Revue de presse de « French Cancan » (Jean Renoir, 1954)

David Duez - 22 novembre 2018

Présenté initialement à Cannes en marge de la sélection du 8e festival du film, French Cancan sort en salle le 25 avril 1955. 30e long métrage de Jean Renoir, sa sortie est célébrée par la presse écrite. Les Cahiers du cinéma consacrent à l’événement quatre numéros, huit pour Cinémonde qui le met en Une de son numéro 1060 et Révélation publie un « roman-film réalisé d’après le film de Jean Renoir », sur deux pleines pages. « Chef d’œuvre de la couleur et du mouvement » (Franc-tireur), « Une œuvre éclatante de joie de vivre et de couleur » (Libération), « Le divertissement d’un grand artiste » (France soir), les titres de la presse généraliste sont pour la plupart élogieux. Les critiques célèbrent aussi les retrouvailles de Jean Renoir et Jean Gabin qui n’avaient plus tourné ensemble depuis La Bête humaine en 1938. Pour cette production en Technicolor, Gabin interprète le propriétaire du Moulin Rouge, inventeur du french cancan, danse qui a fait la renommée du bal de la place Blanche.

French Cancan (Jean Renoir)

La presse sur le tournage

French Cancan intéresse la presse écrite avant même sa sortie en salle. Entre octobre et décembre 1954, l'hebdomadaire Cinémonde consacre quatre numéros au tournage du nouveau film de Jean Renoir. Autre titre de la presse populaire à s'emparer du phénomène, Révélation – auto-proclamé Le plus grand hebdomadaire du cinéma – publie dans son n° 31 un reportage sur les coulisses de la réalisation. Sous la rubrique « Les films de demain », la revue en profite pour célébrer « un anniversaire », car « cela fait, en effet, trente ans que Jean Renoir commençait sa carrière au cinéma avec La Fille de l'eau ». La fête bat son plein, « les studios de la rue Francœur sont en ébullition » ; une technicienne, habituée des lieux, confie au magazine, ne pas avoir assisté à « un tel tournage », « depuis Le Silence est d'or » de René Clair, réalisé huit ans plus tôt.

La presse populaire n'est pas la seule à couvrir l'événement. Les très cinéphiles revues Cinéma 55 et Cahiers du cinéma se pressent, elles aussi, dans l'enceinte du studio parisien. Publié par la Fédération Française des Ciné-clubs, le n° 2 de la toute jeune revue Cinéma 55 honore, dans son dossier du mois, le réalisateur de La Grande illusion. Sous le titre « Sur le plateau... avec Jean Renoir », André-G. Brunelin dépeint un Jean Renoir plein d'allégresse. Le réalisateur conçoit son film comme un « spectacle cinématographique », exactement comme on lisait autrefois sur le fronton des baraques foraines qui colportaient l'art nouveau ». Éternel enfant de 60 ans, Renoir ponctue « chaque scène », de ses « applaudissements enthousiastes », félicite chaleureusement « ses comédiens dès la scène finie et parfois s'élance parmi eux pour leur serrer la main ou les embrasser ». Dans le numéro 41 des Cahiers du cinéma, Jacques Doniol-Valcroze fait part à ses lecteurs de sa visite du 21 octobre, et de sa « chance » d'avoir vu le maître au travail. « Avec une patiente et bonhomme autorité, Renoir compose sa scène à petits coups de pinceau. Il meuble les trous de l'espace de tout ce qui est dans le champ, fait raccourcir un geste, prolonger un autre, donne une réplique de Gavroche à Philippe Clay... Quand je partirai, précise le critique avec une pointe de regret, la scène sera dans la boîte et lorsque nous verrons sur l'écran ce passage des croissants, il nous paraîtra couler de la source la plus naturelle ». Dans le numéro suivant, Pierre Kast – à la fois critique et assistant-réalisateur sur le film – moque « l'agilité intellectuelle des censeurs italiens ». « Une des tâches principales de l'assistant italien de French Cancan, Lino Matassoni, semble être la surveillance des décolletés. Tourmenté, mélancolique, portant directement sur la peau un gilet d'orties, il vient de temps en temps demander une nouvelle prise. Le nombril de Maria Félix, aujourd'hui, est le sujet de son cas de conscience. Les français, déjà, le verront bien peu ; mais on tourne une autre prise, avec ceinture pailletée. Les coproducteurs italiens seront rassurés ; si les Italiens veulent se renseigner sur la structure musculaire de la ceinture abdominale des femmes, ils n'auront qu'à se rendre dans leurs églises », ironise-t-il.

Un peintre avec une caméra pour pinceau

À lire les critiques, les choix esthétiques et plastiques de Jean Renoir bouleversent le septième art. « Tapisserie » ou suite d' « images d'Epinal » pour son auteur, French Cancan se distingue avant tout par ses couleurs. « Œuvre capitale » pour André Bazin, le film témoigne d'un lien intime et artistique entre Auguste Renoir, père et Jean Renoir, fils. Si le critique des Cahiers du cinéma « évoque le peintre » du Bal du Moulin de la galette, c'est « parce que pour la première fois au cinéma, le film de Renoir m'a donné le sentiment non seulement d'atteindre à une imitation satisfaisante des tableaux qui l'inspirent mais encore et surtout à cette densité interne de l'univers visuel, à cette nécessité des apparences qui fondent le chef-d'œuvre pictural ». « J'ai écrit, poursuit-il, à propos du cinéma japonais, que ce qui forçait en lui notre admiration, même dans les moins bonnes productions, était son infaillible fidélité à une culture raffinée et puissante... Avec Jean Renoir on assiste précisément à la suprême conjoncture. Il rassemble en sa personne, outre le génie cinématographique individuel, l'infaillibilité d'une culture ou, du moins de l'un des aspects les plus hauts de la culture occidentale, celle des peintres. Il est l'impressionnisme multiplié par le cinéma ». Pour L'Aurore, Claude Garson accrédite le lien avec le cinéma japonais : « depuis Les Portes de l'enfer [Teinosuke Kinugasa, 1953] jamais le cinéma ne fut si joli ». L'évidence d'un rapprochement entre le peintre et le cinéaste est confirmé par Jean Martin qui reconnait en French Cancan : « Les couleurs d'Auguste Renoir ». Sous ce titre de Radio Cinéma Télévision, le journaliste vénère « la qualité picturale des images, due au chef-opérateur Kelber. Il n'est point un plan du film qui ne ressemble à un tableau des peintres de l'époque. À côté des extérieurs proches d'Utrillo, Max Douy a créé sous la direction de Jean Renoir, des extérieurs qui rappellent quelque fois l'incisif Lautrec, mais surtout la palette douce ou joyeuse de Degas et d'Auguste Renoir », et cela le plus naturellement possible. Pour le journaliste du magazine culturel : « Jean Renoir est un peintre, avec une caméra pour pinceau ». Tableau argentique, French Cancan « est un film que Renoir a rêvé et fixé avec plaisir », constate André Lang qui écrit dans France Soir : « Depuis qu'il manie la couleur, depuis Le Fleuve et Le Carrosse d'or, on sent, chez Jean Renoir, fils d'Auguste, une allégresse particulière. La joie de peindre, lui aussi, mais des toiles en mouvement que le père, sans doute, eût aimées ». Filiation revendiquée avec le père, parenté esthétique avec le Japon, l'érudit Jean Renoir ouvre les portes du Moulin rouge aux grands maîtres de la peinture française. « Ce que Renato Castellani a fait [avec Roméo et Juliette en 1953] pour la peinture italienne du XVe siècle, Jean Renoir vient de le faire pour la peinture française de la fin du XIXe siècle. French Cancan est un étonnant musée animé, où des personnages de Renoir, Degas, de Manet, de Lautrec, des paysages de Pissarro, des natures mortes de Cézanne et de Fantin-Latour, des tableaux d'ensemble de Raffaëlli et de Jean Béraud, et, jusqu'à des Bougereau et des Carrier-Belleuse, composent une sorte d'épopée badine », s'émerveille Jean Dutourd de l'hebdomadaire Carrefour.

Une affiche cinq étoiles

La distribution de French Cancan est remarquée de la plupart des critiques. Parce que Jean Renoir « se sent comédien lui-même et parce qu'il adore ses comédiens. Il sait les comprendre et, parce qu'il connait leur sensibilité et parfois leur pudeur, ils sont l'objet de toute sa sollicitude », précise André-G. Brunelin qui reconnait en lui, dans Cinéma 55, un « grand directeur d'acteurs ».

Jean Gabin, Françoise Arnoul, Maria Félix, Piaf, Patachou..., l'affiche de French Cancan est alléchante. Pour sa quatrième collaboration – sa première après-guerre – avec Jean Renoir, l'interprétation de Jean Gabin en Henri Danglard, propriétaire du Moulin Rouge et « créateur » du french cancan, alimente les chroniques. « Excellent comme à son habitude » (L'Aurore), Jean Gabin et son rôle de patron excite la curiosité des journalistes. « Avec French Cancan Jean Renoir nous révèle un nouveau Jean Gabin » ; « Au Moulin Rouge de Renoir un dandy nommé Gabin », titrent avec un mois d'intervalle Cinémonde et Paris-Presse. « Comme ce Danglard, il a la passion et le respect de sa profession, peut-on lire dans le quotidien parisien. C'est pour cela qu'il aime tellement le rôle que lui a donné Jean Renoir dans French Cancan. Danglard, c'est, à la manière de Renoir, Ziegler le véritable fondateur du Moulin Rouge ; un entrepreneur de spectacles qui considérait son métier comme un apostolat et qui l'aimait comme l'aiment Renoir et Gabin (...). Dans ce film, Gabin interprète un personnage nouveau pour lui. Celui d'un dandy 1900, très élégant, désinvolte qui a tous les succès féminins. Et ce rôle et son talent lui ont fait accomplir un étrange miracle : il a rarement paru plus jeune ». Un Gabin à contre-emploi et voilà la presse sous le charme. Dans les colonnes de Libération, c'est une Jacqueline Fabre pleine de joie qui retrouve Jean Gabin « sans mitraillette », loin de ses rôles de gangsters. Mais, avec French Cancan, Jean Gabin n'est seul à changer de registre.

Âgée de 24 ans, l'actrice Françoise Arnoul donne à voir, elle aussi, « une sensible comédienne qui peut faire autre chose que se cantonner dans les rôles de prostituées », souligne la journaliste. « French Cancan consacre Françoise Arnoul », sous ce titre de L'Aurore, Claude Garson jette son dévolu sur Nini-Patte-en-l'Air, blanchisseuse le jour et cancanière la nuit, incarnée par la sensuelle Françoise Arnoul : « La voici sacrée grande vedette, car tenir la tête d'affiche dans un tel film n'est pas un mince honneur ». Parmi les autres révélations du film, Claude Garson cite, tour à tour, « Maria Felix, qui ne nous a jamais paru plus magnifique qu'ici », et « Philippe Clay, un comique de grande classe ». Selon Jean Martin, de l'hebdomadaire Radio Cinéma Télévision, « l'auteur-metteur en scène a voulu cette fois plaire, et il y réussit souvent avec l'aide de toute l'équipe ». Le journaliste qui ne peut, faute de place, mentionner chaque acteur, apprécie, lui aussi « Philippe Clay, véritable révélation dans le personnage du chansonnier acrobate Casimir, avec son corps interminable et son irrésistible tête en lame de couteau. Et Patachou, excellente Yvette Guilbert, et la voix (en play back) de Cora Vaucaire » (La complainte de la Butte).

Jupons et quadrille

Depuis son premier court métrage tourné en 1926 (Sur un air de Charleston), la danse, le chant et la musique ont toujours occupé une place de choix dans l'œuvre de Jean Renoir. Avec French Cancan, le réalisateur propose une comédie musicale personnelle, une version différente de la « musical comedy à la manière américaine » ; une comédie musicale où « la musique est employée non pas tellement comme un accompagnement explicatif, mais plutôt comme un contrepoint », précise Jean-Paul Faure dans Paris-Presse.

Le héros du film n'est ni Danglard, ni Nini, encore moins le Moulin rouge ou le Paris 1900 ; la véritable vedette c'est le french cancan, son histoire, de sa création à son apothéose. « Sur cette mince trame, la comédie musicale comme l'appelle Renoir, déroule ses merveilles », écrit pour Franc-Tireur un Georges Altman enthousiasmé par un « épilogue intégralement livré à la folie du french cancan, des longues jambes lancées hors des dessous mousseux, du grand écart, de la foule gagnée par l'ivresse, mais folie que l'art de Renoir présente comme si nous l'avions oubliée ; la danse prend ici une épique truculence et l'image de ce feu d'artifice du plaisir comme une autre dimension ». « Le clou du spectacle sera le quadrille » ; voilà les lecteurs des Nouvelles littéraires prévenus. « Nous l'avons vu dans cent films ce quadrille, mais Renoir réussit le tour de force de renouveler un spectacle qui semblait pouvoir présenter pour nous d'autre attrait que celui de jolies filles exhibant généreusement leurs dessous », reconnait Georges Charsensol qui poursuit : « Jamais film n'eut plus éblouissant finale. Là tous ces dons extraordinaires de vie, d'entrain, de force bouillonnante que Renoir a si souvent gâchés, trouvent leur emploi. C'est mieux qu'un morceau de bravoure, c'est un beau morceau de cinéma ». Des étoiles encore plein les yeux, Jacqueline Fabre applaudit avec force, dans les colonnes de Libération, cette « irruption de danseuses sur la piste, les gros plans des jupons de dentelle blanche découvrant les cuisses nues et la naissance des bas noirs jaillissent de tous les coins de l'écran. L'enchevêtrement désordonné des costumes de toutes couleurs, l'intervention frénétique des spectateurs en habit et chapeau haut de forme, toute dignité perdue, pour exécuter de grotesques figures parmi les danseuses, la folie collective qui s'empare du public, la musique trépidante couverte par les hurlements de joie dans la salle ». Pour Robert Chazal, autre plume de Paris-Presse, le pédagogue Renoir devient – le temps d'un film – historien de la danse et du spectacle : « J'ai compris grâce à lui ce qu'est le french cancan. Cette suite de sketches dansés m'avait jusqu'ici paru être l'expression désuète d'un érotisme facile. Au cours de l'épilogue du film, Renoir nous montre vraiment ce qu'est le french cancan. Avec une virtuosité étourdissante, il nous jette au milieu des danseuses et nous participons à ce ballet endiablé qui célèbre avec passion le goût du plaisir, la joie de vivre. Le french cancan, c'est la danse de l'enthousiasme. Sans doute est-ce aussi celle de l'insolence insouciante. Mais c'est bien le plus grand mérite de ce film de nous avoir durablement lavé nos soucis ».

Un anti-« Moulin rouge »

Après un exil hollywoodien de plus de dix années (1941-1952), Jean Renoir retrouve avec Le Carrosse d'or et plus encore avec French Cancan sa place dans le paysage cinématographique français. Sorti un an et demi après le film de John Huston, la critique oppose French Cancan au très américain Moulin Rouge.

Pour François Truffaut de l'hebdomadaire Arts, le film de Renoir « se présente comme un anti-Moulin Rouge ; on ne trouvera pas ici, comme dans le film de Huston, des mélanges de couleurs obtenus pas des filtres de gélatine : rien que des couleurs pures. Chaque plan est une image d'Épinal en mouvement ». Pour la critique, seul un cinéaste français peut aussi bien filmer le Paris canaille de la Belle époque. « Sur un sujet en apparence proche de celui du film américain de John Huston, Moulin Rouge, Jean Renoir a réalisé, avec French Cancan, un film bien différent, aussi gai, aussi plein d'entrain que l'autre était ennuyeux, aussi fin et plein de goût que l'autre était banal et parfois vulgaire », signe Armand Monjo dans les pages de L'Humanité. « Le public français ne s'y trompera pas, poursuit le chroniqueur : French Cancan c'est bien la France que vient de retrouver Renoir (...). Et dans ce nouveau contact avec le cœur de sa patrie, Renoir a aussitôt retrouvé sa jeunesse. En marquant sa rentrée dans nos studios par cet éblouissant feu d'artifices, Jean Renoir vient d'apporter un grand espoir à notre cinéma, à notre culture, à notre peuple ». Pour Le Monde, Henry Magnan partage ce même élan patriotique qui voit là : « la défaite du Moulin Rouge de John Huston devant lequel s'extasièrent de biens gentils garçons heureux de retrouver la triste copie de quelque Toulouse-Lautrec, et qui durent le faire retourner dans sa tombe. French Cancan apporte la preuve visible sans contestation possible de la vérité de l'une des phrases-clé de Jean Renoir, que je ne résisterai pas au plaisir de citer : "Je n'avais pas compris, nous disait-il à son retour des États-Unis, je n'avais pas compris que l'homme, encore plus que sa race, est tributaire du sol qui le nourrit, des conditions de vie qui façonnent son corps et son cerveau, des paysages qui, tout au long du jour, défilent devant ses yeux. Je ne savais pas encore qu'un Français vivant en France, buvant du vin rouge et mangeant du fromage de Brie, devant la grisaille des perspectives parisiennes, ne peut faire œuvre de qualité qu'en s'appuyant sur les traditions des gens qui ont vécu comme lui". »

Carton-pâte ?

Ovationné par la majorité des critiques, French Cancan a aussi ses détracteurs. Ainsi Jean-Jacques Gautier s'emporte contre un film prévisible et ennuyeux. D'après le chroniqueur du Figaro, Renoir ne fait que jouer avec les poncifs et l'artifice : « Ce qui arrive à ces gens est d'une étonnante banalité. Ce qu'ils se disent, d'une rare platitude. Tous les décors de rue et de plein air sentent, à dessein, je pense, le carton-pâte d'une lieue ». François Truffaut avoue préférer à French cancan, « Le Carrosse d'or, film infiniment plus riche, plus neuf, plus beau. Dans l'hebdomadaire Arts, il incrimine premiers rôles et piste musicale. Selon lui, « Jean Gabin, Maria Félix, Caussimon Piccoli et Parédès ne m'ont pas paru donner le maximum d'eux-mêmes » ; Françoise Arnoul « est agréable à regarder mais ne peut donner que ce qu'elle a, c'est-à-dire une silhouette agréable. Son jeu est par trop en deçà du rôle » ; enfin Franco Pastorino « illustre parfaitement la plaie des co-productions ». Rappelant à ses lecteurs que ce film est avant tout « une comédie musicale », Truffaut déplore que le compositeur Georges Van Parys se soit livré « à des pastiches 1900 bien fades ». Plus agressive, la revue Positif publie un article au vitriol. Profondément déçu par ce « film sans intérêt » où règne banalité et « platitude élaborée », Bernard Chardère lui appose un « non possumus », un refus catégorique. La « fausseté de cette rue Lepic » l'agace et le jeu des acteurs l'ennuie. « Les répétitions des danseuses sont de l'imagerie de bonne famille : des Degas oui, ceux du calendrier des Postes. Il s'agit ici d'un film de troisième ordre ; et que qu'on ne vienne pas délirer sur le cancan final, que le moindre réalisateur américain peut tourner pour le moins aussi bien (...). Le reste est d'une vulgarité, d'une grossièreté réellement pénibles ». Pour Les Lettres françaises, Georges Sadoul est surpris de ne pas retrouver la verve sociale du Jean Renoir d'avant-guerre. Avec French Cancan, « le peuple de Montmartre, à travers un agréable populisme, poursuit un idéal pour presse de cœur », regrette-il. « Nous assistons au début de Nana, sans que Renoir ne critique jamais ce cours naturel ». Le Montmartre de Renoir n'est plus qu'un « réservoir de futurs putains » dont le seul rêve est d'« être individuellement entretenue ». « La solidarité » des blanchisseuses de Monsieur Lange laisse sa place à la « vénalité », se désole le critique qui déclare sans ambages : « On ne peut être pleinement français aujourd'hui en méconnaissant ou en méprisant notre peuple » !

L'artificialité dénoncée du film peut cependant être vue positivement. Ainsi dans Le Monde, Jean de Baroncelli apprécie le film autant pour ses « qualités » que pour « ses faiblesses apparentes : ce scénario construit vaille que vaille, cette intrigue banale, ces personnages volontairement conventionnels. Selon le critique, « Renoir nous donne à chaque instant l'impression qu'il improvise, qu'il nous conduit au gré de sa fantaisie, de son bon plaisir, que son unique propos est de se divertir en nous divertissant ». À ses yeux, « l'architecture du film est comparable à ces fragiles montants de bois qui servent à supporter les pièces d'un feu d'artifice. Seuls comptent à nos yeux ce pétillement, ce jaillissement, ce déferlement d'images, cette suite de scènes cocasses, attendrissantes, ou bouleversantes de beauté ».


David Duez est chargé de production documentaire à la Cinémathèque française.