René Clair

Du 10 avril au 9 mai 2019

René Clair, ou l'auteur absolu

Dans le monde entier, René Clair aura longtemps occupé le rôle qui devait être repris par François Truffaut : celui d'un esprit même du cinéma français, qui en résumait le système de valeurs et la plus haute histoire. Surtout, bien avant ses fils prodigues de la Nouvelle Vague, il s'était construit tout entier comme un homme-cinéma, pratiquant d'un même élan la critique et la création, se voulant à la fois « l'enfant du siècle qui attend un film » et celui qui va s'identifier au mouvement futur du septième art : d'où, dès le départ, le choix d'un pseudonyme où se conjuguent renaissance et clarté.

L'Avant-garde vue de dos

À première vue, son profil intellectuel ne le distinguait pourtant guère de ses collègues en avant-garde : issu d'une bourgeoisie commerçante du ventre de Paris, il a connu les charmes finissants de la Belle Époque, les raffinements d'un symbolisme fané, la fracture enfin d'une Grande Guerre qui renvoie la littérature à une certaine stérilité. Dans cette désillusion, il rejoint les Delluc, Gance et autres L'Herbier qui embrassent avant lui la carrière cinématographique – mais il n'est pas moins proche du dadaïsme, ou d'un pré-surréalisme qui privilégie le cinéma comme contre-culture, ou expression pure de l'inconscient.

C'est ce qui fait la singularité de sa situation, dès ses chroniques de 1922-24 : tout en faisant l'éloge de cette dynamique visuelle qu'incarnent les grands auteurs-acteurs américains, il commence à égratigner une production française trop empreinte de références littéraires. Lui qui a fait son entrée en cinéphilie par le détour de petits rôles chez Louis Feuillade, il est l'un des premiers à prôner le retour vers un cinéma primitif, vers cette « tradition de 1900 » qu'auraient occultée les prétentions du Film d'Art.

D'où les malentendus autour de ses premiers films, qui semblent à la pointe de la modernité cinématographique alors qu'ils s'en démarquent subtilement : Paris qui dort est une pochade qui se moque des outrances du caligarisme, et qui use des trucs de montage les plus ingénus pour ranimer un merveilleux à rebours ; Entr'acte convoque le Tout-Paris intellectuel des années folles et tous les tics de l'écriture automatique, pour retrouver le rythme des courses poursuites à l'ancienne... À la lettre, c'est à un enterrement des avant-gardes qu'invite le jeune cinéaste – en même temps qu'à une décomposition des principes fondateurs du mouvement filmique. Après quelques ouvrages intermédiaires, il va confirmer son statut d'auteur en négatif, avec deux adaptations de Labiche. Ce seront Un chapeau de paille d'Italie et Les Deux Timides, où il démontre par l'absurde les ressources autosuffisantes de l'image mentale, chargée de ressusciter une rhétorique vaudevillesque tombée en poussière, voire la fantaisie désuète des vieilles bandes Pathé. Cette gageure brillamment tenue fait de Clair un porte-parole idéal pour un cinéma français en pleine crise d'identité.

Puisqu'il faut bien admettre que le cinéma parle...

Dès lors, à l'heure où Feyder est aux États-Unis, à l'heure où Grémillon et Epstein sont renvoyés à la marge, Clair sera le seul à assurer la continuité d'une seconde avant-garde – réconciliée avec le réalisme, mais cherchant à poursuivre au-delà du parlant la part d'onirisme attachée à l'art muet... Puisqu'il faut bien admettre que le cinéma parle, c'est par une non-coïncidence de l'image et du son, ou le recours à la musique comme fil rouge du récit que le réalisateur contourne les lois de la pesanteur. C'est aussi par la formation d'un « petit monde », où survivent les microcosmes rêveurs de ses premiers films : avec une association de figures sympathiques et anachroniques, cultivant en marge de l'Histoire l'utopie d'une communauté de copains ; avec une équipe fidèle de collaborateurs, qui reconstituent en studio une France quintessenciée, lumineuse, bienveillante. Le ton est donné dès la première scène de Sous les toits de Paris, à travers le spectaculaire travelling qui passe en revue tous les habitants d'un immeuble : Clair inaugure avec quelques années d'avance le réalisme poétique que populariseront ses assistants Carné ou Lacombe, mais en prolongeant la fiction d'une société encore unanime. C'est ce qui explique le formidable succès du film à l'étranger, que dépassera celui du Million.

Pour cette nouvelle adaptation d'un vaudeville-poursuite, Clair substitue au texte un canevas improvisé et mêlé de couplets qu'il intègre à la diégèse. Transposant dans le film sonore la formule du Chapeau de paille, il invente une comédie musicale « à la française » qui restera une réussite sans lendemain – y compris dans son œuvre : À nous la liberté et Le Dernier milliardaire marqueront un décalage grandissant entre cette poésie d'opérette et l'assombrissement de l'horizon social et politique. Aussi bien, son dernier chef-d'œuvre de cette période demeure Quatorze juillet, évocation minimaliste d'un Paris/paradis perdu, où Clair stylise avec une extrême rigueur sa vision d'un monde enfui.

Le temps d'un retour

L'échec du Dernier milliardaire l'amène à accepter l'invitation de travailler en Grande-Bretagne : il y réalise deux plaisantes satires du macabre anglo-saxon. Et alors qu'avec l'essai interrompu d'Air pur, il flirte avec l'idée d'un improbable néoréalisme, la guerre le contraint à un nouvel exil : à Hollywood cette fois, où il va user très efficacement de sa Clair's touch, parcourant les poncifs du cinéma de genre américain tels que peut les envisager l'ironie française. Mais c'est au prix d'un contrôle devenu sourcilleux de sa mécanique scénaristique. De fait, ses films français d'après-guerre séduiront essentiellement par l'intelligence de leur construction, vouée désormais à de virtuoses variations sur ses thèmes anciens : la fidélité aux artisans du film primitif (Le Silence est d'or), le fantasme faustien comme miroir du cinéma (La Beauté du diable, où l'ambition d'évoquer le péril nucléaire se heurte à une persistante aporie politique), la remontée dans le temps et les stéréotypes de l'inconscient (Les Belles-de-nuit), le compte à rebours d'avant la guerre de 1914, point aveugle autour duquel s'est arrêté l'imaginaire clairien (Les Grandes manœuvres)... Même s'il reconstitue une troupe de comédiens complices, Clair paraît s'inscrire dans ce cinéma de qualité que domine la nostalgie de 1900 – et que vont bientôt dénigrer ses cadets.

Paradoxe d'autant plus cruel qu'il fut le premier auteur à part entière du cinéma français, imposant la maîtrise d'un seul homme à tous les stades de sa création. Mais cet auteurisme passait moins par la mise en scène, ou la direction d'acteurs, que par une préparation scrupuleuse du scénario qui lui permettait de prévenir jusqu'aux aléas du montage. Il reposait sur une idée somme toute très littéraire de la pratique cinématographique, conçue comme un mal nécessaire pour donner chair à un rêve toujours fuyant. Qu'il fût le premier cinéaste élu comme tel à l'Académie française, qu'il revînt sur le tard à des travaux d'homme de lettres, tout cela ne pouvait que creuser l'écart avec les nouvelles générations. Tout cela confirme pourtant une lecture cohérente du septième art, sans doute trop idéaliste pour n'être pas contrariée par l'Histoire.

Noël Herpe

Les films

Et la vie recommence
Victor Saville, Herbert Wilcox, René Clair, Frank Lloyd,Edmund Goulding, Cedric Hardwicke, Robert Stevenson , 1943
Ve 12 avr 17h30   GF Di 21 avr 14h30   HL

Partenaires et remerciements

Films Sans Frontières (Christophe Calmets), Gaumont (Héloïse Aimé et Louise Paraut), Lobster Films, Park Circus Limited – Glasgow, Pathé Distribution (Tessa Pontaud, Victor Gérard), Tamasa Distribution (Clara Giruzzi), Théâtre du Temple, Universal – Los Angeles (Janice Simpson, Michael Duruty). Stagiaire : Flora Nicolas.

En partenariat avec

Pathé

En collaboration avec

Lobster Gaumont

Partenaire des ciné-concerts

Sacem