillera au bureau de la propagande du ministère de la culture et collaborera à la création du fameux Centro Sperimentale tout en commençant à écrire des scénarios et des découpages, notamment pour Gennaro Righelli, Raffaello Matarazzo ou Goffredo Alessandrini. C’est en 1942, en pleine guerre, qu’il réalise son premier film, Don Cesar de Bazan, adapté d’une pièce de Adolphe d’Ennery et Jean-Henri Dumanoir, variation sur le Ruy Blas de Victor Hugo avec Gino Cervi dans le rôle principal. S’il ne s’agit pas du titre le plus accompli du cinéaste, il est facile d’y voir, a posteriori, une forme de programme annonçant ce que sera le cinéma de Freda. Don Cesar de Bazan, c’est la transformation d’une œuvre littéraire en épopée feuilletonesque, un traitement plastique influencé par la peinture et l’architecture, en l’occurrence Vélasquez (qui est d’ailleurs un des personnages du film) et le Piranèse, un récit où la conspiration et la vengeance jouent un rôle central. Tout est là. Déjà.

Le rejet du réalisme

Freda effectue, à la fin du conflit, une odyssée picaresque au cours de laquelle il rencontrera Benedetto Croce et Malaparte avant de travailler pour les services secrets américains en uniforme de lieutenant de l’US Army. De retour à Rome, alors que le Rome, ville ouverte de Rossellini éclate comme un coup de tonnerre qui bouleversera une certaine manière de faire du cinéma, Freda se déclare un opposant farouche à l’école du néo-réalisme. Son cinéma sera marqué par un recours systématique à des univers imaginaires et mythologiques. « Recréer m’intéresse, témoigner pas du tout » déclarera t-il cinquante ans plus tard. L’Aquila nera/L’Aigle noir, en 1946 est tiré d’une nouvelle de Pouchkine. C’est surtout l’histoire d’un justicier masqué et, encore, un récit de vengeance. Rapidité d’exécution, condensation des événements, érotisme et chevauchée cathartique finale composent un film qui remportera un énorme succès. Un an plus tard, son adaptation des Misérables transforme le roman de Victor Hugo en serial débridé sans pour autant en négliger les enjeux moraux, sociaux et métaphysiques. Là encore se déploie un art incroyable de l’ellipse, un lyrisme intense couplé à un sens inouï de la vitesse.

Freda va, dès lors, durant quatre décennies, incarner l’évolution même du cinéma populaire italien, une évolution qu’il va parfois anticiper en ressuscitant le péplum avec Spartaco/Spartacus en 1952 et Teodora, imperatrice di Byzancio/Theodora, impératrice de Byzance, en 1954, et en inventant le fantastique transalpin avec I Vampiri/Les Vampires, en 1957. Il signera des mélodrames (Vedi Napoli e puoi muori/Le Passé d’une mère, La Leggenda del Piave, Les Deux orphelines), des films historiques (Il Cavaliere misterioso, Le Sette spade del vendicatore/Sept épées pour le ro*i, jusqu’à ce jovial adieu au genre que fut *Il Magnifico aventuriero/L’Aigle de Florence), des péplums (Maciste all’inferno/Maciste en enfer, I Giganti di Thessalia/Les Géants de Thessalie), des bandes d’horreur gothique (L’Orribile segreto del Dr Hichcock/L’Effroyable secret du professeur Hitchcock et Lo Spettro/Le Spectre du professeur Hitchcock), des films d’espionnage (les deux Coplan), un western (La Morte non conta i dollari/Quand sonnera l’heure de la vengeance) et des thrillers érotico-psychologiques (A Doppia faccia/Liz et Helen ou L’Iguana dalla lingua di fuoco/L’Iguane à la langue de feu).

Influences littéraires et picturales

Dans son article sur Agi Murad, il diavolo bianco/La Charge des Cosaques, Fereydoun Hoveyda, dans le numéro 109 des Cahiers du cinéma, décrivait paradoxalement Riccardo Freda comme le spécialiste de la « superproduction de série B ». Son cinéma, tout comme l’essentiel du cinéma du samedi soir transalpin, fut parfois, effectivement, une imitation, à petit budget, des genres hollywoodiens. Il a aussi ravivé des mythologies plus endogènes (le péplum). Il est marqué par une volonté de rivaliser avec le cinéma américain tout en se distinguant de celui-ci par les choix esthétiques que lui imposent ses conditions de production. Mais la question du genre est moins essentielle chez lui que la conscience d’un rapport à une matrice culturelle fondatrice, avec laquelle les liens sont forts, profonds, érudits, dénués de toute superficialité. On y trouve, entre autres, la mythologie antique, le roman du XIXe siècle ou la peinture du Quattrocento, le cinéma muet expressionniste aussi. Avec l’aide de ses scénaristes, Mario Monicelli, Steno, Filipo Sanjuste et d’autres, il a entrepris une relecture cinématographique de nombreux écrivains, de Pouchkine à Hugo en passant par Tolstoï, Casanova, Stendhal ou Dumas, dont il a réussi à la fois garder l’esprit et en faire en même temps une manière de divertissement populaire. Freda concentre également toute son attention sur la force plastique de ses films avec l’aide de chefs opérateurs dont certains figurent parmi les plus grands (Gabor Pogany, Mario Bava) qui retrouvent les contrastes du Caravage. Il prend des leçons de composition du cadre chez Veronèse, le Carpaccio ou le Tintoret. Le goût pour le mouvement, l’obligation de garder en éveil constant le spectateur amateur d’épopées, conjurent tout danger d’une picturalité uniquement décorative comme toute pesanteur « littéraire ». Car Freda n’est pas seulement quelqu’un qui a « trivialisé » les mythes de la culture européenne, il a également ennobli la sous-culture des cinémas de quartier. C’est ce double mouvement qui pourrait qualifier parfaitement son oeuvre. Ses héros sont perpétuellement balancés entre une condition trop humaine et la surhumanité des « hommes forts », pas seulement ceux des péplums, de Spartacus à Maciste, mais également son Jean Valjean ou son tolstoïen Agi Murad, personnages où l’exigence souveraine de justice se double souvent d’une volonté implacable de vengeance.

Souveraineté de la mise en scène

À ceux qui contesteraient à Freda la qualité d’auteur, il serait certes facile d’opposer le fait que celui-ci a collaboré au scénario de plus de la moitié de ses films. Mais ce ne serait sans doute pas suffisant pour qu’il mérite cette qualification. Le complot, la vengeance, situations itérativement filmées par l’auteur de Sept Épées pour le roi sont moins des thèmes qu’une détermination souterraine de la vision du monde qui s’affirme véritablement dans l’écriture et le style. Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’une partie de la critique cinéphile qui s’est intéressée à lui soit composée de ceux qui hypostasiaient l’idée de mise en scène, seule qualité susceptible de transsubstantier un matériau échappant, a priori, à l’art. Car la quête des héros « frediens », leur volonté de puissance mise au service d’une exigence de rétribution se traduisent par des recadrages extrêmement précis et subtils, par la composition de plans captés par une caméra en légère contre-plongée, construisant un espace qui ne s’ouvre parfois que partiellement dans la profondeur du champ et qui introduit un dynamisme particulier du mouvement. Ces principes de filmage, mise en condition subliminale du spectateur, sensibilisent celui-ci, bien plus que toute théorie, à la l’irréconciliable dialectique qui se joue entre la fatalité, le caractère inéluctable des événements, et la liberté de l’homme car le cinéma de Freda relève, avant tout, d’une très ancienne tradition humaniste.

Jean-François Rauger

Les films

L'Or des Césars
Sabatino Ciuffini, Riccardo Freda , 1962
Ve 30 juil 21h30   GF

Rencontres et conférences

Qui êtes-vous Riccardo Freda
Conférence de Jean-François Rauger
Je 1 juil 19h00   HL

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