Revue de presse de « George qui ? » (Michèle Rosier, 1972)

David Duez - 13 mai 2016

George qui (Michèle Rosier)

Premier film de Michèle Rosier, George qui ?, sorti le 3 mai 1973, se veut un portrait passionné, à la fois historique et contemporain, de l’écrivaine, amoureuse et grande figure de l’émancipation féminine George Sand (1804-1873). Au côté d’Anne Wiazemsky qui y incarne la femme de lettres se pressent de nombreux amis de la réalisatrice, venus pour la plupart du théâtre et du cinéma d’auteur (Françoise Lebrun, Bulle Ogier, Roger Planchon, Jean-Pierre Kalfon, Jean-Michel Ribes), ainsi que le philosophe Gilles Deleuze, dont c’est l’unique apparition au cinéma. Film en costume, George qui ? s’amuse des anachronismes : une 2CV faisant face à une Austin-Mini, un poids lourd, une télévision en arrière-plan ; autant de libertés qui permettent à la réalisatrice d’effectuer une synthèse entre la révolution de 1848 et les revendications sociétales de Mai 68. Longues interviews de la réalisatrice, comptes-rendus enthousiastes : le film rencontre un succès critique.

La première biographie filmée de George Sand

A l’exception notoire de Cinéma 73 et de Combat qui ne perçoivent en George qui ? que le « degré zéro » du cinéma ou « le triomphe de l’amateurisme débile », les critiques s’accordent pour célébrer la double victoire de Michèle Rosier. « Avant même d’être sur les écrans, le film sensible, intelligent et audacieux de Michèle Rosier a remporté un premier succès. Si George Sand sort du purgatoire où l’avait plongée la gent littéraire, c’est dû, au moins en partie, au climat créé par les prises de vues du château de Nohant et tout ce qui les a entourées », applaudit Robert Chazal dans le quotidien France Soir. « Pourquoi personne, avant Michèle Rosier, n’avait jamais écrit de film sur la très grande histoire d’amour de George Sand avec les hommes, avec la littérature, avec la politique, avec la campagne et, finalement, avec sa vie, on se le demande un peu ! », s’exclame la journaliste, sympathisante du M.L.F. et spécialiste des femmes au Nouvel Observateur, Katia D. Kaupp. Michèle Rosier répare cet oubli. Second succès de la réalisatrice : avoir humanisé un monument de la littérature française. Toujours dans France Soir, Robert Chazal précise que tout en « se refusant à élever une statue conformiste à la gloire d’une romancière célèbre, [Michèle Rosier] nous fait voir son héroïne à la campagne, dans son domaine de Nohant, aussi près des gens de la terre que de ses amis. A la ville, elle ne se limite pas aux seules célébrités du journalisme et des lettres. Elle est curieuse de tous, même si elle est surtout fascinée pas les créateurs, les musiciens, les poètes, les comédiens (….). Avant le film, termine le journaliste, on pouvait penser que George Sand était un monstre. En sortant de projection, on sent que l’on aurait aimé l’avoir pour amie ». Pour la revue Écran 73, Marcel Martin précise ces propos, invitant ses lecteurs à pénétrer dans l’intimité de la romancière. « Ce n’est donc que le côté sympathique de la jeune baronne Dudevant qui nous est montré, écrit le journaliste, ses espiègleries et ses excentricités, ses foucades et ses provocations. Bonheur à celui par qui le scandale arrive ! proclame-t-elle, et Michèle Rosier reprend un peu le propos à son compte en montrant son héroïne en train de se masturber dans un champ ou de céder aux avances de la brûlante Marie Dorval, tout comme elle a conçu son film à l’image de sa protagoniste, un peu snob, un peu garçonne, en rendant impossible toute fascination et tout attendrissement par une intrusion permanente de la distance sous forme d’anachronismes délibérés… ».

« Jeune Cinéma »

Selon la presse, Michèle Rosier réussit, aussi, un tour de force esthétique. Sous la plume d’André Cornand, La Revue du Cinéma voit dans ce premier film, la « révélation d’une cinéaste authentique ». Michèle Rosier est celle qui apporte les préceptes du jeune ou nouveau cinéma au grand public. « On parle beaucoup en France, depuis quelques années, de Jeune Cinéma, de Nouveau Cinéma, et il est évident que les générations de cinéastes qui prennent la relève cherchent à donner au 7e art un souffle neuf, original ». Élargir l’audience du nouveau cinéma relevait d’une gageure. Michèle Rosier réussit le pari. « Ce qui caractérise George qui ?, c’est sa valeur d’aboutissement, insiste le journaliste. Michèle Rosier parvient à faire la synthèse et à incorporer dans son film tous les apports nouveaux de l’époque godardienne et post-godardienne [et] a su échapper au piège de l’autobiographie directe qui confère à de nombreux premiers films un caractère confus et hermétique ». Michèle Rosier se pose, d’après la revue Téléciné, en « biographe intelligente qui renouvelle le genre ». Elle met en scène, écrit Stéphane Sorel, « une œuvre cinématographique consciente de son existence comme moyen et objet culturel ». Ici, « la liaison Sand-cinéma-politique est toujours centrale ». Par l’entremise de la caméra, Michèle Rosier redonne vie à son héroïne. « L’intrusion de personnages contemporains du spectateur semblables à lui, dans une fiction du 19e, les deux époques se rejoignant à la fin, n’obéit pas à quelque tic du nouveau cinéma, mais établit au contraire un lien entre nous, ces personnages et ce temps dont nous venons. Cette filiation, absente des films ou dramatiques télé sur le 19e, met l’accent sur le mouvement de l’Histoire au lieu de présenter une image figée et exemplaire d’une période révolue ».

Une figure intemporelle

Pour sa biographie de George Sand, Michèle Rosier se refuse à respecter la linéarité, pourtant inhérente au genre. Elle use, souligne la revue Cinématographe, de « continuelles cassures dans le développement du sujet (…). Cela apparaît, écrit Dominique Maillet, d’autant plus évident que le personnage de George Sand a été appelé à côtoyer de nombreux hommes illustres. Ceci est une réalité, voulue par l’auteur, qui n’hésite pas non plus à introduire au sein du 19e siècle, des personnages de notre temps, c’est-à-dire des hommes et des femmes de 1973 ». « Dès lors, remarque Christine de Montvalon de Télérama, l’histoire de George Sand fusionne complétement avec le présent. Michèle Rosier, la réalisatrice, abandonne le classicisme et adopte un ton personnel qui rappelle Godard : des personnages contemporains font irruption dans le passé, comme dans la scène finale, George Sand fera irruption dans le présent. Les générations se transmettent cette espérance de la fête. Et Michèle Rosier, elle, n’attend pas. La fête est déjà là. Les acteurs s’amusent à jouer. Et tout se réalise déjà dans ces regards complices. Profitons de l’instant. Voilà ce qui donne à ce film son air naturel, de simplicité et de franche gaieté ».

Un cinéma féministe

« Tout au commencement, on entend Anne Wiazemsky qui incarne George Sand, dire : Tu savais, toi, qu’il n’y a qu’un seul os différent chez l’homme et chez la femme : l’os de la hanche ? Tout est déjà joué : le film sera agressivement féministe », annonce Christine de Montvalon. Cinéma politique, cinéma militant, le féminisme exacerbé de Michèle Rosier agace certains critiques, autant les femmes que les hommes. De George Sand, « Michèle Rosier fait, pour les besoins de la cause (…) une militante consciente », déplore Mireille Amiel. Dans Cinéma 73, la journaliste fustige le portrait caricatural que fait la cinéaste de la romancière : « De cette femme étonnante, dont les amants étaient tous remarquables, les bonhommes sont réduits à n’être que des partenaires falots… On les oublie, on les étouffe. On les diminue tous. M.L.Fisme vaincra ». Au début du mois de mai 1973, René Quinson posait, à propos de la sortie imminente du film, la question suivante : « Mais qui était exactement George Sand ? ». Un mois et demi après, toujours dans le même journal, Henry Chapier apporte une réponse cinglante. Sous le titre : « Un flagrant délit d’inculture », le critique considère qu’« ignorer à ce point la vérité du personnage, l’univers de l’écrivain, et le contexte de l’époque relève de la pire indélicatesse, celle qui tire sa force de la mauvaise foi, élevée au niveau d’une insupportable prétention. Voyant dans George Sand l’image de la première militante du M.L.F. avant la lettre, Michèle Rosier en fait un personnage anecdotique sans nuances comme s’il s’agissait d’insérer un patchwork dans une collection de prêt-à-porter ».

Un jeu distancié

A l’exception de France-Soir et de Télérama, l’interprétation laisse la critique dubitative. Trop théâtral, bourré de citations, George qui ? parait dénué de passions, de sentiments, de vie. L’ensemble des reproches convergent vers son actrice principale, Anne Wiazemsky. « Primaire, plate, et bornée, cette incarnation de George Sand sous les traits inexpressifs d’Anne Wiazemsky ne fut jamais si fade », peut-on lire dans Combat. Si, « le film est sympathique, note Les Échos, on regrette de n’y point adhérer davantage… Il repose, poursuit le quotidien économique, sur Anne Wiazemsky, la Chinoise de Godard, dont le jeu est volontairement distancié, et qui, bien qu’en costume, joue – avec, d’ailleurs, beaucoup d’intensité vraie – trop les porte-parole symboliques et pas assez la femme, le personnage, l’être qui pourrait toucher, séduire, convaincre ». Jacques Siclier désapprouve une interprétation hermétique pour le plus grand nombre. Pour le journaliste du Monde, George qui ? « risque de porter à faux sur un public autre qu’intellectuel, parce que Michèle Rosier n’a pas su trouver la bonne distance entre le personnage réel et l’allégorie ; parce qu’à faire d’Anne Wiazemsky le véhicule d’un discours contestataire, elle a perdu de vue les contradictions de George Sand et les motivations de sa féminité. Sa George Sand est à la fois trop loin et trop près de la vérité historique dans des tableaux confus où s’agitent des hommes – marionnettes portant des noms célèbres ».


David Duez est chargé de production documentaire à la Cinémathèque française.